En juin 2023, le président de la CADEMA, Rachadi Saindou avait passé deux jours en garde à vue dans le cadre d’une l’enquête dirigée par la section de recherches de la gendarmerie de Mamoudzou.
Depuis, ce dernier était poursuivi pour plusieurs délits, dont la prise illégale d’intérêt, et la soustraction, le détournement ou la destruction de biens d’un dépôt public. Salime Mdéré, premier vice-président du conseil départemental, également poursuivi dans plusieurs volets de cette affaire, de même que la société May Environnement, représentée par Ibrahim Zaher.
« Je ne savais pas, je suis président de la CADEMA, je ne suis pas technicien. »
Si l’on devait résumer ce procès en une phrase, on pourrait reprendre l’expression la plus employée de Rachadi Saindou pour contester sa responsabilité dans les faits qui lui étaient imputés : « Je ne savais pas, je suis président de la CADEMA, je ne suis pas technicien. »
En résumé, depuis les débuts de l’enquête en juillet 2022, les faits reprochés aux parties concernaient plusieurs affaires liées à la gestion de la CADEMA, pour lesquelles il avait été reproché à son président, Rachadi Saindou, une prise illégale d’intérêts, en raison de ses liens de proximité avec le fondateur de l’entreprise May Environnement ayant répondu à un marché de 280.000 euros pour entretenir et curer les fossés de l’intercommunalité. Aussi, Rachadi Saindou et Salime Mdéré, actuel 1er vice-président du Conseil départemental, auraient usé de leur influence réciproque, pour être tous les deux recrutés dans leurs établissements respectifs.
Alors que le 1er vice-président du Conseil départemental avait déjà été condamné à une peine de 3 mois de prison avec sursis et 10.000 euros d’amende, le 7 mars 2024 pour « incitation au meurtre », il était poursuivi dans cette affaire pour recel de bien.
L’avocat de Saindou plaide le caractère « partial » des enquêteurs
Après avoir énuméré l’ensemble des faits reprochés à Rachadi Saindou, Salime Mdéré et à la société May Environnement, représentée par Ibrahim Zaher, l’avocat du président de la CADEMA a plaidé longuement le caractère « partial » des enquêteurs de la gendarmerie de Mamoudzou lors de cette procédure.
Pendant ce procès, on apprenait que le président de la CADEMA exerçait également en qualité de gendarme réserviste et qu’il remettait en cause la partialité des gendarmes de Mamoudzou en charge de son enquête : « Ceux qui ont conduit l’enquête ce sont mes collègues, des gendarmes, comme moi », avait-il déclaré, soutenu par son avocat Me. Rafady d’après qui « la partialité peut constituer une clause de nullité de procédure. »
Pour le parquet, « aucune marque de partialité »
Mais le simple fait d’exercer comme gendarme réserviste n’aura pas convaincu le tribunal. En effet, pour le Procureur de la République, Yann Le Bris, « les faits reprochés à Monsieur Saindou étaient totalement déconnectés de son activité de gendarme ». Aussi, le Ministère public a précisé qu’en 2023, l’activité de réserviste du Président de la CADEMA n’avait représenté qu’une seule journée, exercée à la brigade de Dembéni, et non dans celle de Mamoudzou, en charge de l’enquête. Par ailleurs, l’ensemble des échanges retracés entre le gendarme en charge de l’enquête et Rachidi Saindou, ne révélaient aucune preuve factuelle de l’existence d’un lien antérieur entre les deux hommes.
La procédure des marchés publics piétinée
Pour entretenir et curer les fossés de l’intercommunalité, l’entreprise May Environnement s’était vue attribuer la somme de 280.000 euros, sans publication préalable dudit marché. Or, les marchés publics sont soumis à des principes juridiques précis, notamment lorsqu’ils excèdent un certain montant. Face au tribunal, Rachidi Saindou a déclaré avoir signé des documents en niant qu’il s’agissait d’un marché et que celui-ci nécessitait une procédure spécifique, et en reportant la responsabilité sur ses agents : « Ce sont les techniciens qui ont fait le dossier, pas moi ». La Présidente du tribunal judiciaire, Catherine Vannier, a ainsi déclaré : « Il va falloir vous inscrire à une formation sur les marchés publics car tout Mayotte sait qu’au delà d’un certain seuil, il faut passer une procédure de marché public sauf les élus de ce département visiblement. »
Le siège social de l’entreprise au domicile familial de Saindou
Alors même que la société May Environnement, était dirigée par la nièce du président de la CADEMA, et que le siège social de l’entreprise avait été fixé dans la maison familiale de son épouse, la conseillère départementale Zaounaki Saindou, il niait être au courant des liens de sa famille avec l’entreprise concernée.
Une voiture de service à toit panoramique
Par la suite, alors que le président de la CADEMA avait signé l’achat d’un véhicule haut de gamme, assorti de plusieurs fonctionnalités, il défendait sa légitimité à disposer d’un véhicule de service « robuste et fiable ». Mais ce sont les modalités d’achat du véhicule qui ont intéressé le tribunal. En l’espèce, le président de la CADEMA aurait acheté ce véhicule, en dehors de tout marché, en négligeant les procédures d’achat du bien, avec les fonds de la communauté d’agglomération. Face à ces accusations, Rachadi Saindou a à nouveau nié sa responsabilité dans les faits : « Je n’ai pas eu l’intention de commettre une infraction. »
Le 1er vice-président du CD, fantôme de la CADEMA
Alors qu’il cherchait un travail, pour reprendre les mots de Salime Mdéré, Rachadi Saindou lui aurait conseillé de se rapprocher de son Directeur des ressources humaines (DRH) : « T’as qu’à voir mon DRH* on va bien te trouver quelque chose », aurait-il déclaré. Ainsi, un premier contrat de travail d’une durée de 6 mois aurait été proposé à Salime Mdéré en qualité de référent pour l’innovation économique à la CADEMA.
Or, ni les enquêteurs, ni le successeurs de Salime Mdéré sur ce poste, ne trouveront de dossier de candidature, de curriculum vitae ou de quelconques dossiers de travail, sur les activités menées par Salime Mdéré lorsqu’il exerçait à la CADEMA.
Le tribunal en viendra même à mettre en doute l’impartialité de Rachadi Saindou dans le recrutement de Salime Mdéré, qui se trouvait colistier de l’épouse du président de la CADEMA lorsqu’il était élu au Conseil départemental.
11 mails ouverts sur les 549 reçus
Par ailleurs, l’enquête révèlera que le lendemain de son embauche, Salime Mdéré aurait demandé à travailler uniquement en télétravail et sur les 549 mails qu’ils auraient reçu en charge de l’innovation économique à la CADEMA, il n’en aurait ouvert que onze : « Vous savez sur tous ces mails, ce sont les mails qu’on reçoit tous les matins, je ne les lis pas tous, ce sont les mails des journaux, la presse… », a affirmé le 1er vice-président, face aux yeux ébahis du tribunal et du public.
À la fin de sa prise de parole, Salime Mdéré confondait également ses fonctions au Conseil départemental et celles à la CADEMA, installant davantage de malaise quant à la bonne foi du 1er vice-président.
Pour le Ministre public, sur les trois prévenus, trois sont coupables
Dans l’après-midi, le parquet a rendu ses réquisitions.
Le Ministère public estimait coupable Salime Mdéré des faits qui lui sont reprochés et demandait une peine de 24 mois emprisonnement dont 18 mois assortis du sursis probatoire pendant 2 ans, avec obligation d’indemniser les éventuelles parties civiles, assortie d’une peine de 2 ans d’inéligibilité et d’une interdiction d’exercice d’une profession de la fonction publique pendant 2 ans avec exécution provisoire, requiérait le Procureur.
Pour Rachadi Saindou il demandait 3 ans emprisonnement dont 18 mois assortis du sursis probatoire pendant 2 ans avec obligation, avec une obligation d’indemniser les éventuelles parties civiles, assortie d’une peine de 4 ans d’inéligibilité et d’une interdiction d’exercice d’une profession de la fonction publique pendant 2 ans avec exécution provisoire.
Dans cette affaire, l’entreprise May Environnement risque une forte amende, une confiscation de son camion (produit de l’activité délictueuse de la société) et une interdiction de recours au marché public pendant 5 ans avec exécution provisoire.
Le tribunal rendra son délibéré le 25 juin 2024.
Mathilde Hangard