Durant toute l’année scolaire, des élèves de quatrième du collège de Majikavo ont longuement répété pour animer un procès pénal fictif au tribunal judiciaire de Mamoudzou, mardi 4 juin. Professeurs mais aussi avocats du barreau de Mayotte étaient présents dans le public pour assister à cette audience, où les élèves avaient endossé des rôles de magistrats, avocats, gendarmes, procureur, greffier, mais aussi de prévenus et de victimes.
Comme si tout était vrai
C’est à 9h que l’audience collégiale s’est ouverte, présidée par Mayna Ouirdani, assistée par deux assesseurs, Nasra Mohamed et Faina Mlazirou. La Présidente a d’abord vérifié l’identité des prévenus et leur a rappelé les faits qui leur étaient reprochés. Ces faits – fictifs – remontaient au mois de septembre 2022, où deux jeunes, un homme et une femme, s’étaient introduits dans un lycée avec une arme blanche. L’homme qui n’était pas un élève du lycée serait entré par effraction dans l’établissement scolaire grâce au carnet de correspondance de sa cousine, pour récupérer un téléphone portable qui lui aurait été dérobé par un autre élève du lycée.
« Vous avez traumatisé ma cliente » déclarait l’avocate de la partie civile, Me. Alyah Abdou, dont la plaidoirie prononcée à haute voix a été très remarquée. Mais pour l’avocat de la défense d’un des prévenus, si son client portait un couteau lorsqu’il s’est introduit dans le lycée, c’était uniquement dans le but de récupérer son téléphone, « il ne voulait blesser personne (…) Je vous demande d’être tolérant et de relaxer mon client » a déclaré Me. Ilan Boura, aux magistrats.
Une décision violemment contestée
Après avoir délibéré, le tribunal a déclaré coupable les deux prévenus pour les faits qui leur étaient reprochés et les a condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis, assortis de 15 jours de travaux d’intérêt général pour l’un des prévenu, de 10 jours de travaux d’intérêt général pour sa complice, du paiement de 150 euros d’amende, et d’une obligations de soins pour les deux prévenus. À l’écoute de ces sanctions, les deux jeunes se sont effondrés en larmes devant le tribunal, ont crié leur désolation et demandé pardon aux magistrats. In extremis, les gendarmes sont parvenus à immobiliser les deux prévenus, animés d’une grande violence, et ont été conduits, hors de la salle d’audience, menottes aux poignets.
Une mise en scène remarquable
Les applaudissements ont fait du bruit dans les locaux du tribunal judiciaire, pour féliciter les élèves et leurs professeurs de ce travail pédagogique, brillamment mené. Pour Lesly Parison, professeure d’histoire géographie, qui organise cet exercice pour la troisième année consécutive, l’objectif était de « donner vie au programme d’enseignement moral et civique » des élèves de quatrième et de leur faire découvrir les métiers de la justice de façon concrète : « Je les ai emmené voir des audiences collégiales, ils ont discuté avec des professionnels, et ils ont créé leur propre scénario (…) dans une île comme Mayotte, où il y a beaucoup de difficultés, là ils étaient d’autant plus dans l’histoire, en jouant leur propre rôle » a-t-elle déclaré.
L’enseignante espérait aussi « susciter des vocations » auprès ses élèves, qui pour certains semblaient déjà très déterminés. « Moi ça m’a très très très plu de jouer si j’ai le droit de rajouter beaucoup de très », s’est exclamé l’élève qui tenait le rôle de la présidente d’audience. « C’est mon métier de rêve depuis que je suis petite, je veux être juge. » a-t-elle déclaré. Le barreau de Mayotte pourra compter lui aussi sur une relève, où les deux avocats de la partie civile et de la défense, ont déclaré vouloir devenir avocat, bien que « les études longues et difficiles » et « c’est stressant aussi, ça peut nous faire culpabiliser à vie quand on défend des gens et qu’on perd le procès », ont-ils confié comme s’ils étaient déjà inscrits au barreau.
À la fin du procès, Me. Abdel-Lattuf Ibrahim a tenu à féliciter les élèves pour leur performance et a corrigé certains points, en conseillant aux avocats de plaider face au tribunal et au public, pour convaincre surtout le tribunal, et de s’adresser tant à la Présidente d’audience qu’aux deux assesseurs. Aussi, les gendarmes ont été invités à se tenir debout pour encadrer les prévenus.
Lesly Parison s’est aussi ravie de l’engagement « dans la durée » de ses élèves, qui « ont répété avec beaucoup de sérieux depuis le mois de novembre 2023 », jusqu’à la date de cette audience le 4 juin 2024.
Tout y était pour croire à un vrai procès, sauf peut-être nos caméras, appareils photographiques et dictaphones, dont l’utilisation est habituellement interdite pendant un procès.
Mathilde Hangard