À la plage de Sohoa, assises sur des nattes, à l’ombre, les mamies de l’association Fahizagna Atsika invitent les curieux à découvrir les secrets de la poterie traditionnelle et les récits de leur vie, à l’occasion des Journées européennes du patrimoine, ce samedi 20 septembre. Après avoir partagé l’argile légèrement humidifiée et réparti le sable noir sur les plateaux, leurs mains expertes modèlent la pâte avec précision. Rapidement, pots, plats, vases et assiettes prennent forme, révélant la créativité et l’imagination de ces femmes : Kourati Assani, Houfrane, Fatima Assani, Kourachia, Ankiba, Sania et Soua.
Un processus de fabrication minutieux

« Les mamies façonnent toutes sortes d’objets, parmi lesquels plusieurs faisaient partie du quotidien d’antan : les vilagny, marmites pour cuire le riz, la viande ou d’autres plats, les fanétry, utilisées pour préparer les crêpes traditionnelles sucrées à la noix de coco, et les shérédzo, réceptacles à encens », explique Fatima Chaka, présidente de l’association Aimisphaer, qui œuvre pour valoriser les savoir-faire de Sohoa et de Mayotte tout en renforçant le lien entre les générations.
« Chaque objet nécessite environ un mois de travail, la fabrication est longue ! », ajoute Fatima Chaka, qui apprend elle aussi l’art de la poterie auprès des mamies. « Il faut d’abord creuser le sol pour trouver l’argile, placer les blocs dans l’eau et laisser reposer quatre jours. On enlève les impuretés, puis on tamise la terre pour obtenir une boue pure que l’on fait sécher trois jours.

On travaille la pâte en ajoutant du sable noir pour la rendre moins collante et on utilise des coquillages pour les finitions. Après une journée de séchage, on ajoute des pigments pour la couleur, puis la pièce sèche dans l’obscurité pendant trois semaines avant d’être cuite sur le feu. C’est un feu très fort, et seules les mamies savent à quel moment retirer la pièce pour qu’elle soit réussie ! ».
Grâce à l’association Aimisphaer et à la persévérance des mamies pour transmettre leur savoir-faire, la poterie traditionnelle de Sohoa renaît, elle retrouve même un second souffle auprès des jeunes générations.
Un savoir-faire transmis de mère en fille pendant des générations

« Il y a plus de vingt ans existait dans la commune un espace dédié à la poterie de Sohoa où toutes les potières se retrouvaient pour travailler et vendre ensemble. Elles et leur travail étaient connus de tous, les poteries utilisées au quotidien », raconte Fatima Chaka. « Malheureusement le lieu est tombé à l’abandon et il est devenu inutilisable. Les potières se sont alors divisées en deux groupes : l’un a fondé l’association Fahizagna Atsika – qui signifie « notre savoir-faire » – tandis que le second a conservé l’appellation Poterie de Sohoa. Mais avec le désintérêt et les changements de pratiques des nouvelles générations, les poteries n’étaient plus utilisées, laissant craindre la perte du savoir-faire des mamies ».
« J’ai appris la poterie directement de ma mère, c’est une savoir qui se transmettait de génération en génération », explique Kourati Assani, présidente de Fahizagna Atsika, très heureuse de raconter son histoire. « Malheureusement la tradition s’est affaiblie avec le temps. Il était difficile de se faire connaître et de se structurer. J’ai eu l’idée de réunir plusieurs dames afin de sauver nos poteries. Je les ai formées, et maintenant j’aimerais que les jeunes continuent ».
La jeunesse de Sohoa mobilisée pour sauver les poteries

« En 2018, les mamies sont venues nous voir, elles nous ont dit : c’est bien de faire bouger le village, mais ne nous oubliez pas !« , se souvient Fatima Chaka, « c’est à ce moment que nous avons découvert les poteries et pris conscience de l’histoire de ces femmes et de l’histoire de notre village. Nous, les jeunes, nous ne connaissions rien de tout cela et pour nous l’atelier abandonné était juste le « stade des chômeurs ». On s’est vite rendu compte que ce savoir-faire était en danger, et nous avons décidé d’organiser des journées découverte mêlant poterie, chants, danse et cuisine. La poterie à très vite pris de l’ampleur car c’était la tradition la plus menacée. Aujourd’hui ça fonctionne, grâce aux ateliers, le public s’y intéresse à nouveau, les achats reprennent timidement, mais surtout les visiteurs veulent comprendre comment les objets sont fabriqués ».

Au-delà des ateliers découverte, l’association n’hésite pas à organiser des repas où chaque plat est cuisiné dans les poteries traditionnelles pour une expérience culturelle, historique et culinaire. « On peut directement s’apercevoir que le goût est différent lorsque les aliments sont cuits dans ces poteries. Tout le monde apprécie également les sadzoua, de grandes jarres, qui permettent de conserver l’eau fraîche, une qualité très recherchée aujourd’hui ».
Chido et le dérèglement climatique, les nouveaux défis

Malgré cet engouement, les mamies et leurs poteries font toujours face à des difficultés. Le cyclone Chido a détruit ce qui restait de leur atelier, et le dérèglement climatique fragilise la matière première à savoir l’argile du village.
« Nous manquons toujours d’un véritable atelier et pour le moment toutes nos activités se déroulent sur la plage », souligne Fatima Chaka. « Nous avons reçu 5.000 euros de la Fondation France, ce qui est un bon début, mais cela est insuffisant pour réaliser l’ensemble des réparations. Maintenant nous avons besoin de bras pour dégager les débris, refaire les étagères et recréer un espace fonctionnel ».
« Notre argile provient de Sohoa, mais nous devons de plus en plus nous rendre dans le sud de l’île pour la récolter. Avec l’érosion et les changements climatiques, la terre à Sohoa est devenue friable et moins utilisable qu’auparavant. À la cuisson, les pièces se fissurent ou explosent », alerte Fatima Chaka.

« Néanmoins, nous sommes très contents du chemin parcouru ! », confie-t-elle, « malgré le faible soutien institutionnel, notamment de la part de la municipalité nous progressons. En octobre prochain, un groupe partira à Antananarivo à Madagascar pour perfectionner sa maitrise de la poterie dans un centre de formation. Les mamies vont pouvoir découvrir d’autres savoir-faire dans un pays où la poterie est très développée et même exportée. C’est une source d’inspiration pour la poterie mahoraise et son futur. C’est une grande fierté ! ».
Victor Diwisch