Au Nord de Mtsamboro, le 12 février 2023, vers 10h50 du matin, l’unité nautique du STPAF était avisée de la présence d’un kwassa, transportant seize personnes. Sur place, l’équipage découvrait alors une embarcation abîmée et constatait par le témoignage des rescapés que quatre passagers n’étaient plus à bord. Le bilan est très lourd : trois enfants et une femme manquent à l’appel. Un des passeurs, désignés par les passagers comme étant le commandant, tente alors de s’échapper, avant d’être retrouvé et intercepté par les forces de l’ordre.
Une mer agitée à l’origine du naufrage
Lorsqu’ils naviguaient, les conditions météorologiques se serait brusquement dégradées et une vague aurait fait chavirer l’embarcation, déjà très chargée. D’après les éléments du dossier, les deux commandants du kwassa auraient alors ordonné aux passagers de jeter leurs affaires par dessus bord pour que le bateau pèse moins lourd. Les commandants auraient alors tenté de poursuivre leur navigation, en vain. Une vague fit chavirer le kwassa et plusieurs passagers seraient tombés à l’eau. Quatre d’entre eux ne sont jamais remontés.
Mentir pour sauver sa peau
À la barre du tribunal, le prévenu déclare avoir agi comme second d’un autre commandant, que les forces de l’ordre n’ont jamais retrouvé. Pourtant, les passagers du kwassa auraient déclaré que le prévenu était bien celui qui donnait les ordres à bord du bateau et qu’ils semblaient être le commandant. Face à ces déclarations, le prévenu marquera un long silence, que la Présidente d’audience, Catherine Vannier, écourtera : « Je comprends que ce soit difficile de se dire qu’on a causé la mort de quatre personnes, une maman, son enfant et deux autres enfants. »
Pour le parquet, « c’est l’appât du gain qui est plus fort »
La substitut du procureur, Cassandre Morvan, insistait sur la gravité particulière de ces faits, en rappelant que l’aide à l’entrée d’un étranger en France est punie de 5 ans d’emprisonnement, et que l’aide à l’entrée d’un étranger en France et sa mise en danger sont punies de 10 ans d’emprisonnement. Pour le parquet, « Monsieur savait qu’il n’avait pas le droit d’entrer sur le territoire français, sans papier, sans permis et en transportant illégalement plusieurs personnes. » Surtout, ce sont les mensonges du commandant du bateau qui ont indigné le Ministère public : « Des enfants se sont noyés en pleine nuit sous les yeux de leurs parents et quand Monsieur se sauve, il mentira en disant qu’il était seul en mer depuis neuf jours (…) visiblement c’est bien l’appât du gain qui est plus fort, quand il s’engage dans une mer agitée avec seize personnes. » La substitut du procureur a alors requis une peine « à la hauteur de la gravité des faits », en demandant une peine de cinq d’emprisonnement et une interdiction territoire français (ITF).
« On nous demande de nous battre sur de l’imagination »
Pour Me Soumetui Andjilani, l’avocat de la défense, ce procès est absurde. « Je n’ai pas d’acte de décès, on ne sait pas combien de gens il y a avait dans ce kwassa, ni s’il y a eu des morts. Je n’aime pas cette affaire du tout car on nous demande de nous battre contre l’imagination », a-t-il déclaré. L’avocat de l’avocat de la défense a estimé qu’il était injuste que le commandant du bateau, qui n’était pas le seul adulte à bord de l’embarcation, soit le seul tenu pour responsable. D’après lui, la responsabilité de cet incident devrait aussi être portée par les adultes qui ont embarqué : « Pourquoi les autres passagers adultes ne sont pas là ? Ce sont eux qui ont payé pour prendre le kwassa (…) Mon client lui-même s’est mis en danger, il n’a fait que les conduire à Mayotte depuis les Comores. Dans ce cas, c’est un cas psychiatrique, s’il a mis en danger les gens et lui-même. » En l’absence de victime identifiée et de cadavre, Me. Andjilani a demandé au tribunal de ne pas condamner le commandant pour homicide involontaire en l’absence de preuve et de victime identifiée : « On n’a pas de cadavre (…) On ne sait pas combien, ni qui, c’est le propre de la clandestinité (…) Je vous demande de ne pas condamner mon client pour homicide involontaire car vous n’avez pas de preuve. » L’avocat de la défense a bâti sa plaidoirie sur l’absence et la disparition prévues aux articles 88 et 112 du Code civil : « Pourquoi par notre seule supposition, on imagine qu’ils sont morts ? », a-t-il interrogé.
Après avoir brièvement délibéré, le tribunal a déclaré coupable le prévenu d’origine comorienne pour les faits qui lui étaient reprochés et l’a condamné à trois ans d’emprisonnement, avec maintien en détention et à une interdiction définitive du territoire français.
Mathilde Hangard