Le budget 2026 pour les Outre-mer a récemment fait débat, suscitant critiques et inquiétudes sur l’équité entre territoires. Entre attentes des collectivités et enjeux financiers, la question de la prise en compte des spécificités ultramarines reste au cœur des discussions politiques. Hier matin, la commission des Affaires européennes et la délégation aux Outre-mer du Sénat ont auditionné Benoît Lombrière, délégué général adjoint d’Eurodom. La séance, présidée par Micheline Jacques, présidente de la délégation sénatoriale en Outre-mer avait pour objectif de mettre en lumière les difficultés, enjeux et priorités rencontrés par les territoires ultramarins dans le cadre des négociations européennes.
Enjeux globaux et problématiques communes des Outre-mer

Les auditions ont mis en avant l’importance stratégique et économique des territoires ultramarins pour la France et l’Union européenne. Micheline Jacques, a rappelé que : « Les RUP ainsi que les PTOM doivent être placés au centre de la stratégie de puissance et d’influence de l’Europe dans le monde ». Plusieurs problématiques communes ont émergé pour l’ensemble des territoires ultramarins. Le financement des projets européens apparaît comme un enjeu crucial, notamment la mobilisation des fonds structurels et le maintien des enveloppes budgétaires dédiées. « Le manque de mobilisation des fonds européens a une incidence sur le nouveau cadre financier et sur les négociations pour défendre nos enveloppes », a précisé la présidente de la délégation sénatoriale en Outre-mer.
Un autre gros point qui est souvent revenu : l’adaptation des politiques et des règles aux réalités locales. « La France s’est construite sans penser aux Outre-mer. C’est pour cela qu’aujourd’hui, nous sommes là à essayer de faire comprendre aux uns et aux autres l’importance de l’Outre-mer », a insisté le sénateur de la Nouvelle-Calédonie, Georges Naturel. Les normes européennes ne collent pas toujours avec ce que vivent vraiment les Outre-mer. Entre les différences de géographie, de climat ou même d’économie locale, cela peut freiner leur développement économique et limiter leur capacité à renforcer leur résilience. De manière étroitement liée, la sécurité alimentaire et le soutien aux filières agricoles locales constituent des préoccupations partagées par toutes les Régions ultrapériphériques (RUP) et tous les Pays et territoires d’outre-mer (PTOM), avec des enjeux qui vont de l’autonomie alimentaire à la pérennité des activités économiques locales.
Les enjeux géopolitiques touchent aussi tous ces territoires de la même façon. Jean-François Rapin, président de la commission des Affaires européennes et sénateur du Pas-de-Calais a tenu à souligner que les DOM-TOM donnent à la France « un rayonnement sur tous les océans et que c’est seul pays à cet échelon », mais que le manque d’attention politique et d’investissements fait que ce potentiel reste largement sous-exploité.
Focus sur Mayotte : enjeux locaux et priorités spécifiques

Dans cette assemblée, deux sénateurs mahorais étaient présents : Saïd Omar Oili qui faisait partie des trois rapporteurs aux côtés de Georges Naturel, et Tani Mohamed Soilihi. Tous deux ont pris la parole pour souligner les difficultés spécifiques du département et poser des questions sur les moyens de mieux soutenir le territoire au niveau national et européen.
Saïd Omar Oili a d’abord rappelé la richesse naturelle de l’île et la faiblesse des investissements européens dans la région. « Je regarde de près Mayotte, où aujourd’hui nous avons cette richesse en matière de gaz et de pétrole mais en même temps il y a moins d’investissement de l’Europe justement dans cette région ». Il a mis en garde contre la présence croissante d’acteurs étrangers dans la zone tels que la Chine et la Russie notamment aux Comores. « Nous sommes absents, malheureusement et surtout l’Union européenne », le sénateur mahorais a ensuite poursuivi en disant que « c’est dommage car quand on regarde l’océan Indien, toutes ces îles-là appartiennent à la France », a-t-il dit avec une pointe de désolation.
Le sénateur a également profité de sa prise de parole pour poser plusieurs questions concrètes concernant le financement et la résilience du territoire. Il a notamment interrogé sur le maintien du taux de financement spécifique de 85 % dans les projets financés par l’Europe, et sur la possibilité pour la flexibilité budgétaire revendiquée par la Commission européenne d’être un levier face aux catastrophes climatiques. « Peut-elle être un levier pour faire face aux catastrophes climatiques auxquelles l’Europe et les RUP sont très exposées. Dans la politique européenne, malheureusement, on ne voit pas ces questions-là concernant justement la résilience de nos territoires », a-t-il exposé à Benoît Lombrière. Il a aussi soulevé la question sur l’impact de la réforme de la politique commune de la pêche sur les spécificités de Mayotte, telles que protégées par l’article 349 du traité européen et confirmées par un arrêt de 2015.
De son côté, Tani Mohamed Soilihi a exprimé son accord avec le constat de désintérêt pour les Outre-mer et a cherché à identifier des solutions collectives. « Si vous aviez un modus operandi, une stratégie à nous suggérer, que pourrions-nous faire collectivement pour partir à l’assaut et convaincre la Commission européenne, l’Union européenne de changer ? », a demandé le sénateur au délégué général adjoint d’Eurodom. Sa prise de parole met en lumière le besoin d’accompagnement stratégique et de mobilisation pour faire reconnaître les priorités locales de Mayotte au sein des institutions européennes.
Les réponses face aux inquiétudes des Outre-mer

Face aux inquiétudes exprimées par les territoires ultramarins, Benoît Lombrière a rappelé que la Commission européenne est consciente des défis spécifiques des RUP et que le soutien européen reste essentiel. Il a souligné que les aides reçues, notamment via le Poséi ou la politique commune de la pêche, permettent de compenser les surcoûts liés à l’éloignement, aux besoins de stockage ou aux difficultés logistiques. Comme il l’a précisé : « Les aides qui sont perçues par les agriculteurs et les pêcheurs sont des aides au fonctionnement, elles viennent compenser des handicaps auxquels ils ne peuvent rien, liés au fait qu’ils sont loin et que tout coûte plus cher ».
Lors de l’audition, Saïd Omar Oili avait insisté sur des problématiques concrètes pour Mayotte : vulnérabilité aux catastrophes naturelles, besoins d’infrastructures et de soutien aux filières locales, et inquiétudes sur la flexibilité budgétaire face aux urgences. Il expliquait ainsi : « Le temps que les aides nous parviennent, nous on continue à vivre avec la catastrophe », rappelant que la vie économique et sociale du territoire peut être directement affectée par ces crises.
Il a insisté sur la nécessité de maintenir une visibilité et une prévisibilité des financements, sur le long terme, pour que les acteurs économiques puissent planifier leur activité sereinement. L’idée est de protéger les territoires ultramarins d’une instabilité qui compliquerait la gestion quotidienne des collectivités et des entreprises. Benoît Lambière explique ainsi que « la prévisibilité, ça n’a pas de prix , il faut rester loger à Bruxelles sur des crédits européens et ne pas devoir chaque année repartir à l’assaut d’un projet de loi de finances ».
Shanyce MATHIAS ALI


