S’il est encore trop tôt pour mesurer précisément ses impacts sur les oiseaux et leurs habitats de reproduction, le cyclone Chido a profondément transformé le paysage de Mayotte, laissant des craintes pour certaines espèces, déjà menacées d’extinction.

À partir d’octobre prochain, les équipes du GEPOMAY réaliseront un inventaire complet des oiseaux de Mayotte sur l’ensemble du territoire. Ces données, comparées aux populations observées avant le cyclone, permettront d’évaluer concrètement l’impact de Chido sur la biodiversité locale. En amont de cette collecte de données inédites, Émilien Dautrey, président du GEPOMAY, dresse un premier bilan de l’état de santé des écosystèmes qu’il observe et protège au quotidien.
JDM : Quelles actions avez-vous menées après Chido, et est-il important de maintenir les visites des milieux, malgré leur dégradations ?
Emilien Dautrey : « Depuis le cyclone, nous avons mené de nombreuses actions comme le dégagement des sentiers des embâcles, en arrachant uniquement les espèces invasives et en retirant les arbres des routes. Nous avons aussi lancé des opérations de reboisement autour du lac de Karihani et dans la baie de Bouéni.

Ces actions permettent d’une part aux gestionnaires des lieux de pouvoir se rendre sur les différentes zones pour surveiller et étudier les milieux, mais aussi dans un second temps de faire revenir le public. Après le cyclone Chido, beaucoup de personnes ont souhaité voir l’ampleur des dégâts, et elles sont souvent impressionnées lors des sorties qu’on organise.
Les gens veulent nous aider, mais il ne faut pas confondre urgence et précipitation. Deux points sont essentiels à retenir : agir ensemble, de manière concertée, avec une communication maximale entre les acteurs pour éviter les erreurs, et surtout attendre les conclusions des diagnostics. On ne peut pas tout faire dans l’urgence. Ces diagnostics sont indispensables pour déployer les bonnes réponses. Des inventaires sur les mangroves, les forêts et bientôt sur les oiseaux vont être réalisés pour mesurer l’impact du cyclone ».
Avec les incendies, la perte d’une grande partie du couvert forestier, le développement et la reconstruction du territoire, la pression sur les milieux naturels a-t-elle déjà été aussi intense à Mayotte ?

« Oui les milieux sont fragilisés depuis Chido. Le cyclone a touché Mayotte au début de la saison des pluies, ce qui a permis aux arbres et aux plantes de produire quelques feuilles. Pourtant, le couvert végétal reste fortement réduit et les températures sont plus élevées. Récemment, au Mont Bénara, j’ai découvert une petite zone relativement épargnée : différentes strates d’arbres, des oiseaux et surtout un ciel invisible à travers le feuillage, chose rare actuellement ! C’était un îlot de fraîcheur, qui m’a fait plaisir et m’a fait réaliser encore plus la différence de températures.
Cette chaleur sur le territoire est propice au développement des feux qui ont ravagé de nombreux hectares ces derniers mois. Mayotte part en fumée et c’est triste. Chaque année, on rappelle que la culture sur brûlis n’est pas une solution, mais cela continue. Depuis mon bureau, je vois les feux sur le Mont Combani et nous alertons les pompiers des départs d’incendie. Il faut investir dans des moyens efficaces pour les éteindre rapidement. La question de l’utilisation de l’eau potable pour cela, doit également être posée.
« Nous ne sommes pas contre l’usine de dessalement, nous voulons que le projet se fasse en respectant l’environnement. c’est possible ».
Concernant la reconstruction, on peut évoquer l’usine de dessalement d’Ironi Bé. Le Gepomay partage les inquiétudes des Naturalistes de Mayotte d’un tel projet sur l’environnement, le lagon mais aussi la mangrove et les espèces qui y vivent. Avant Chido, le crabier blanc se reproduisait sur cinq sites à travers l’île, dans les mêmes mangroves qu’une autre espèce : les gardes-boeufs. Cette année, ces derniers sont présents à Ironi Bé et dans un second site au sud de l’île, il est donc presque certain que les crabiers blancs suivront.

Les travaux risquent de tomber au moment crucial pour leur reproduction. L’arrêté préfectoral de l’autorisation des travaux reste flou : à partir de quand considère-t-on qu’un risque existe pour l’espèce et qu’il faut donc arrêter les travaux ? Le chantier actuel n’empêche-t-il pas déjà les oiseaux de nicher ? Ces questions restent en suspens.
Nous ne sommes pas contre une usine de dessalement, nous subissons nous aussi les coupures d’eau au Gepomay et nous voulons que cela se termine, mais il est aussi essentiel que cela se fasse en respectant l’environnement. Cela est possible. Il est primordial d’inclure la biodiversité dans la reconstruction ».
Est-ce qu’il reste encore des zones refuge pour les oiseaux à Mayotte, notamment depuis Chido ?

« Le lac Karihani reste un refuge pour les oiseaux, même après Chido, avec de nombreuses espèces présentes. Les limicoles et les sternes continuent de nicher sur les littoraux et les îlots. Les effectifs sont stables, ce qui est positif.
L’inventaire complet qui sera réalisé entre octobre et février permettra de mesurer l’impact réel du cyclone sur les oiseaux de Mayotte. Nos équipes visiteront plus de 370 points d’écoute à trois reprises afin d’estimer le total des individus. Les données seront comparées à celles d’avant Chido et nous pourrons en tirer les conclusions. C’est la première étude d’une telle ampleur après un cyclone !
« D’après mes premiers ressentis, il y a moins d’oiseaux à Mayotte »
Les chiffres parleront d’eux-mêmes, mais d’après mes premiers ressentis, il y a moins d’oiseaux : on entend moins le Pigeon des Comores, les Founingo des Comores ou le Courol malgache. Je crains en particulier pour les oiseaux forestiers.
A Mayotte les espèces sont habituées à l’alternance entre la saison sèche et la saison des pluies. Cette dernière est essentielle pour leur reproduction, car elle leur permet de trouver nourriture et ressources. Chido a perturbé ce rythme : plusieurs espèces n’ont pu se reproduire qu’en juin dernier. Si la sécheresse persiste, cela pourrait compliquer la reproduction des oiseaux ».
Le samedi 27 septembre, le GEPOMAY organise une matinée de découverte de la biodiversité du lac Karihani afin de sensibiliser le public à la richesse écologique du site et aux actions de gestion mises en œuvre par le Groupe pour sa préservation. Les participants pourront observer la faune et la flore locales lors d’une visite guidée d’une heure autour de l’étendue d’eau, un moment privilégié pour comprendre les enjeux de conservation de cet écosystème, qu’il faut plus que jamais préserver.
Victor Diwisch