Freins, aléas, difficultés, complications… dans les discours, le vocabulaire employé ne laissait aucun doute sur la détermination passée, actuelle et à venir, dont doivent faire preuve les acteurs de ce chantier, « le plus gros de l’île en surface et en masse financière », soulignera le recteur Jacques Mikulovic.
Si la 1ère pierre a été posée en décembre 2022 par son prédécesseur Gilles Halbout, depuis, les difficultés se sont amoncelées. Soyons juste, d’autres avaient été vaincues, comme l’extension de la station d’épuration à laquelle l’établissement va être raccordé, ou la préservation sur le site des vestiges de l’usine sucrière, pour ne parler que de ça.
Le principal écueil reste la canalisation d’eau potable qui abreuve Mamoudzou, qui passe sous le terrain. Elle a été détournée à l’extérieur du site, mais le syndicat LEMA doit encore la tester notamment sur de possibles fuites, compliqué en ces temps de coupure à rallonge. « Nous avons pris trois mois de retard », nous indique Jean Bondu, Directeur immobilier et logistique au rectorat de Mayotte. La première tranche ne sera donc pas livrée en 2024 comme prévu, mais en 2025.
Ce n’est plus seulement un lycée des métiers du bâtiment (LMB) de 1.800 élèves et ses établissements connexes (internat, gymnase, etc.), mais également un collège de 900 élèves, nous explique le recteur Jacques Mikulovic : « C’est désormais une cité scolaire qui va s’élever sur le site, avec lycée et collège. Nous allons faire des groupes de niveaux comme à Tsingoni avec 3 voies différentes : une filière traditionnelle qui pourra amener vers l’excellence, notamment l’international, car il s’agit de permettre aux familles de ces jeunes de rester sur le territoire, une filière débouchant sur l’apprentissage des métiers pour ceux qui en ont la capacité, et une UPE2A, une unité pédagogique pour élèves allophones arrivants, d’apprentissage du français. »
« La plus belle vue sur la mer ! »
Les établissements vont permettre un jeu de vases communiquant : l’émergence du collège à la rentrée 2026 va permettre de désengorger ceux de Koungou, Majikavo et K2 (Kawéni). Quant au lycée, s’il doit remplacer à terme celui qui est sis à Dzoumogné, c’est pour l’instant ce dernier qui, grâce à une extension, intègre davantage de jeunes.
A l’investissement initial de 100 millions d’euros, il faut donc désormais rajouter environ 20 millions d’euros pour le collège et l’internat.
« On se sent tout petits ! », clamait le recteur. 4 des 6 hectares du terrain sont dédiés au chantier de 20.000 m² de bâtis et 35.000 m² d’extérieur, dont des parkings. A l’occasion de la levée de charpente, une visite était organisée. L’espace boisé qui prolongeait le village de Longoni a laissé la place aux engins de chantier, avec en ilot central et ses arbres préservés, la butte où doit s’élever la maison des lycéens, « la plus belle vue sur la mer du site », commente le représentant du cabinet Encore heureux Architectes, un des maitres d’œuvre, avec Co-Architectes.
Les fondations sont en cours de construction sur les premiers bâtiments d’enseignement scientifique, qui hébergeront les ateliers, éléments centraux du LMB. Il y aura un atelier de montage d’ossature bois, un consacré au gros œuvre et bâtiment public, un sur électricité et fluide, etc. Et parce que ce chantier offre une opportunité san pareille pour les élèves de l’actuel lycée des métiers du bâtiment de Dzoumogné, beaucoup effectuent actuellement leur stage sur place, « les entreprises Colas, Tetrama, BCM, nous prennent une vingtaine de stagiaires à chaque fois. Ce sont des formations grandeur nature, beaucoup mieux que nos box ! », se réjouit Hugues Humbert, Directeur délégué aux formations professionnelles. Sur la dernière charpente, des poteaux géants s’élèvent, pour l’atelier qui doit abriter un pont roulant. »
Le pari risqué de la ventilation naturelle
Plusieurs matériaux intègrent le mode de construction, bois, béton, métal, et Brique de terre compressée (BTC), « de nouvelles presses, mécaniques celles-là, vont être livrées », pour compléter celle qui était actionnée en démonstration de production manuelle de BTC.
La construction se veut « écologique », en remplissant un cahier des charges qui exclut les climatiseurs. C’est une nouvelle tentative d’une ventilation naturelle, « avec des écopes qui sortent de la charpente métallique pour faciliter l’aspiration, et des sur-toitures seront apposées comme isolant au-dessus des ateliers. » Un pari risqué, la ventilation naturelle lors des journées non ventées, restant problématique. Si elle a prouvé son efficacité dans les hauts volumes de l’aérogare de Pamandzi, ce n’est pas le cas dans la MJC de M’gombani où la chaleur règne en intersaison. Seul le local qui héberge le serveur sera climatisé.
La toiture sera équipée de panneaux photovoltaïques, « comme tous les collèges et lycées ici. Nous devenons le premier producteur d’électricité photovoltaïque de l’île ! », glisse Jacques Mikulovic.
Le faré de projet qui a fait les beaux jours de l’avant-projet depuis 4 ans ne sera pas démoli, mais se logera entre le gymnase et le dojo. Il faut dire qu’il avait remporté le Prix National de la Construction Bois (PNCB) en 2022 dans la catégorie innovation sociale.
Au cœur de l’ancien village de Longoni
Pour le recteur, le futur établissement représente une des solutions pour Mayotte, « il va répondre au besoin de compétences à Mayotte. Jusqu’à présent, nous les importons, et j’espère que fort de ses plus de 1.800 élèves par an, le LMB de Longoni va permettre à moyen terme d’en bénéficier sur place et même de les exporter dans la région.
C’est une proviseure de Dzoumogné déterminée à faire une prochaine rentrée dans cet établissement de Longoni qui prenait ensuite la parole. Un peu sur le mode anglo-saxon qui vante l’établissement pour attirer les élèves, Suzie Martias-Dorville donnait sa vision de l’enseignement, « je leur demande de la discipline et le respect des autres, et de travailler pour leur lycée en le maintenant en bon état. Il faut avant tout leur donner confiance en eux-mêmes, et qu’ils soient fiers de ce qu’ils sont. »
Une partie des ouvriers qui vont se retrouver à 170 au plus fort du chantier, était présent lors de la bénédiction des autorités religieuses de la commune, qui soulignaient que « sur ce site, s’érigeait le cœur du village de Longoni. En témoigne la cheminée préservée de l’usine sucrière. » Les différents métiers étaient représentés, les architectes et bureau d’étude Encore heureux et Co-architectes de la maitrise d’œuvre, le suivi opérationnel notamment par le bureau Intégral Ingénierie, et les entreprises de gros œuvre Colas, Tetrama, AC BTP, BCM, etc., et d’autres intervenants comme T&E Ingénierie ou Alarmelec qui posera les fourreaux de câble notamment internet.
Gardant sa méthode de départ, Lola Paprocki, architecte pilote du projet pour « Encore heureux » annonçait des animations ouvertes au public, aux habitants de Longoni, en proposant à des artistes de se produire sur le site.
Anne Perzo-Lafond