Réforme des retraites : Mayotte concernée par la suspension, mais toujours en marge du droit commun

Alors que l’Assemblée nationale examinait ce mercredi 12 novembre la suspension de la réforme des retraites, un rapport remis le 5 novembre par la députée réunionnaise Karine Lebon (GDR-NUPES) rappelle l’ampleur des inégalités qui touchent encore les retraités d’outre-mer. À Mayotte, en particulier, la convergence avec le droit commun reste largement inachevée.

Les députés ont débattu ce mercredi 12 novembre à l’Assemblée nationale de la suspension de la réforme des retraites, dans le cadre de l’examen du budget de la Sécurité sociale. Cette suspension constituait une condition posée par les socialistes pour éviter une censure du Gouvernement à l’ouverture des discussions budgétaires.

À son dépôt initial, le texte ne concernait que les retraités du droit commun. Mais tôt ce matin, le Gouvernement a présenté un amendement élargissant la mesure aux carrières longues ainsi qu’aux catégories actives et super actives de la fonction publique, comme les aides-soignants ou les sapeurs-pompiers. L’amendement inclut également les régimes spécifiques de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, deux territoires qui « se voient appliquer un calendrier particulier de mise en œuvre de la réforme dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024″, précise l’exécutif.

Le Gouvernement estime que cette extension représentera un coût supplémentaire d’environ 200 millions d’euros en 2026 et 500 millions en 2027, et indique que ces montants devront être compensés pour la branche vieillesse par les ajustements prévus dans le projet de loi en discussion.

Au-delà des enjeux budgétaires, cet amendement, arraché sous la pression de la gauche, met en lumière les disparités persistantes entre les territoires ultramarins et l’Hexagone.

Les retraites ultramarines, « miroir des inégalités structurelles »

La députée réunionnaise Karine Lebon (GDR-NUPES). (Assemblée Nationale)

Dans un rapport parlementaire publié le 5 novembre, la députée de La Réunion, Karine Lebon (groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES), analyse les particularités des retraites ultramarines. Elle y évoque ces systèmes comme « le miroir des inégalités structurelles profondes et d’une invisibilité persistante dans les politiques publiques nationales ».

« Les pensions versées dans les territoires ultramarins demeurent plus faibles, plus tardives et plus fragiles qu’en France hexagonale, alors même que le coût de la vie y est beaucoup plus élevé et que l’espérance de vie y est moindre », poursuit la députée. « À La Réunion, le montant moyen d’une pension atteint à peine 1.200 €, contre plus de 1.500 € dans l’Hexagone, tandis que les prix des produits alimentaires y sont supérieurs de 37 % en moyenne. Résultat : plus d’un retraité ultramarin sur cinq dépend de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), contre 4,2 % au niveau national ».

La député déplore que ces écarts « traduisent des carrières hachées, un chômage structurel élevé et des discriminations encore trop fréquentes. Les fonctionnaires d’État ultramarins sont également touchés par des décisions injustes, comme l’exclusion de La Réunion et de Mayotte du nouveau régime additionnel de retraite, censé compenser la suppression de l’indemnité temporaire de retraite (ITR) ».

Mayotte : une convergence encore inachevée

Déjà en 2023 à Sada, les professeurs contractuels réclamaient la mise en place de l’IRCANTEC.

À Mayotte, si l’État conserve la compétence en matière de régimes de retraite, le département reste régi par des dispositions particulières, censées converger progressivement vers le droit commun.

Ainsi, suite à l’adaptation de la réforme de 2023, le nombre d’années de référence pour le calcul des pensions demeure inférieur à celui du reste du territoire national — entre 22 et 24 meilleures années selon la génération, contre 25 années dans l’Hexagone. Les régimes complémentaires Agirc-Arrco et Ircantec ne sont pas encore applicables à Mayotte, bien que ce dernier doive l’être d’ici 2027.

Autre exemple de décalage, le montant maximum de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). Au 1er janvier 2025, il atteindra 1.034,28 euros dans l’Hexagone, contre seulement 678,57 euros à Mayotte.

Ces différences traduisent une réalité persistante, la « convergence » évoquée par Paris reste encore très théorique sur le terrain. Depuis des années les syndicats dénoncent une convergence trop lente des droits, le 8 avril dernier ils avaient appelés une nouvelle fois à la grève. Le sujet des retraites était l’une de leur principale préoccupation.

Maintenir certaines spécificités

Olivier Dussop, Mansour Kamardine, Mayotte, ASPA, retraites
L’alignement de l’ASPA et la réévaluation des retraites brandis régulièrement lors des manifestations à Mayotte.

Le rapport souligne que toutes les particularités des régimes ultramarins ne sont pas défavorables. C’est le cas de l’indemnité temporaire de retraite (ITR), créée en 1952, qui constitue un complément de pension pour les fonctionnaires de l’État, magistrats et militaires résidant dans certains territoires ultramarins.

À La Réunion et à Mayotte, elle correspond à 35 % de la pension de base. Pour en bénéficier, le retraité doit notamment résider au moins six mois consécutifs sur le territoire, avoir l’intention d’y vivre neuf mois par an s’il n’en est pas originaire, et y avoir le centre de ses intérêts matériels et moraux.

Ce dispositif, de moins en moins appliqué, devrait disparaître d’ici 2028. Pour compenser cette perte, la loi de finances pour 2024 (n°2023-1322 du 29 décembre 2023) a instauré un nouveau système d’aide à compter du 1er avril 2024, mais réservé aux collectivités du Pacifique et à Saint-Pierre-et-Miquelon — excluant La Réunion et Mayotte, pourtant concernées par le dispositif initial.

La rapporteure regrette ce choix, estimant qu’il réduit encore le nombre de territoires bénéficiant d’une compensation. Elle avertit que la suppression de l’ITR pourrait faire baisser le niveau moyen des pensions dans les Outre-mer, où les fonctionnaires retraités sont nombreux et jouent un rôle essentiel dans l’économie locale.

Pour une égalité de fait, pas seulement de droit

La Réunion, grève du 2 octobre 2025, manifestation,
Une manifestation contre la réforme des retraites à Saint-Denis de la Réunion en octobre dernier.

Le rapport conclut que, malgré la convergence progressive entre les régimes ultramarins et ceux de l’Hexagone, les inégalités demeurent fortes. Les pensions y sont souvent plus faibles, liquidées plus tard, servies moins longtemps, dans un contexte de vie plus chère et d’espérance de vie plus courte.

Pour la rapporteure, l’égalité entre les retraités hexagonaux et ultramarins n’implique pas l’uniformité. Elle plaide pour une prise en compte durable et adaptée des spécificités ultramarines, soutenant l’emploi et l’économie locale, afin de passer d’une égalité de droit à une égalité de fait.

Enfin, le rapport souligne que la connaissance de la situation de Mayotte reste très lacunaire. Les administrations disposent de peu de données fiables, ce qui empêche encore d’évaluer précisément les besoins et les réalités du territoire.

Victor Diwisch

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