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Projet de loi urgence Mayotte : se préparer pour ne pas sombrer

Constat ne peut qu’être fait de la difficulté du territoire de mener à bien les grands projets. Pour que celui de la loi à écrire ne rime pas avec faillite, notamment en terme de mobilité, Mohamed Hamissi met en garde sur l’organisation à mettre en place au préalable.

Comme en écho la fin de notre article de ce jeudi qui appelait à tourner la page des blocages pour se repositionner en urgence sur le projet de loi Mayotte, Mohamed Hamissi met en garde sur cette ultime opportunité de réflexion sur le territoire, «  il ne faut pas se louper, c’est l’avenir de Mayotte qui se joue, il faut anticiper et s’organiser tout de suite », appelle l’expert en mobilité. Puisque c’est un sujet qu’il maitrise, il nous livre l’Alpha et l’Omega de la méthode à mettre en place, transposable à de nombreux autres domaines.

Souvent vue comme accessoire, la mobilité à travers l’île a été mesurée à sa juste valeur ces dernières semaines où habitants, élèves, entreprises etc. étaient immobilisés. Par la terre, la mer ou les airs, elle est le facteur de développement d’un territoire, « la mobilité est au cœur des politiques publiques, et pourtant, je suis inquiet quant à la place qu’elle va prendre dans la loi Mayotte », rapporte-t-il.

Les navettes maritimes étaient déjà annoncées en 2014 sous le préfet Seymour Morsy (Photo : cd976)

Pourtant, la mobilité tenait le haut des discours publics ces dernières années : le téléphérique pour se rendre en Petite Terre, les navettes maritimes, Caribus, le train bleu (treni bile), les vélos et voitures électriques, etc. Mais au final, pas grand-chose quand on sort de chez soi, déplore Mohamed Hamissi : « Je peux même dire que le PGTD, le Plan Global Transports et Déplacements de Mayotte, signé en 2018 entre l’Etat, le Département et la ville de Mamoudzou, devenue la CADEMA, est un échec en matière de réalisation. Il devait donner une visibilité sur les 15 prochaines années sur les services et les infrastructures de transports à l’échelle du territoire, et avec un travail concerté entre les acteurs, mais nous n’y sommes pas parvenus sur les deux premiers dossiers que sont le Caribus et le transport interurbain ».

Les finances sont là pourtant

Rappelons que les acteurs en charge des transports sont le conseil départemental qui est autorité organisatrice, les deux communautés d’agglomération que sont la CADEMA et le Grand Nord, qui ont la compétence obligatoire, les communautés de communes qui ont délibéré pour l’avoir, en dehors de Petite Terre qui la met en pratique par délégation de compétence. « Et bien il n’y a aucune gouvernance commune, chaque collectivité travaille dans son coin. Or, à l’échelle nationale, la tendance est à la coopération, surtout par ces temps de crise financière. »

Même le projet Caribus dont le chantier a perturbé la circulation avec de lourds travaux pour libérer une voie uniquement dédiée au bus à haut niveau de Service (BHNS), ne suit pas le rythme, « il devait débuter sa mise en service en 2021 et ses autres lignes comme la 2, Mamoudzou-Passamainty, la 3 qui dessert les 16 Villas et le CHM ou la 4, Vahibé-Passamainty ne nécessitent pas des chantiers aussi importants, mais on ne voit rien sortir. » Il faut dire que les crise eau et blocage de l’île n’ont pas aidé, mais il alerte contre l’entre-deux actuel, « les gens croient que les navettes mises en place c’est Caribus, or il s’agit juste une adaptation aux travaux. »

Les abribus avaient été construits pour le projet de bus interurbain qui n’a pas encore vu le jour

Quant aux lignes de transport interurbain raccordant le Nord et le Sud de l’île, aucune n’est programmée, « les abribus sont en train de rouiller », au sens propre comme figuré, « heureusement, ça sert aux scolaires ». On se souvient que le marché avait été cassé pour intégrer les taxis en 2021, « et les navettes maritimes, où en est-on ? »

Alors qu’il faut mener une réflexion collective pour rédiger les projets et mener à bien les investissements de la loi urgence pour Mayotte, le cadre territorial est inquiet : « Le compte n’y est pas alors que le PGTD était fléché à hauteur de 1,7 milliard d’euros, dont 537 millions en investissements financés par l’Etat, mais aussi le CD, la CADEMA, Mamoudzou. Combien ont été dépensés ? »

Mobiliser l’expertise du Cerema dès maintenant

Et pourtant il se souvient du retour sur la qualité des dossiers du PGTD montés alors, « nous étions allés à Paris avec Mohamed Moindjié et l’élue Fatima Souffou, et nous avions reçu un avis très favorable ». Il s’inquiète, « comment demander d’autres fonds dans le cadre du projet de loi Mayotte si nous n’arrivons pas à honorer nos engagements ? » Surtout qu’il mentionne des particularités législatives, « depuis 2004, l’Etat ne finance plus les transports publics, sauf sur des ‘accords’ ciblés », techniques, « si on choisit un carburant hydrogène ou électrique pour les bus, il nous faut un retour d’expertise en associant des professionnels comme EDM ou Total à la réflexion. »

Mohamed Hamissi (à gauche) et Mohamed Moindjié lors du dévoilement du logo Caribus, c’était en 2019

Pour lui, la mobilisation contre l’insécurité était un préalable, « car elle induit de nombreux retards, les enfants ne sont pas transportés en raison du caillassage des bus, les chantiers sont retardés », mais il faut désormais se mettre au travail sur le projet de loi qui doit passer en conseil des ministres le 22 mai 2024, « si on loupe cette échéance, nous n’aurons plus rien derrière comme bras de levier de développement du territoire. Et mai, c’est déjà demain ! »

Il préconise une démarche qui vaut pour la mobilité comme pour le reste, « avec toutes les données à intégrer, il nous faut des experts. Pourquoi ne pas faire venir le Cerema qui a toute l’expertise reconnue au niveau de l’Union Européenne ? » Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, la mobilité et l’aménagement assiste les acteurs publics dans la collecte et l’analyse des données les plus adaptées à leurs problématiques. « Il vont nous fournir un diagnostic global qui va poser les bases. »

Il y a péril en la demeure

Le PGTD avait chiffré à 20 millions d’euros par an le coût de la remise à niveau de nos 525 km de réseau routier, « on met seulement 4 millions ! Les collectivités ne peuvent pas plus. Et pourtant, on ne peut pas développer un territoire avec deux heures passées sur la route pour aller de Longoni à Mamoudzou. A un moment donné, des voix vont s’élever pour dire que l’État n’a pas fait son travail. »

Il cite en exemple la loi 3DS de décentralisation du réseau routier. Plusieurs collectivités, dont Mayotte, ont refusé bien qu’il y ait des compensations financières, le CD de Ben Issa Ousseni avait répondu vouloir récupérer un réseau routier en état avant, « mais a-t-on entamé des négociations avec l’Etat ? » faire intervenir le CEREMA, c’est permettre d’avoir un « diagnostic poussé » avant tout engagement dans le projet de loi, sans avoir à payer le prix exorbitant des bureaux d’études. Surtout qu’il met en garde sur l’accroissement de la demande, » il faut anticiper une explosion des coûts liée à notre forte croissance démographique. »

CADEMA, Caribus, Mayotte, Mobilité, Martinique, La Réunion, PGTD
Difficile de vouloir développer un territoire avec des habitants qui ne dorment que quelques heures la nuit pour éviter les bouchons

De l’expertise dans tous les domaines comme celui de la Police des transports, « j’entends que c’est en débat, mais il faut associer tous les acteurs et sur l’ensemble du territoire. »

Le projet de loi urgence pour Mayotte offre donc une « réelle opportunité pour les pouvoirs publics de sortir un projet stratégique et fédérateur, mais il faut que ce soit un instrument de dialogue entre les partenaires, la population, les acteurs économiques, les transporteurs locaux, mais aussi maritimes, notamment l’avenir de gouvernance du STM en régie ou pas, et aériens. » Tiens, tiens, un instrument de dialogue préparatoire au projet de loin ça ne vous dit rien ? Faut-il repartir sur des ateliers façon Jean-François Colombet ou plutôt récupérer les informations qui en étaient sorties étant donné que le temps est contraint ? A voir, mais selon lui, l’important c’est de « se tourner vers les expertises existantes. Car le danger c’est que l’Etat mette les sous sur la table et que nous n’arrivions pas à suivre le rythme ».

Anne Perzo-Lafond

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