« Dans une île où les gens s’angoissent, il faut rétablir l’ordre des choses ». Bacar Mohamed, maire de Tsingoni, en prélude à la signature des deux conventions avec le parquet de Mayotte, est revenu dans ses propos sur les « heures sombres de Tsingoni », lorsque la commune était entachée de « conflits intervillageois ». Une situation ayant conduit, selon le maire, certains habitants, victimes de ses affrontements à « perdre » le lien de « confiance » avec « les forces de l’ordre » et « la justice ». Si la paix semble depuis revenue dans la commune, le premier édile s’interroge, au regard des faits divers ayant émaillé l’actualité de ces dernières semaines : « pour combien de temps le calme est-il revenu ? ».
S’attaquer au « spectre bas des actes de délinquance »
A l’instar de La querelle des deux lézards, conte illustrant les conséquences tragiques de l’indifférence, les protagonistes étant emportés par leur négligence ayant refusés d’intervenir au-devant d’une vulgaire chamaillerie entre deux petits reptiles, la signature des conventions rappelle à sa manière qu’il n’y a pas de petites querelles. Ces dernières, si elles ne sont pas traitées en amont peuvent générer des conséquences bien plus désastreuses. Les deux conventions entendent ainsi traiter, selon le procureur de la République, le « spectre bas des actes de délinquance », c’est-à-dire les « incivilités ». Ces mêmes incivilités qui, si elles ne sont pas traitées « peuvent donner l’impression d’un sentiment d’impunité », participent à leur échelle « au sentiment d’insécurité général ».
Une réponse rapide et de proximité
Le tribunal judiciaire n’étant « pas en capacité de traiter rapidement les affaires » que sont la dégradation des biens publics, insultes à l’autorité ou encore les dépôts sauvages d’ordures, les conventions permettent d’apporter une réponse rapide et de proximité sous l’égide du maire de la commune. Avec le rappel à l’ordre, l’objectif consiste à rappeler les peines encourues, et les conséquences éventuelles d’une récidive. Le processus de transaction, quant à lui, concerne les incivilités un peu plus graves pour lesquelles un rappel à l’ordre n’est pas suffisant. Dans ce cas, la personne ayant commis l’infraction peut se voir proposer de réparer financièrement la dégradation ou bien réaliser des travaux d’intérêt général en compensation.
Dès lors, si les constatations sont réalisées par la police municipale, la procédure passe ensuite entre les mains du maire. Ce dernier prend alors contact avec le parquet, l’autorisant, ou non, au rappel à l’ordre et à la transaction. Certes, de l’avis du procureur, « il ne s’agit pas d’une solution miracle » pour résorber les actes de délinquance mais constituent un outil supplémentaire pour y lutter. D’ailleurs, depuis un an, sept communes ont déjà signé ces conventions avec le parquet.
« Je ne peux pas entendre que l’Etat est totalement absent »
Le procureur s’est par ailleurs longuement arrêté sur la situation sécuritaire à Mayotte. Certes, si « ce serait se moquer du monde de dire que tout se passe bien », Yann Le Bris récuse les critiques incriminant l’insuffisance des actions de l’Etat. « Je ne peux pas entendre que l’Etat est totalement absent », s’est-il exprimé, faisant écho à la présence sanctuarisée du 4e escadron de gendarmerie, du déploiement de 200 personnes pour sécuriser chaque matin les transports en commun ainsi que du lourd tribut payé par les forces de l’ordre : « il n’y a pas une journée sans qu’un gendarme ou un policier soit blessé ».
Le procureur a ensuite abordé les attaques concernant le laxisme de la justice. Certes, si « la délinquance sur le territoire est hors norme » que ce soit au regard « de la nature des faits » ou du « nombre de prévenus par dossier », les sessions d’assises se sont adaptées aux caractéristiques du territoire, leur nombre étant passé, en deux ans, de 3 à 9 par an. En outre, avec plus « de 500 détenus dans la maison d’arrêt » et « un taux d’occupation de 180 % », le procureur a souhaité relativiser l’inaction de la Justice à Mayotte.
La délinquance des mineurs reste bien en deçà de celle des majeurs
Concernant la délinquance des mineurs, le procureur a battu en brèche les affirmations prétextant qu’elles seraient uniquement l’apanage des mineurs. Ainsi sur « 100 affaires, seules 30 sont le fait de mineurs délinquants ». Parmi ces 30 %, seulement « 10 % sont le résultat de mineurs isolés », la grande majorité étant le fait « de mineurs ayant des parents ». Des chiffres, selon lui, permettant « d’éviter les raccourcis rapides », d’autant que « les 30 places en quartier des mineurs à Majicavo sont souvent pleines ». « Il n’y a pas d’angélisme de la part du parquet », note Yann Le Bris avant d’ajouter, « ma mission, c’est de faire respecter les lois de la République ».
Si sur le papier les conventions signées semblent y travailler, sur le terrain, la situation paraît davantage mitigée. Signataire en février dernier de ces deux conventions, le maire de Dzaoudzi-Labattoir, interrogé à la suite de l’incendie de l’intercommunalité de Petite-Terre, apportait un discours critique à l’encontre de cette boîte à outils : « ces rappels à la loi, j’ai essayé de le faire. Mais souvent ce sont les parents des délinquants qui viennent et nous menacent », avant de conclure, « si les familles de ces enfants ne jouent pas le jeu, on a échoué d’avance ».
Pierre Mouysset