« Avec cette croissance de 16% de la population en 2021, nous estimons la population de Mayotte à 299.350 au 1er janvier 2022 », indiquait Bertrand Aumand, chef du service régional de l’INSEE à Mayotte, sur un sujet qui va engendrer des brèves de comptoir. Soit 300.000 habitants environ.
Le surplus de naissance de 2021 par rapport à l’année précédente est de 1.430 (+16%), représentant des consommateurs supplémentaires de services publics. Il faudra par exemple prévoir des crèches, des classes en plus pour les scolariser, des médecins pour les soigner, sur un territoire qui est déjà fortement déficitaire en la matière.
Après une baisse des naissances lors de l’année Covid en 2020, 9.180, l’Institut National de la Statistique et des Etudes économiques (INSEE) avait annoncé un rebond l’année suivante. Gagné ! Il y aura donc eu 10.600 accouchements dans les maternités de l’île, fortement concentrées sur le mois de décembre, +43% par rapport au même mois de l’année précédente. Si les mères de nationalité étrangère sont toujours à l’origine des trois quarts des naissances depuis 5 ans, étant donné que l’ensemble est en hausse, c’est donc qu’elles sont plus nombreuses. « Les mères de nationalité comorienne donnent naissance à 7.400 enfants », nous dit l’INSEE, soit 1.110 de plus qu’en 2020, +18%, et une hausse de 23% pour les mères de nationalité malgache, contre +9% pour les mères de nationalité française.
En plus de bébés nés de mères déjà présentes sur le territoire, il y a donc eu de nouvelles arrivantes.
Échec des politiques d’encadrement de la démographie
Mayotte reste donc le département français à la plus forte fécondité avec 4,6 enfants par femme, contre 3,6 en Guyane, et 1,8 en métropole.
La moitié des enfants sont nés d’un père de nationalité étrangère, « principalement comorienne », ils sont 54% à avoir au moins un des parents français. Une tendance en diminution, ainsi 46,5% des enfants sont nés de deux parents étrangers et ne pourront prétendre à la nationalité française* que sous conditions dictées notamment par les amendements Thani, « depuis 2016, la proportion de nouveau-nés qui ont un des parents français est en baisse ».
A ce stade des données, on peut en déduire que les amendements Thani n’ont pas eu les effets escomptés. Soit en raison du manque de communication sur l’obligation pour un des parents d’être en situation régulière sur le territoire dans les trois mois qui précèdent la naissance de son enfant, soit parce que l’objectif d’accoucher à Mayotte est ailleurs. En tout cas, s’il fallait une étude d’impact avant un éventuel passage à un an de présence d’un des parents comme le souhaite Gérald Darmanin, elle est servie sur un plateau… Le sénateur Thani Mohamed Soilihi demandait lui-même un bilan, et dans une tribune du Huffingtonpost, répond à ses détracteurs en fustigeant l’immobilisme, et appelle notamment à une politique diplomatique ferme de la France à l’encontre de l’Union des Comores et un renforcement de la coopération régionale en matière de santé. De même, les politiques de régulation des naissances sont insuffisantes, voire décalées.
Enceinte à 14 ans
Beaucoup trop d’adolescentes se retrouvent enceintes, « en 2021, 470 enfants sont nés de mères mineures, soit 415 de plus qu’en 2020. Cette part de mères mineures, 4,4%, est moindre qu’en Guyane, 5,1%. Surtout, parmi ces jeunes mamans, 120 avaient moins de 15 ans, et ont donc conçu à 14 ans.
Sur les plus de 10.000 naissances, 900, soit prés de 10% ne se sont pas déroulées dans une maternité (CHM, où sont nés 6.880 enfants, ou centres de référence), « c’est deux fois plus qu’en 2020 ». Dans un cas sur trois, les mères n’ont pas bénéficié d’assistance médicale.
Fait intéressant, il n’y a pas plus de mères qui accouchent à La Réunion ou en métropole qu’avant, 240, elles sont même moins nombreuses qu’en 2019.
Les causes de la surmortalité sont ailleurs
Pour comptabiliser l’évolution des décès, l’INSEE a choisi de se référer à l’année 2019, avant le Covid. On en a enregistré 1.140 en 2021. La forte augmentation du nombre de décès, +47%, est annoncée comme beaucoup plus importante qu’en métropole, +7,6%. Il est expliqué que les décès augmentent plus fortement au 1er trimestre en lien avec le pic de contaminations de Covid-19. Nous nous sommes replongés dans les bulletins ARS de cette période où Mayotte était fortement touchée par le variant Sud-Africain. Il s’avère que le nombre de décès enregistrés ne peut pas être imputé au seul Covid comme semble le faire l’INSEE. En effet, le 21 janvier 2021, l’ARS indiquait 58 décès, qui augmentaient à 185 au 31 décembre 2021. C’est à dire qu’il y a eu, selon l’ARS, 130 décès liés au Covid sur l’année 2021. Or, l’INSEE indique une mortalité très supérieure pour cette année là, 1.140. Dont 90% ne sont pas expliqués donc…
Pour tenter de l’expliquer, on peut remonter début 2020, quand l’INSEE Mayotte avait noté une surmortalité avant l’arrivée du Covid sur le territoire en mars de cette année là, l’ex-directeur de l’INSEE Mayotte, Jamel Mekkaoui, avait alors évoqué la possibilité que l’épidémie de dengue soit responsable d’une partie de la surmortalité.
Nous nous étions également tourné vers Santé publique France qui nous avait livré un début d’explication : « La surmortalité révélée par l’INSEE porte sur la période allant de mi-septembre 2021 à début février 2022, soit avant la vague Omicron de février 2022. Par contre, cela correspond à l’épidémie de grippe précoce et qui s’est étalée en 2021 », nous indiquait alors Hassani Youssouf, Epidémiologiste, en charge de SPF Mayotte. Ce n’est qu’une hypothèse de travail, nous avait-il indiqué, tout en mentionnant que cette épidémie arrivait sur une population non immunisée après des épisodes de confinement, et peu vaccinées contre la grippe. Phénomène aggravant, le vaccin inoculé correspondait à la souche relevée dans l’hémisphère Nord, pas adapté à Mayotte donc…
L’espérance de vie recule
Des malades qui étaient « majoritairement » décédés à domicile, « et donc, pas enregistrés dans le système de surveillance classique », signalait enfin SPF.
Pour en revenir aux statistiques de l’INSEE, et comme un continuum de l’année précédente, l’espérance de vie recule de deux ans à Mayotte, les femmes peuvent ainsi espérer vivre jusqu’à 74 ans (contre 85 ans sur le reste du pays), et les hommes 72 ans (contre 79 ans). Enfin, la mortalité infantile est de 8,8 pour 1.000 enfants, contre 3,5 en métropole.
Et pour 2022, les mêmes tendances à la hausse se confirment sur les naissances et les décès. De janvier à juillet 2022, le territoire a enregistré 6.700 naissances, « soit 210 de plus que sur la même période en 2021, +3% ». Et sur ces 7 premiers mois de 2022, on enregistre 550 décès, « soit 90 de plus qu’en 2019 sur la même période, +19% ». L’INSEE relie ces décès en hausse à l’accroissement de la population. Mais il est communément admis que le taux de décès liés à la croissance de la population est de 4%. Il faut donc comprendre ce qui se cache derrière ces 15% de décès supplémentaires.
Anne Perzo-Lafond
* Tout enfant né en France de parents étrangers, même en situation irrégulière, peut solliciter entre 13 et 18 ans la nationalité française s’il a été scolarisé sur le territoire un nombre suffisant d’années