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Mamoudzou

Quand le vice-président du tribunal rend la justice sur les réseaux sociaux

Jusqu’où peut être mené le combat idéologique quand on est magistrat ? Le conseil supérieur de la magistrature donne quelques indications claires, alors que sous un pseudonyme, Benoit Rousseau, alias juge Clarence, attaquait sur X tous les partisans de l’opération Wuambushu, particulièrement les parlementaires mahorais.

Des tweets titrés « I Sue U » (je te poursuis en justice, en anglais) prenant position contre l’opération Wuambushu, particulièrement virulents notamment au début de l’opération du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, étaient tous signés « Juge Clarence ». Une prise de position qui n’a rien de répréhensible en soi à première vue, puisqu’elle relève de la liberté d’expression. Jusqu’à ce que le Journal de l’Ile de La Réunion n’identifie son auteur comme étant Benoit Rousseau, jusqu’à très récemment vice-président du Tribunal Judiciaire de Mamoudzou, après avoir occupé ce poste à Cayenne (Guyane).

« Stopper l’opération ‘Uwambushu’ à Mayotte est un devoir de solidarité », tweete-t-il sur X (Ex-Twitter) en mars 2023 alors que l’opération a commencé, « A Mayotte, Darmanin prépare la chasse aux comoriens », lance-t-il un peu plus tard.

Nous avons récupéré des messages datés de 2017 où le pseudo « I Sue U » est signé Benoit Rousseau, ce qui ne l’a plus été par la suite.

Benoit Rousseau était vice-président du Tribunal judiciaire de Mamoudzou

On peut s’interroger sur la façon dont ont été jugées les affaires de passeurs de kwassa si ceux-ci sont vus comme des sauveurs d’une population démunie qui viendrait chercher refuge dans leurs pays à Mayotte et non comme des profiteurs de la misère humaine comme semble les qualifier la loi. Ou les cas de reconnaissances frauduleuses de paternité, etc. Il semble d’ailleurs que les recours en appels du parquet sont plus nombreux depuis quelques mois.

La prise de position du juge contre l’opération Wuambushu rappelle celle publiée ouvertement dans un communiqué de la section locale du Syndicat de la Magistrature. Qui accuse l’Etat d’avoir lui-même créé de l’immigration clandestine à Mayotte « en fermant les frontières ultramarines » et en ne prenant pas « conscience de l’histoire, du contexte et de la nature de l’immigration mahoraise ». Alors que des brigades de magistrats étaient envoyés en renfort par le ministre de la Justice pendant Wuambushu en perspective d’éventuels nombreux recours, le Syndicat dénonçait « l’instrumentalisation dont fait l’objet l’institution judiciaire qui se retrouve mise au service d’une politique pénale décidée par le ministère de l’intérieur ».

Mélange des genres

Mais on parle là d’un Syndicat. Le juge lui, s’exprimait en son nom propre à travers ce pseudo. Se gaussant des parlementaires mahorais, qualifiant le LR Mansour Kamardine de « député RN ? », communiquant à son encontre des détails de sa vie privée, « député à Mayotte, propriétaire à Madagascar », répondant à Estelle Youssouffa qui remerciait les forces de l’ordre pour leur action, « ça va la flatterie ? », et interpellant le sénateur Thani Mohamed Soilihi, « un avis le grand juriste ?! »

Les jugements contre les filières d’immigration clandestine en question

Le juge Rousseau va plus loin puisqu’il commente encore après un tweet de Mansour Kamardine, « élite entre guillemets ! Avocat ? vous ??? », illustrant ses propos d’autant d’émojis moqueurs, et à Thani Mohamed Soilihi qui rappelait les risques encourus par les cases en tôle sur les pentes telle que celle du Talus 2 d’une opération de RHI, « Dramaqueen ? vous aviez 5 ans pour trouver une solution à renfort de subventions et sur votre tas d’or versé par la République ! »

Des propos étonnant de la part d’un magistrat, qu’il faut replacer dans le contexte des tensions provoquées par l’opération Wuambushu politisant des démolitions d’habitats insalubres qui se faisaient auparavant régulièrement sans les flashs, micro et caméra. L’opération de démolition de cases sur Talus 2 en est un exemple, prévue de longue date, et labellisée Wuambushu dès lors que l’étiquette du ministre de l’Intérieur y a été apposée. Ce qui avait valu à la présidente du Tribunal judiciaire d’être accusée de partialité en stoppant l’opération au motif d’un risque encouru par les cases hors périmètre de démolition. Mais sa juridiction avait été considérée comme incompétente par la suite en appel pour juger ce type de litige avec l’Etat. Semant le doute sur le mélange des genres de juges affiliés au syndicat de la magistrature au regard du communiqué cité ci-dessus, ce qui est le cas de la présidente, et l’objectivité qui sied à la profession.

« Respect des obligations déontologiques »

C’est dans ce cadre de surmédiatisation des opinions que s’exprime le juge Rousseau. Il est intéressant de lire ce que dit à ce propos le Conseil supérieur de la magistrature, l’organe constitutionnel qui garantit l’indépendance des magistrats de l’ordre judiciaire par rapport au pouvoir exécutif. Dans une note intitulée « Magistrats et réseaux sociaux », il est fait mention d’une montée en puissance de l’utilisation de ce mode de communication chez les jeunes magistrats, en citant une étude qui date, menée par l’École Nationale de la Magistrature en mars 2017, qui a mis en évidence que 91% des auditeurs disposaient d’un compte Facebook, 20% d’un compte Twitter ou Instagram, et que plus de 20% faisaient un usage quotidien des réseaux sociaux. Rajoutant que cela a permis « l’émergence d’une parole libre dans le débat public, laquelle favorise un dialogue parfois fructueux entre ces derniers, les avocats et les journalistes ».

L’ENM à Bordeaux

Avec plusieurs injonctions toutefois : « Lorsque le magistrat a recours aux réseaux sociaux, cet usage doit s’accorder avec le respect de ses obligations déontologiques. » Et plus loin, « Il veille, dans la création de son profil (nom ou pseudonyme, etc.) et dans la ‘ligne éditoriale’ de son compte, à respecter son devoir de dignité, à ne pas avoir recours à des propos injurieux ou indélicats, et à ne pas renvoyer une image susceptible de nuire à l’institution. »

 En s’adressant aux parlementaires mahorais comme il l’a fait, on peut se demander si Benoit Rousseau avait connaissance de cette ligne de conduite à tenir.

 Un chapitre est réservé à l’usage de pseudo, « Le prétendu anonymat ne saurait affranchir le magistrat des devoirs de son état, en particulier de son obligation de réserve, gage pour les justiciables de son impartialité et de sa neutralité. » Il est bien entendu tenu de ne pas « évoquer des situations individuelles qu’il a traitées d’une manière qui permettrait de les identifier », et lorsque l’anonymat est utilisé, « la prudence commande qu’il ne tienne que des propos qu’il soit capable d’assumer s’il venait à être identifié ». Benoit Rousseau doit donc être prêt à répéter devant lesdits parlementaires les moqueries dont il a fait usage en tant que juge Clarence.

 Le juge a récemment pris ses fonctions auprès d’Expertise France comme conseiller du ministre de la justice de la République du Congo.

 Une affaire supplémentaire qui semble cumuler les gages d’impartialité donnés par le tribunal de Mamoudzou.

 Anne Perzo-Lafond

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