Munis de filets planctoniques, de courantomètres, d’ichtyomètres, d’appareils de pêche électriques et d’épuisettes, les scientifiques et techniciens de terrain de Mayotte Nature Environnement (MNE) et du bureau d’étude Océa Consult’, s’apprêtent à descendre dans la rivière Mro Wa Dembéni, dimanche 16 novembre au matin, tandis que les premières lueurs du jour apparaissent.

Les bottes en caoutchouc dans l’eau jusqu’aux tibias, entre cailloux et rochers, ils espèrent trouver un cabot à nageoires rouges, ce petit poisson endémique de Mayotte et des Comores, menacé d’extinction à cause de la destruction de son habitat, qui l’empêche de mener correctement son cycle de vie entre l’eau douce des rivières et le lagon.
Un parcours du combattant pour survivre

« C’est une espèce amphidrome, c’est-à-dire que les adultes s’accouplent dans les hauteurs de la rivière, la femelle pond sous les roches et, au bout de quelques jours, les larves éclosent. Celles-ci n’ont ensuite que quelques heures pour rejoindre le lagon. Au contact de l’eau salée, elles développent leur bouche et leur système digestif. Après quelques mois, les juvéniles remontent les rivières pour poursuivre leur croissance et se reproduire, bouclant ainsi le cycle de vie », explique Laëtitia Faivre, chargée de recherche pour le bureau d’études réunionnais Océa Consult et coordinatrice du projet RESTOCOR, un programme de restauration des cours d’eau visant à préserver l’habitat du cabot à nageoires rouges, mené conjointement avec Mayotte Nature Environnement depuis un an.
Un véritable parcours du combattant pour ce petit poisson, et plus encore pour ses larves d’à peine 2 millimètres, confrontées à de plus en plus d’obstacles créés par l’activité humaine. « Vous imaginez tous les pièges et barrières sur le chemin », souligne-t-elle, en évoquant notamment les prélèvements d’eau pour l’irrigation, les barrages formés par les branchages ou les déchets, ainsi que les pollutions chimiques qui ruissellent dans les cours d’eau.

« Plus on remonte en amont du cours d’eau, moins la pollution est présente mais à mesure que l’on descend vers le lagon, la qualité de l’eau se dégrade progressivement. On traverse d’abord des zones périurbaines, puis urbaines à proximité du lagon, et enfin les mangroves, où la qualité de l’eau est impactée », ajoute Théaux Despeyroux, ingénieur et chargé de mission scientifique à MNE, qui précise que ce sont des grosses problématiques pour cette espèce mais aussi pour l’ensemble de l’écosystème de la rivière, poissons, crustacés, crevettes ou bien encore libellules.
Le passage du cyclone Chido en décembre dernier n’a fait qu’aggraver la situation, il a multiplié les embâcles, provoqué des crues plus importantes et augmenté la température des rivières en raison de la chute des arbres.
Etudes du poisson et de son milieu

Le nombre de cabots à nageoires rouges vivants à Mayotte n’est pas officiellement déterminé depuis sa découverte en 2005, mais selon les ingénieurs, son nombre diminue. « Il y a plusieurs années il n’était pas difficile d’en trouver dans les rivières, aujourd’hui ils sont plus rares. Par exemple dans la Gouloué il y en avait des dizaines, aujourd’hui en une journée de recherche on en pêche un seul », constate Laëtitia Faivre.
Le projet RESTOCOR se concentre sur trois bassins versants : la Gouloué à Passamaïnty, le Mro Wa Dembéni et l’Andrianabé à M’Tsangamouji. Le premier est fortement impacté par les activités humaines, le second un peu moins, et c’est dans l’Andrianabé, le mieux préservé, que les scientifiques observent le plus de larves et de poissons. D’autres rivières existent sur l’île et pourraient également abriter des populations de cabots. Et si RESTOCOR se concentre pour l’instant sur ces trois bassins, l’objectif est de montrer que leur restauration peut améliorer les conditions de vie du poisson, et servir d’exemple pour d’éventuelles interventions sur d’autres versants.
En attendant, les quelques individus qui vivent dans la Mro Wa Dembéni, n’échappent pas à la vigilance des chercheurs, même si ces derniers capturent le plus souvent des crevettes, des guppies ou des anguilles. Une fois attrapé à l’aide d’un appareil de pêche électrique réglementé, qui ne tue pas les animaux, le poisson est endormi grâce à une huile essentielle de clou de girofle pour réaliser toute une série de mesures : hictiométrie, sexe, état gravide, avant d’être relâché.

Toutes les heures, ils immergent également un filet planctonique très fin pour collecter les larves de poissons, mais aussi celles de crustacés, en filtrant près de six mètres cubes d’eau. L’ensemble des organismes récoltés est ensuite observé au microscope, seul moyen de pouvoir identifier ces larves minuscules.
Avant de quitter le cours d’eau, les chercheurs réalisent un suivi de l’habitat. Ils observent le débit, la profondeur, l’oxygène, le PH, mais aussi le type de fond et la taille des roches. Une photographie du cours d’eau qui servira ensuite à mesurer l’impact des actions de restauration des cours d’eau, comme le retrait des embâcles et des déchets, sur le bon fonctionnement écologique de la rivière.
Des opérations de restauration ouvertes à tous

Car au-delà d’approfondir ses connaissances sur le cabot à nageoires rouges et d’établir le bon ou mauvais état de santé de sa population, l’objectif de RESTOCOR est de mener des opérations de restauration des rivières. Des actions qui débuteront à la fin des suivis écologiques dès le 20 novembre prochain et qui sont ouvertes à tous les publics à condition de s’inscrire auprès de Mayotte Nature Environnement. Au total 9 journées de chantier, 3 sur chaque rivière, sont prévues. De quoi participer au sauvetage, ou dû moins à la préservation du cabot à nageoires rouges, à la bonne santé des cours d’eau mais aussi et surtout de la population.
« Nous avons une responsabilité particulière envers cette espèce endémique, puisqu’elle n’existe nulle part ailleurs en France », confie Laëtitia Faivre. « Nous savons qu’il n’est pas toujours simple de sensibiliser la population à la protection d’un petit poisson, compte tenu des réalités du quotidien, mais notre objectif est de faire connaître la biodiversité des rivières. Si elle disparaît, c’est le signe d’une dégradation de notre propre qualité de vie ».
Victor Diwisch



