Près de deux mois après le démantèlement du camp de La Guingette dans la forêt de Tsoundzou 2, le 22 octobre dernier, pour des raisons d’insalubrité et d’habitations illégales, la situation se répète aux abords du lotissement Coallia, toujours à Tsoundzou 2.
Une population multipliée par huit en 2 mois

Laissées à la rue, des centaines de personnes s’étaient rassemblées sur cette fine bande de terre de plusieurs dizaines de mètres entre le terrain de l’association et le chantier de la station d’épuration, jusqu’à la mangrove. Profitant des grillages pour accrocher de longues bâches, les exilés, principalement des demandeurs d’asile, s’abritaient comme ils pouvaient, couchés sur des lits de camp ou des nattes posées à même le sol. La précarité des installations et, surtout, l’absence de solutions alternatives laissaient déjà présager l’émergence progressive d’un nouveau camp.

Ce mercredi 17 décembre, il n’y a désormais plus aucun doute. Les abris improvisés ont laissé place à des constructions en bambou. Désormais, chaque famille ou groupe dispose d’une case, plus ou moins vaste, entièrement bâchée afin de préserver un minimum d’intimité. Au cœur du camp, un magasin de fortune a vu le jour, tandis qu’à l’entrée du site, face à la route nationale 2, quelques familles vendent des denrées alimentaires.
Entre les tentes, le va-et-vient de jeunes hommes portant sur leurs épaules de longues tiges de bambou et des branches de plusieurs mètres annonce la construction de nouvelles cases. Le chemin de terre principal dessert désormais plusieurs zones disséminées à l’arrière de la mangrove. En l’espace de deux mois, la population du site a été multipliée par huit, passant d’une centaine de personnes à 814, selon le dernier recensement effectué par les représentants des différentes communautés. À titre de comparaison, le camp de La Guingette comptait 1.272 personnes avant son démantèlement.
Un accès à l’eau revitalisant mais une situation toujours inhumaine

Depuis trois semaines, le camp dispose d’un accès à l’eau grâce à un raccordement installé par l’ONG Solidarités International, qui a également mis à disposition cinq toilettes. Les exilés se relaient autour des robinets, sur une zone plane en gravier dédiée et ouverte à horaires fixes, pour remplir bassines et bidons, se laver ou nettoyer leurs affaires. Un soulagement pour tout le monde.
« Avant, nous devions soit aller à la rivière, soit en chercher de l’autre côté de la route nationale, mais nous étions constamment attaqués par des délinquants. Il y a eu des blessés et la situation est rapidement devenue intenable. Grâce aux associations, la préfecture a pris conscience de la gravité, et on nous a enfin fourni de l’eau », raconte Kennedy, 27 ans, désigné représentant des Africains des Grands Lacs, majoritaires dans le camp.

A travers les tentes, certains n’hésitent pas à montrer leurs blessures, bras cassé suite à une course poursuite, pieds ouverts, ou encore balafre sur le bras qui peine à cicatriser à cause de l’humidité et de la forte pluie. Et si l’accès à l’eau se fait désormais en sécurité, les personnes doivent tout de même sortir pour rejoindre le marché, mais aussi Mamoudzou et Solidarité Mayotte pour suivre l’avancée de leurs dossiers de demande d’asile.
Pour participer au nettoyage des toilettes et des robinets et ainsi éviter la propagation des maladies, 6 bénévoles vivants dans le camp se relayent, matin et après-midi, équipés de gilets jaunes et de gants en latex. « Notre rôle est de garder l’endroit propre pour prendre soin de tout le monde », explique Clément, 27 ans, qui trouve en cette tâche de quoi passer ces journées.

Et si ces efforts sont notables, la situation est toujours inhumaine. En pleine saison des pluies, le sol ne peut plus absorber l’eau et les tentes sont inondées. Les averses multiples empêchent les habits de sécher et crée des flaques stagnantes propices à la reproduction des moustiques et aux épidémies. Les déchets sont nombreux et sont évacués dans la mangrove.
« Le vrai problème c’est que les procédures administratives sont trop longues ! Il faut prendre les choses au sérieux, il y a beaucoup trop d’arrivées mais pas assez de départs, c’est invivable », poursuit Kennedy. « On est dans une approche de réaction au lieu de faire de la prévention comme pour l’accès à l’eau. Depuis qu’on est là, 10 personnes ont été logées, mais toutes les semaines d’autres arrivent, les dernières à être venues c’était il y a trois jours », continue le jeune homme.
Reconduites et retours volontaires, « inimaginables » pour les Congolais

Il y a trois jours, la ministre des Outre-mer, Naïma Moutchou, s’est entretenue avec le préfet de Mayotte, François Xavier-Bieuville, et la députée de Mayotte, Estelle Youssouffa, au sujet de l’arrivée croissante des demandeurs d’asile sur l’île. Déplorant le fait qu’ils disposent de droits, la députée s’est félicitée qu’il n’est désormais plus obligatoire de leur trouver des solutions de relogement après la destruction de leurs habitats, conformément à l’article 18 de la loi pour la refondation de Mayotte. La rencontre a également abordé la reconduite en République démocratique du Congo des ressortissants présents à Mayotte et déboutés du droit d’asile, pour laquelle le préfet espère conclure de nouveaux accords.
En 2024, selon le bilan de la préfecture, 225 vols de reconduites ont été effectués, concernant principalement 576 Malgaches et 93 Congolais (parmi 11 autres nationalités représentant des chiffres bien plus faibles).
À Tsoundzou, certains exilés sont déplacés de camp en camp depuis plus d’un an, et la question d’un retour reste dans toutes les têtes. Hier, le 16 décembre, des membres de l’Office français de l’immigration et de l’intégration sont venus sonder les candidats au départ volontaire. Selon Kennedy, « six Yéménites ont décidé de quitter Mayotte », mais pour les Congolais, le choix est inimaginable. Dans l’est, les habitants subissent une guerre extrêmement violente et certains étaient directement menacés de mort avant leur départ.

C’est le cas d’Aline*, arrivée il y a quelques semaines à Mayotte avec ses deux fils et sa fille. « Mon mari est chauffeur de bus et il a été accusé de transporter les soldats du M23 (soutenus par le Rwanda) alors qu’il faisait uniquement son travail. On n’avait pas le choix que de partir », raconte-t-elle. Il y a sept jours, sa ville natale, Uvira, dans la province du Sud-Kivu, est tombée aux mains des rebelles en guerre contre l’armée congolaise, entraînant la mort de 413 civils, selon le gouvernement provincial.
Depuis 2022 et l’intensification des combats, le conflit a fait de nombreuses victimes et contraint des centaines de milliers de personnes à fuir. Des chiffres qui augmentent chaque jour et qui viennent alourdir le bilan d’une guerre qui dure depuis plus de 30 ans, responsable de millions de morts et de déplacés.
Victor Diwisch
*le prénom a été modifié pour garantir l’anonymat.


