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Mamoudzou

Du stade de Cavani au blocage de l’île: le foncier « bombe à retardement » pour Mohamed Hamissi

La situation au stade de Cavani était prévisible, mais aucune décision n’a été prise à temps. « Il n’y a pas de culture d’anticipation à Mayotte », regrette Mohamed Hamissi. L’expert mobilité est aussi un bon connaisseur des collectivités, il appelle à aménager le foncier pour qu'il ne soit plus un outil "d'appel d'air à l'immigration". 

Les premières tentes de migrants demandeurs d’asile sont apparues il y a plus d’un an, les agents du CD sis à Cavani avaient d’ailleurs alerté, mais peu de réactions en retour. « Alors qu’on n’arrête pas de dire que le foncier est un enjeu primordial à Mayotte, il est laissé en jachère. Il y a beaucoup de foncier public non aménagé, il ne faut pas s’étonner qu’avec le flux migratoire que nous connaissons, il soit aussitôt occupé. On laisse ce domaine public sans projet, et dès qu’on en a un, cela suscite immédiatement des tensions. Car il faut démolir les habitations de fortune, avec des procédures qui sont longues, et des jeunes qui narguent tout le monde en mettant le bazar en représailles. Il faut casser ce cercle vicieux. »

Rappelons que les collectivités ont un pouvoir qu’elles n’exercent pas ou insuffisamment, avec une action à mener dans le délai de flagrance lors de l’implantation des premiers pieux, et avec le plan de lutte contre l’habitat indigne que peu ont adopté.

Mohamed Hamissi décrit les multiples enjeux stratégiques de la valorisation du foncier

Rien qu’à lui seul, le stade de Cavani est un roman, « on a dépassé les deux décennies de travaux, et il n’est toujours pas inauguré », mais il n’est pas le seul, « la maison des associations au rond-point du stade, se détériore, on sacrifie les infrastructures par manque d’entretien », et de l’annexe Abdallah Madi qui est à côté, on pourrait faire un centre d’hébergement pour sportifs ou pour les jeunes travailleurs. Et alors même que des politiques d’aménagement commencent à voir le jour : « Avec les bâtiments de la SIM qui vont sortir de terre de l’autre côté du rond-point, la rue qui rejoint le centre commercial va devenir prisée, et en face, on aura une zone laissée à l’abandon, avec le quartier Mandzarsoa qui devient une zone de non-droit. On ne peut pas laisser cette zone se dégrader, alors que c’est censé être un haut lieu du sport et que les habitants des résidences SIM auront besoin d’être en sécurité. Il faut une cohérence dans les aménagements. »

L’aménagement comme frein à l’immigration

Mohamed Hamissi évoque plusieurs infrastructures en déficit d’entretien, « le terrain de foot de Chiconi, celui de Pamandzi, le gymnase de Cavani. Ce dernier fait l’objet de petits travaux de rénovation, mais tout est cassé, le chantier est à la dérive. Il vaut mieux détruire et reconstruire, ça coutera moins cher. »

Encore une fois se pose la question de l’entretien et de la gestion des équipements sportifs qui relèvent du conseil départemental. Une structure avait été montée à cet effet, mais a été dissoute il y a plus de dix ans. « Pourquoi ne pas lancer un appel à projets pour gérer ces équipements ? », interroge celui qui répète constamment qu’avant d’externaliser, il faut que la collectivité soit en capacité d’encadrer et de contrôler, et donc se doter d’un cadre compétent. « Et plus globalement, qu’il soit en capacité d’aller au-delà du projet sportif pour faire de l’aménagement du territoire. »

Une problématique qui, on le voit, peut vite faire

En 2013 déjà, faute de surveillance, un incendie avait dégradé une partie du stade de Cavani

boule de neige : « Tout le monde voyait que les migrants s’installaient peu à peu. On demande maintenant à l’Etat de prendre ses responsabilités sur les entrées massives, mais nous les collectivités, nous devons prendre notre part, nous ne devons pas fuir les problèmes mais les affronter. On part du stade, et au bout du compte, c’est toute l’île qui est paralysée par des barrages de protestation. »

Il critique un foncier non géré qui semble offert à chacun, « on dit qu’on manque de foncier pour les projets, mais on en a plein. Si le stade de Cavani avait été bien aménagé aujourd’hui, nous n’aurions pas eu 700 demandeurs d’asile. Les conséquences sont catastrophiques pour tous ».

Le foncier comme appel d’air

Même préoccupation de l’aménagement pour ce qui est son dada, la mobilité : « Le foncier autour du trajet du boulevard urbain de Mamoudzou va-t-il être urbanisé justement ? Ou va-t-il traverser les bidonvilles et prendre le risque de faire caillasser les véhicules qui l’emprunteront ?! »

On le voit, le foncier est un enjeu stratégique, jusqu’à devenir une arme de la lutte contre l’immigration clandestine, selon lui : « Le foncier participe à l’attractivité de notre territoire, ce qui alimente les flux migratoires. Sans terrain, où s’installeraient les migrants ? Or, à qui appartiennent les terrains où les jeunes se réfugient ? Pourquoi ne sont-ils pas aménagés ? Ou cédés à des agriculteurs ? »

Le délai de flagrance aurait pu être saisi pour cette installation que nous avions photographiée début décembre 2023 au stade de Cavani

Pour lui le foncier est « une bombe à retardement », « il est précieux, les mahorais doivent régulariser leurs terrains ». Et pour motiver tout le monde, il invite à se projeter sur Mayotte 2040, « il faut anticiper sur les aménagements à venir et sécuriser le foncier immédiatement ».

Et met en garde sur la gestion du chantier de celui que nous avions estampillé le « stade des amendements » : « Quand le camp de Cavani sera démantelé, cela ne va pas régler le problème. Il faut d’une part prendre des décisions courageuses sur le chantier du stade et tout démolir et reconstruire s’il le faut, car c’est devenu une usine à gaz. Et maitriser les enjeux de la reconquête foncière, or, on en est loin. N’en déplaise à mon ami Ambdilwahedou Soumaila, avant de s’interroger sur le bon statut pour Mayotte, il faut appliquer toutes les dispositions que nous offre la départementalisation. »

Sur un territoire de 374 km2 qui accueille déjà la misère du monde, plus que le foncier, c’est son aménagement qui devient stratégique.

Anne Perzo-Lafond

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