À Mayotte, le déficit de médecins est chronique. D’après une cartographie de l’offre de soins de l’ARS, le territoire comptait 29 médecins de ville au début de l’année 2025 pour une population de 329.000 personnes, selon l’Insee. Cela représente à peine neuf médecins pour 100.000 habitants, contre plus de 330 en métropole.
Une densité médicale critique

L’île, déjà marquée par une forte croissance démographique et des besoins de santé accrus, est considérée comme le plus grand désert médical de France.
Les rares médecins libéraux sont concentrés autour de Mamoudzou, le chef-lieu, où il est encore possible d’obtenir un rendez-vous. Dans le Nord et le Sud, la situation est beaucoup plus tendue. Les dispensaires publics sont débordés, et les habitants doivent parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour consulter un généraliste. Une première maison médicale pluridisciplinaire a ouvert à Ouangani en 2024, mais ce genre d’initiatives reste isolé.
À ce rythme, la médecine de ville mahoraise demeure exsangue. Et quand le cabinet du quartier ferme ou que le généraliste n’est plus joignable, les habitants n’ont guère d’autre choix que de se tourner vers l’hôpital.
Le CHM, bouée sous pression

Le Centre hospitalier de Mayotte (CHM) est ainsi devenu la véritable colonne vertébrale du système de soins de l’île. Ses équipes absorbent une activité débordante : urgences régulièrement saturées, maternité la plus active de France, files d’attente interminables. L’hôpital assure à lui seul la quasi-totalité des soins spécialisés du département et compense, autant que possible, l’insuffisance de la médecine libérale.
Mais là aussi, le manque de personnel est criant. Pour maintenir les services essentiels, le CHM a ouvert en 2025 61 postes pour des praticiens à diplôme hors Union européenne (PADHUE). Publié le 30 août dernier au Journal officiel, un arrêté recense 259 postes vacants en Outre-mer destinés à être pourvus par des praticiens titulaires de diplômes hors Union européenne. À Mayotte, 61 postes sont donc concernés, un renfort vital dans un territoire classé « zone rouge » en termes de désert médical.
Ces médecins, venus d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne ou d’Europe de l’Est, représentent désormais une part importante de l’effectif médical de l’hôpital. Sans eux, certains services tourneraient au ralenti, voire devraient fermer temporairement.
À ces renforts s’ajoutent les praticiens métropolitains en mission courte, souvent sous contrat de quelques mois. Mais la rotation – le fameux turnover – est telle que le CHM doit sans cesse relancer de nouveaux recrutements, dans un cycle d’urgence permanent.
Un miroir des tendances nationales

Mais le recours aux médecins à diplôme étranger n’est pas propre à Mayotte. Il s’inscrit dans une dynamique mondiale que détaille l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans son rapport « Perspectives des migrations internationales 2025″. Entre 2001 et 2021, le nombre de médecins nés à l’étranger exerçant dans les pays membres a bondi de 86 %, et celui des infirmiers de 142 %. La France n’échappe pas à cette tendance : 18 % des médecins y sont aujourd’hui nés hors du territoire national. Les principaux pays d’origine sont l’Algérie, la Tunisie, le Maroc et la Roumanie, note l’OCDE.
Ce recours croissant à des praticiens formés ailleurs répond à un déséquilibre structurel : un nombre insuffisant de diplômés français pour compenser les départs à la retraite et les postes vacants dans les territoires les plus isolés. L’État a longtemps limité les capacités d’accueil en faculté de médecine – via le fameux numerus clausus – avant de commencer à les relever, trop tard pour combler la pénurie actuelle.
À Mayotte, ce phénomène est démultiplié. La rotation rapide des médecins venus en renfort, l’absence de formation médicale sur place et le faible nombre de jeunes Mahorais engagés dans des études de santé créent une dépendance durable aux praticiens venus de l’étranger.
Mathilde Hangard


