La rencontre, qui s’est tenue à l’hémicycle Younoussa Bamana, s’est ouverte sur les mots de Marine Neuville, présidente du FIPHFP, qui s’est dite « très honorée d’être à Mayotte, de partager ce moment avec les Mahorais et de pouvoir contribuer à améliorer la vie des personnes en situation de handicap ».
Cette étape mahoraise s’inscrit dans le Tour de France des vingt ans du FIPHFP, lancé pour célébrer deux décennies d’action depuis la loi du 11 février 2005. Ce texte fondateur, qui reconnaît le handicap comme une question de société, a posé les bases d’une politique publique durable pour l’égalité des chances. Le FIPHFP, créé à la suite de cette loi, soutient les employeurs publics dans le recrutement, la formation et le maintien dans l’emploi des personnes handicapées. En près de vingt ans, le taux d’emploi a progressé de plus de deux points, atteignant aujourd’hui 5,93 %.
Des échanges ancrés dans la réalité mahoraise

Au fil des échanges, plusieurs intervenants ont apporté un éclairage précieux sur la situation dans le département. Le conférencier Daroussi Ahamadi a ouvert la table ronde avec une lecture socio-historique du handicap sur l’île, rappelant que certaines représentations culturelles peuvent encore freiner la reconnaissance des situations de handicap. « Ici, le regard sur la différence est parfois teinté de préjugés. Mais les mentalités changent, notamment grâce à la sensibilisation dans les écoles et les institutions publiques ». Le docteur Martine Eutrope, médecin agréé, a tiré la sonnette d’alarme sur les enfants et adolescents atteints de handicaps. « Chaque mois, nous recevons en pédiatrie environ deux cas d’enfants présentant des troubles comme l’autisme, souvent amenés par les parents ou signalés par les écoles. Et de nombreux adolescents non diagnostiqués arrivent encore tardivement », a expliqué la professionnelle de santé présente sur le territoire depuis treize ans. Face à la pénurie de médecins du travail et de spécialistes à Mayotte, elle a également souligné la difficulté d’assurer un suivi adéquat et proposé des solutions concrètes. « L’objectif est de mettre en place un projet handicap et télé-médecine pour réduire le stress lié aux déplacements pour les patients et permettre un suivi adapté à chacun ».
Le ton s’est ensuite fait plus optimiste avec les interventions orientées sur l’inclusion et la formation. Sabah Lamèche, conseillère de la Rectrice, Déléguée Régionale Académique à la formation professionnelle initiale et continue et directrice du GIP-FCIP, a insisté sur l’importance de sensibiliser et de former pour mieux inclure les jeunes en situation de handicap. Malgré les obstacles et la perception encore limitée du handicap à Mayotte, elle a souligné les avancées concrètes . En effet, le Greta-CFA accueille aujourd’hui 394 élèves, dont certains en situation de handicap, et des personnes ressources ainsi qu’un service d’accessibilité universelle commencent à structurer l’accompagnement. « Former les jeunes en situation de handicap, c’est préparer une fonction publique qui ressemble à la société qu’elle sert », a partagé la conseillère. La création récente d’un référent handicap au Greta-CFA permet désormais d’informer les apprentis sur leurs droits, de soutenir les coordinateurs d’apprentissage et de sensibiliser les entreprises. Selon elle, ces dispositifs, organisés autour de trois étapes : sensibilisation, formation, et diffusion d’information, montrent que des solutions existent et que, petit à petit, l’inclusion des jeunes se construit sur le territoire.
Témoignages : le quotidien des handicaps invisibles

Au fil de la matinée, les témoignages ont pris une dimension très humaine, rappelant que le handicap n’est pas toujours visible et que les obstacles sont souvent doubles : physiques et sociaux. Laylati Abdourahamane, responsable administrative et financière à la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), a raconté son parcours avec l’endométriose, diagnostiquée en 2014. Elle décrit un chemin semé d’incompréhensions . « Au début, les gens me disaient que ce n’étaient que des règles douloureuses, que ça passerait », a confié la jeune femme avec une pointe d’émotion. Les symptômes aigus au bas du dos et du ventre ont eu des répercussions sur sa vie professionnelle, sociale et personnelle, et elle confie que ce n’est que progressivement qu’elle a pu reconnaître sa maladie et bénéficier d’aménagements . « Je ne me perçois pas comme une personne en situation de handicap, mais grâce à la Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) et aux adaptations au travail, je peux enfin m’épanouir. Pour ceux qui vivent la même situation, je leur dirais : n’hésitez pas à faire reconnaître vos droits ! ».
Mélina Farsi Saïd, alternante en ressources humaines à la mairie de Mamoudzou, a elle aussi partagé le parcours complexe imposé par son épilepsie de naissance. Entre isolement social, jugement des autres et obstacles administratifs, elle décrit un véritable parcours du combattant : « Pendant longtemps, je préférais rester chez moi, enfermée, parce qu’il n’y avait pas d’inclusion et que le regard des autres pesait beaucoup sur moi. Quand j’ai voulu faire reconnaître ma situation à la MDPH, j’ai dû déposer mon dossier seule, et un an après, il n’avait toujours pas été traité… ». Elle a donc dû se tourner vers des associations pour obtenir de l’aide et faire valoir ses droits.
Des trophées pour saluer l’engagement

Moment fort de la rencontre : la remise des Trophées Emploi public & Handicap, créés spécialement pour les vingt ans du FIPHFP. Ces prix visent à féliciter les employeurs publics les plus investis dans l’inclusion, autour des thèmes du recrutement, du maintien dans l’emploi, de la sensibilisation et de l’accessibilité.
Sur le 101ème département, plusieurs institutions ont été distinguées pour leurs initiatives concrètes. La commune de Mamoudzou a été saluée pour ses actions de recrutement et d’apprentissage favorisant l’insertion en milieu ordinaire. L’Agence Régionale de Santé a été récompensée pour son engagement dans le maintien dans l’emploi et le suivi des parcours professionnels. Le Centre Hospitalier de Mayotte a reçu un trophée pour ses aménagements et reclassements innovants, tandis que la mairie de M’tsamboro a été félicitée pour sa communication, sa sensibilisation et ses partenariats. Le Centre de gestion de Mayotte (CDG), quant à lui a été nommé coup de coeur du jury.

Juste après cette remise, la signature du renouvellement de la convention entre le FIPHFP et le CDG a été officialisée entre les deux parties. En clôture, la présidente du Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, Marine Neuville, a salué « la mobilisation de tout un territoire » et rappelé que « quand tout le monde s’implique, tout peut devenir possible ».
Après Mayotte, le Tour de France des vingt ans du FIPHFP poursuivra sa route à Angers, le 2 décembre prochain, avant de s’achever à l’été 2026 par un grand colloque national.
Shanyce MATHIAS ALI


