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Mamoudzou

Bidonville : Elisabeth Borne confrontée aux enjeux immenses du relogement à Mayotte

Dans le département le plus pauvre de France, les communes doivent se débattre avec des moyens souvent insuffisants pour rénover l’habitat insalubre. Les délais sont trop longs et le cadre réglementaire n’aide pas, se faisait expliquer la Première ministre qui dégaine son OIN sur trois collectivités.

A peine le pied posé en Grande Terre, Elisabeth Borne prenait les chemins escarpés qui mènent aux bidonvilles de Mavadzani et Massimoni, sur les hauteurs de Majikavo Dubaï. Sur cette zone, ce sont 20 hectares de cases en tôle qui s’entassent les unes sur les autres, avec en amont une vue imprenable sur le lagon, et en aval, une cascade de déchets qui finissent sur la plage de Dubaï en contrebas les jours de fortes pluies. Il y a quelques années, nous nous étions rendus sur le terrain, en pensant l’endroit perdu pour la cause, sans se douter que les équipes de la mairie allaient retrousser leurs manches avec l’ambition qu’un jour, les habitants « vivent dans une ville dont ils sont fiers » pour reprendre les propos du maire Assani Saindou Bamcolo. Et on imaginait encore moins qu’une cheffe de gouvernement viendrait y fouler le sol.

Nous en avons régulièrement rapporté les échéances, c’est un défi énorme que relève la commune de Koungou, avec une expertise amenée en premier lieu en 2019 par l’ANRU. Les équipes de rénovation urbaine ont apporté un surcroit d’ingénierie bienvenu à la mairie, et ce sont des projets où sont pointés les différents freins qui ont été présentés à la ministre. « Le site est symbolique des problématiques que l’on rencontre à Mayotte, de fortes tensions sécuritaires, de salubrité, de péril, nous avons eu des cas de typhoïde sur la commune », rapporte à Elisabeth Borne Vanille Guichard, coordinatrice des projets d’aménagement de la commune de Koungou.

Montagne de déchets, et lavage du linge devant la délégation ministérielle

Ce qui a incité le préfet à prendre en octobre dernier un arrêté d’expulsion un peu particulier, une DUP Vivien, Déclaration d’utilité publique particulière qui est la version moderne de l’arrêté d’insalubrité ou de péril. Cela va permettre de maitriser le foncier, puis de passer à la phase de démolition des logements, « redoutée à la fois par les élus et par la population », mentionnait encore Vanille Guichard, pour reloger temporairement les habitants en situation régulière comme le parc de 21 logements qui était présenté à Elisabeth Born, en attendant le relogement durable et l’aménagement.

Les communes rament face aux investissements à mener

Des phases qui ne se font pas sans difficultés. Car en entendant parler de démolition de cases, des habitants partent pour s’installer ailleurs, c’est le cas ici à Massimoni qui a accueilli les habitants de feux-les quartiers Jamaïque et Carobolé. Pendant son périple, Elisabeth Borne a rencontré plusieurs habitants. « Je sais que j’ai construit sur un terrain qui ne m’appartient pas, et je veux bien être relogé ailleurs, mais c’est long », rapporte une boueni avec traduction à l’appui à la première ministre.

Nous avons interrogé le gérant de l’entreprise i2M, Jean-Luc Potier, Fabriquant de structures métalliques, qui nous rapporte ses difficultés : « Nous avons du retard dans la mise en place des Algeco destinés au relogement en raison du respect de plusieurs normes, les contraintes sismiques, l’assainissement, etc. Et nous ne fabriquons encore que partiellement les structures, avec l’ambition de tout maitriser à terme. En tout cas, nous avons grandement améliorés les services proposés depuis Hamachaka, en ayant renforcé les espaces communs notamment ».

Vanille Guichard rapportait les étapes d’une opération hors norme en France

Des défis de trop grande envergure pour la commune qui demande à être accompagnée. « Pour ne citer qu’un exemple, les programmes de constructions scolaires sont démultipliés mais avec des moyens réduits pour la ville qui ne peut pas gérer. Il faut qualifier le projet d’intérêt public majeur comme à Paris en 1940 pour rénover ces habitats insalubres », rapportait Vanille Guichard. Le maire Assani Saindou Bamcolo a proposé un espace pour un équipement public majeur, la cité judiciaire, « deux courriers ont été adressés dans ce sens au ministère de l’intérieur ». Nul doute qu’Elisabeth Borne fera redescendre l’information à son ministre… Psylvia Dewas, chargée de la résorption de l’habitat insalubre à la préfecture, renchérissait, « ce type de projet de démolition/reconstruction doit être porté par les communes, mais les financements ne permettent pas de les réaliser. Nous espérons que cela sera possible par le Pacte des solidarités », la déclinaison du gouvernement pour la lutte contre la pauvreté.

« Pas digne de notre pays »

Elisabeth Borne l’a annoncé, elle arrive avec dans sa hotte une mesure demandée par les élus en 2018, une Opération d’Intérêt National (OIN) sur trois collectivités, Mamoudzou, Koungou et Dembéni, « qui représentent 70% des bidonvilles de l’île ». Elle va permettre de « préempter plus rapidement les terrains, et de dispenser de permis de construire l’implantation de nouveaux habitats », ont expliqué les conseillers de la Première ministre. Pour le préfet Thierry Suquet, « l’articulation OIN-ANRU va permettre de mutualiser des outils d’ingénierie. Car nous n’arrivons pas à trouver d’articulation entre le constructeur de logements sociaux et le gestionnaire du site ». `

Parallèle entre le bidonville de Clignancourt (Paris) en 1940 et Mavadzani

Difficile à entendre pour Elisabeth Borne : « Il faut qu’on arrête d’avoir des textes réglementaires inapplicables dans la réalité ! » Avant de poursuivre dans un point presse : « Il y a des milliers de personnes à Mayotte qui vivent dans des bidonvilles, ce n’est pas digne de notre pays. Même si cela est lié à l’immigration illégale, ceux qui sont en situation irrégulière doivent être reconduits, et les autres, relogés dignement. »

Pour résumer l’écart entre la réalité et les enjeux, Psylvia Dewas rapportait un chiffre sur les trois communes couvertes par l’OIN qui représentent 70% des bidonvilles de l’île, « c’est-à-dire environ 70.000 personnes. Là, nous venons de visiter des logements pour 21 familles… »

Anne Perzo-Lafond

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