4 heures et moultes mouvements d’humeurs plus tard, Safina Soula et Badirou Abdou avaient cru être arrivés à un consensus avec les barragistes invités à participer à la réunion de vendredi dernier à Tsararano, au marché couvert, qui a compté près de 200 personnes. « Les barrages seront « mis à côté », c’est le terme que je vais employer. Je préfère ne pas donner de délais pour des raisons stratégiques. La grève continue, des actions seront mises en place entre les élus et le gouvernement. Il est temps de souffler et de tenir notre parole. La population va pouvoir circuler, la vie normale va reprendre mais les barrages seront juste à côté », a déclaré Badirou à l’issue de la réunion. Des propos pour le moins confus qui trahissaient déjà une fracture au sein du mouvement, chose que nous avions pu constater de visu quand une partie des barragistes ont quitté la réunion en colère. « Nous n’avons rien obtenu du gouvernement ! Nous c’est l’état d’urgence sécuritaire qu’on voulait ! On s’en moque de l’abrogation du titre de séjour territorialisé ! Les effets de cette mesure ne seront pas visibles avant au moins 10 ans et nous ce qu’on veut, c’est la sécurité tout de suite ! », a par exemple vociféré une barragiste lors de la pause.
Cette dame a exprimé l’opinion d’un certain nombre de manifestants qui se sentent « trahis » par les leaders des Forces Vives qui « sont allés négocier des mesures inutiles au lieu d’obtenir de vraies mesures concernant le problème sécuritaire ». Certes, si dans l’esprit des Forces Vives et d’une partie de la population mahoraise, le problème sécuritaire découle de l’immigration massive et incontrôlée, beaucoup de gens sont aussi conscients que les modifications à cet endroit n’apporteront pas de réponses immédiates. Or la situation sécuritaire est urgente à Mayotte et ne peut pas se contenter de mesures qui ne prendront éventuellement effet qu’à long terme, selon eux. « Personnellement je respecte les leaders des Forces Vives, mais j’ai peur qu’en levant les barrages, les caillassages et autres agressions reprennent à un rythme encore plus effréné qu’actuellement. La présence de mamans et d’adultes en général sur les barrages freine les délinquants. Si on les lève sans que rien ne soit fait pour notre sécurité, tout va recommencer comme avant et on aura fait tout ça pour rien ! », a déclaré ce dimanche 18 février Sylviane Amavie, leader du collectif de Petite-Terre, jointe par téléphone. Mentionnons les nombreux caillassages ces jours ci malgré les barrages, qui privent les élèves de scolarité, les magasins d’être approvisionnés et les déchets d’être ramassés.
« Les Forces du Peuples », un nouveau mouvement qui désavoue « les Forces Vives »
Ce week-end des 17 et 18 février, un nouveau mouvement est donc né de ce désaccord avec les leaders du mouvement. Il se fait appeler les « Forces du Peuple » et exige du gouvernement la mise en place de l’état d’urgence sécuritaire avant d’envisager toute levée de barrage. « Les Forces Vives ont trahi les aspirations des barragistes et ont donc perdu toute légitimité », peut-on lire dans un message WhatsApp envoyé au nom des « Forces du peuple » qui a circulé ce week-end de téléphone en téléphone. « Avec cette lettre (NDLR : celle des ministres) nous avons seulement gagné la liberté de subir des attaques, des agressions voire des massacres », peut-on encore y lire. Il semblerait que le noyau de ce nouveau mouvement se situe à Tsingoni, lieu où un père de famille a été assassiné lundi 12 février dernier par un jeune homme désœuvré, ce qui a terriblement choqué la population.
Pourtant, les leaders des Forces Vives n’oublient pas la revendication de l’état d’urgence sécuritaire. « Nous avons obtenu une première victoire avec le titre de séjour territorialisé et nous devons à notre tour tenir notre parole d’ouvrir les barrages. La négociation de l’état d’urgence sécuritaire se fera dans un second temps. Laissons nos élus travailler. Le président du conseil départemental doit rencontrer ce lundi 19 février la ministre déléguée aux Outre-mer, voyons déjà ce qu’il ressortira de cette réunion », a déclaré Badirou Abdou vendredi soir. Un courrier de réponse à la lettre du gouvernement a d’ailleurs été envoyé en ce sens. Notant « les efforts de l’Etat » concernant la crise migratoire « d’une exceptionnelle intensité », la réponse insiste sur « les modalités de mise en place de wuambushu 2 dans un contexte marqué par la gestion des jeux olympiques ».
Toutefois, concrètement, c’est la « voix dissidente » qui semble avoir le plus de poids puisque ce week-end, non seulement les barrages n’ont pas été levés, mais certains ont même été renforcés. Le mécontentement vient également de la peine de 4 ans de prison ferme prononcée ce vendredi à l’encontre de 2 barragistes qui, l’enquête l’a prouvé, avaient payé les délinquants pour attaquer la brigade de gendarmerie de Sada dans la nuit du 28 au 29 janvier dernier. Même s’ils étaient coupables et que l’un d’eux a même avoué, une partie de la population ne le voit pas de cet œil et accuse encore la justice d’être « plus sévère envers les Mahorais qu’envers les jeunes délinquants étrangers ». Alors que les délinquants en question ont écopé exactement de la même peine que leurs commanditaires…
On ne peut donc plus analyser ce mouvement sous un prisme rationnel. La colère gronde et continue de paralyser l’île en trouvant tous les prétextes possibles pour s’exprimer !
Nora Godeau