Pour les associations, le projet d’usine de dessalement d’Ironi Bé, tel qu’il est actuellement, représente des risques pour les milieux naturels et la vie quotidienne des Mahorais. « En effet, il pourrait affecter durablement le lagon, les ressources halieutiques et la sécurité alimentaire des populations locales », écrivent-elles dans un communiqué.
« Face à cette situation, les associations agréées protection de l‘environnement : Mayotte Nature Environnement, France Nature Environnement et le GEPOMAY, gestionnaire de la mangrove d’Ironi Bé ont décidé de saisir la justice en cette rentrée pour contester l’arrêté préfectoral. Leur démarche ne vise pas à s’opposer à la construction d’une usine de dessalement en soi, mais à exiger que ce type de projet soit mené dans le respect des conditions minimales de protection de l’environnement et de préservation du cadre de vie des Mahorais ».
Une première mondiale…

Selon ces associations, il s’agirait d’une première mondiale : « une usine de dessalement rejetant directement de la saumure – une eau très concentrée en sel – ainsi que des composés chimiques dans un lagon fermé, et ce sans qu’aucune étude approfondie n’ait évalué les enjeux environnementaux du site ».
Les risques seraient notamment une accumulation de saumures et de substances toxiques pouvant détruire la vie marine, les mangroves et récifs coraliens, menaces sur la réserve naturelle de l’îlot M’Bouzi et la passe en S.
« La construction implique également le défrichement de l’arrière-mangrove d’Ironi Bé, un écosystème classé en danger critique d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), ainsi que la destruction d’un habitat abritant des espèces protégées dont le Crabier blanc, également en danger d’extinction au niveau mondial et l’une des espèces d’oiseau les plus menacée de Mayotte (…). Pour le moment cette saison, seules deux héronnières ont été observées, dont une à Ironi Bé. Ce qui justifie encore plus de ne pas réaliser de travaux pendant la saison de reproduction comme cela était recommandé par l’étude d’incidence », poursuit le communiqué.
Pour les associations environnementales, l’arrêté préfectoral n’apporte aucune garantie sur l’absence de travaux pendant la période critique pour le Crabier blanc entre septembre et février.
Des impacts pour les Mahorais
Selon les associations, tous ces impacts environnementaux auraient des conséquences directes sur la vie quotidienne des habitants de Mayotte :
– Un lagon dégradé abrite moins de poissons, ce qui entraine des conséquences sur la sécurité alimentaire et l’économie locale.
– Un patrimoine naturel affaibli, c’est un tourisme en péril et une incohérence avec le classement potentiel d’une partie du lagon au patrimoine mondial de l’UNESCO.
– Une mangrove et une barrière de corail fragilisées, c’est une île plus vulnérable face aux cyclones et aux tsunamis. Le lagon est notre bouclier naturel : le fragiliser, c’est mettre Mayotte et ses habitant·es en danger.

Plus largement, la raréfaction des ressources naturelles pourrait provoquer des conflits d’usage, réduire les emplois disponibles et augmenter le coût de la vie. « Ces effets toucheraient plus fortement les populations les plus précaires, aggravant les inégalités sociales déjà présentes sur le territoire ».
Un recours en justice
Depuis des mois, les associations environnementales alertent la préfecture et les services interministériels à travers de nombreux courriers, suivis d’un recours gracieux, afin de signaler les risques pour l’environnement et de demander la mise en place de mesures pour les réduire. Plusieurs solutions ont été proposées, notamment le choix d’un site présentant des enjeux environnementaux moindres ou l’installation de dispositifs permettant de rejeter la saumure hors du lagon. « Ces recommandations n’ont malheureusement pas été prises en compte et le recours gracieux a été rejeté par la préfecture ».
Par ailleurs, les associations ont aussi eu les plus grandes difficultés à obtenir des informations sur le dossier, notamment sur le détail du choix du site ou encore le calendrier des travaux de mise en œuvre alors que cette information doit être connue de toutes et tous. Enfin, une Autorisation d’Occupation Temporaire (AOT) a tout de même été signée pour autoriser les travaux en mangroves mais sur la base de l’étude d’incidence qui n’a pas été respectée, notamment sur la période à éviter pour les travaux.
MNE, FNE et le GEPOMAY ont donc décidé de saisir ensemble la justice afin de remettre en question cette décision portant atteinte à l’environnement.
Des solutions alternatives

« Nous ne sommes pas contre une usine de dessalement, mais ce n’est pas la seule option. Des solutions complémentaires, durables, respectueuses des habitants et de la nature sont possibles pour améliorer l’approvisionnement en eau », précise le communiqué.
Il s’agirait ainsi de :
– Développer les solutions fondées sur la nature : préserver et restaurer les écosystèmes permet d’augmenter la capacité de rétention des sols, de limiter le ruissellement et l’érosion, et de réguler le cycle de l’eau à l’échelle du territoire, réduisant ainsi les risques de sécheresse.
– Améliorer le système de réseau d’eau actuel : réduction du nombre de fuite, augmentation des infrastructures (forages moins invasifs pour l’environnement)
– Promouvoir et faciliter l’installation de récupérateurs individuels d’eau de pluie, utilisables par des industriels ou pour de nombreux usages domestiques, l’irrigation ou le lavage des véhicules.
– Améliorer la répartition des usages de l’eau : par exemple, réutiliser l’eau traitée par les stations d’épuration pour le BTP, l’agriculture, l’irrigation ou encore les jardins publics, mais également favoriser l’utilisation des eaux de pluies pour certains usages.
« Mayotte mérite une eau potable durable, pas un projet qui sacrifie notre avenir (…) Protéger le lagon et ses milieux naturels, c’est aussi protéger les conditions de vie présentes et futures des habitants », conclut le communiqué.