Lorsqu’on parle de développement durable dans notre jargon du XXIème siècle, on entend préservation des écosystèmes et de la biodiversité. Le Forum « Ville mahoraise durable » étalé sur trois jours et lancé ce lundi, y fera bien sûr allusion, mais ceux qui ont les mains dans le cambouis mettaient en garde sur la nécessité d’être proche des problématiques de terrain.
Au premier rang desquels Ambdilwahedou Soumaila, maire de Mamoudzou : « Pour moi, la Ville durable, c’est celle qui prend en compte les enjeux sociaux. Je pose donc plusieurs questions qui, j’espère, obtiendront des réponses pendant ces trois jours. Comment peut-on continuer à intégrer 10.000 naissances par an sur un petit territoire de 374km2 ? Comment permettre l’implantation des entreprises sans maitriser le foncier ? »
Lui emboitait la voix Sabry Hani, Secrétaire général de la préfecture, qui, s’il remerciait pour leur présence les envoyés du ministère notamment de la Transition écologique « vous ne vous êtes pas abrités derrière un agenda qui est souvent hydrique, pour ne pas venir à Mayotte ! », mettait en garde : « Comment lier l’urbain et l’humain ? C’est un vrai sujet de fond mais on est tellement en retard à Mayotte. Pour avancer, je vous demande de tenir compte des enjeux culturels, on ne peut pas faire la Ville sans les mahorais, et surtout le village qui reste l’identité ici. Soyez disruptif ! », encourageait-il les intervenants, les appelant à rompre avec les modèles tout fait, « si le CIOM et le projet de loi Mayotte offre de bons appuis, vous devez vous baser sur les expertises d’usages de la part des habitants », avec une conclusion en forme de fil rouge, « soyez simples, efficaces, pas besoin de refaire le monde. »
« Rêver l’urbain », avec des bidonvilles dans la rivières
A cet égard, la 1ère table ronde était plutôt décevante, tenue à grand renfort de tableaux et schémas en 5 engagements climat de la société EGIS et 7 thématiques principales comprenant la problématique de l’artificialisation des sols ou le carbone.
Bien sûr, la dimension environnementale est à intégrer comme le soulignait là encore le maire de Mamoudzou, mais sur des problématiques de base qu’il faut traiter avant de passer aux grands mots, « la propreté des villes, la protection des écosystèmes, autant de données que nous avons intégrées à notre programme Mamoudzou 2030, mais comment préserver l’environnement si des bidonvilles sont installés dans le lit d’une rivière après avoir coupé les arbres alentours ? » L’élu appelait à se projeter dans le concept de ville durable « sans tabou ».
Un discours qui trouvait un écho en Raynald Vallée, président du conseil d’administration de l’Établissement Public Foncier et d’Aménagement de Mayotte (EPFAM) : « Je salue la détermination du maire, et son discours sur les défis nombreux et compliqués à Mayotte, dont la démographie qui est un élément clé, mais ils ne sont pas insurmontables. » Pour autant, il appelait à « rêver l’urbain », quand les besoins sont encore primaires à Mayotte, comme le faisait remarquer Abdoul Kamardine, élu départemental de Mtsamboro et 1er VO de l’EPFAM, « Face aux enjeux démographique et environnementaux problématiques, il faut intégrer dans les villes l’habitat, les équipements sportifs, les lieux de culte, etc. Tous les acteurs d’État et territoriaux doivent travailler ensemble ».
Le problème est donc entier, et le forum devra apporter des réponses : comment faire cohabiter toutes ces infrastructures sur un si petit territoire ? Par quoi commencer ?
« 210.000 logements à construire »
C’est en tout cas l’objectif recherché par l’EPFAM à travers ce Forum, comme nous le précise « sans tabou », Yves-Michel Daunar, directeur de la structure, largement félicité par les élus dans leurs discours. Nous l’avons interpellé sur les besoins de base, notamment en logement, largement sous dimensionnés. « Il y a en effet un fort manque de logement sur le département. Or, nous sommes sur un petit territoire où il faut arrêter de déboiser et préserver les zones agricoles. Nous avons évalué les besoins à 240.000 logements à l’horizon 2050, à raison de 3,8 personnes par logement. Nous avons donc 210.000 logements à construire ! Donc forcément en collectif, en visant des petits immeubles à 6 ou 7 étages. Mais nous n’y arrivons pas parce qu’encore trop d’élus ne veulent pas construire de logements sociaux. »
Un peu comme la politique de protection de l’enfance que personne ne voulait mettre en place au conseil départemental avant que n’arrivent un Issa Abdou puis un Madi Velou, qui déclinent des outils prenant en charge la détresse des enfants, faisant de la prévention. Penser que le logement social ou que les écoles ne s’adressent qu’à une population étrangère procèderait de la même manière à une grosse erreur de jugement sur un territoire où 77% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. C’est-à-dire que beaucoup vivent également à ce seuil ou à peine au-dessus. « Beaucoup de mahorais ne remplissent même pas les conditions pour accéder aux logements sociaux », note Yves-Michel Daunar. Rien que pour la ville de Paris, l’objectif est de 40% de logements public en 2035, comprenant 30% de logement social, et 10% de logement intermédiaire.
Pour le directeur de l’EPFAM, les finances sont là, les programmes prêts à être lancés, mais une trop petite partie des élus les sollicitent. « Surtout que nous y intégrons différents aménagements comme des aires de jeux qui font également cruellement défaut à Mayotte. »
Le Forum se poursuit ces mardi et mercredi avec des tables rondes telles que la place de la culture, de l’économie et du social dans la Ville mahoraise durable. (Voir le programme)
Anne Perzo-Lafond