Assise sur la terrasse du restaurant Le Boboka à Mamoudzou, Kerry arbore un large sourire, malgré sa timidité. Habillée d’un polo gris, d’un foulard noir et de boucles d’oreilles à l’effigie du continent africain, la jeune femme, peu habituée à l’exercice de l’interview, s’y prête pourtant. Avec plus de 25.000 abonnés sur ses réseaux sociaux, Kerry, de son vrai nom Hechat Tarmidhi, connaît un succès grandissant ces derniers mois.
« J’ai toujours aimé partager mes aventures »
Dans ses vidéos, elle invite ses abonnés à découvrir ou redécouvrir Mayotte, tout en les emmenant parfois vers d’autres pays qu’elle explore avec curiosité, et surtout le souci d’y montrer la réalité. Elle partage aussi ses exploits en trail, ses conseils pour prendre soin de sa santé, et ses bonnes adresses. Une réussite qui ne lui a pas été offerte, bien au contraire.
« J’ai toujours aimé partager mes aventures, mon quotidien. Au début je le faisais pour ma famille, mes amis, mes connaissances puis j’ai commencé à le partager sur les réseaux sociaux publics », précise-t-elle. Née à Lyon en 1996, elle est revenue vivre à Mayotte avec ses parents en 2005. Après avoir décroché un bac STMG au lycée Younoussa Bamana en 2014 elle s’est tournée vers une licence de droit à Mayotte avant de partir pour La Réunion poursuivre un master.
C’est sur l’île aux volcans, en 2018, que Kerry découvre sa passion pour le trail en observant les coureurs de l’ultra-trail de la Diagonale des Fous, défiant kilomètres et dénivelés. Elle se fixe alors pour objectif de participer à plusieurs courses, se prépare physiquement et mentalement, et partage ses progrès sur les réseaux sociaux. Elle se rend aussi à Maurice, où ses amies finissent par ne pas venir, la laissant seule sur l’île. « C’était super ! », se souvient-elle, ayant organisé son propre itinéraire et capturé tous les bons moments en vidéo.
Une liberté qui attire les critiques
Après ses premières expériences, créer du contenu et partager ses aventures devient rapidement son quotidien. « Mes premières vidéos n’ont pas rencontré le succès espéré, et j’étais déçue. Je faisais des choses extraordinaires et j’avais besoin de soutien », confie Kerry.
Mais elle doit vite faire face aux critiques. « Quand on partage sa vie et ses projets, certains scrutent et jugent chaque geste. Quand je m’entraînais tôt le matin pour les trails et que je courais avec des groupes d’hommes pour des raisons de sécurité, certaines personnes allaient jusqu’à envoyer des messages à ma famille pour les prévenir, pour me porter l’œil ». Des messages qui lui ont presque fait quitter les réseaux sociaux.
À 29 ans, Kerry n’a pas d’enfants, ce qui choque dans sa communauté. « Normalement, ici, une femme étudie, revient à Mayotte, se marie et fonde une famille. Moi, j’ai choisi de faire l’inverse. » Sa liberté et sa détermination sont souvent mal comprises, même par ses proches. Pour faire face aux critiques, elle s’est forgée un mental d’acier, sans négliger les autres. « J’aime dire ‘soyez des soldats !’. Cela veut dire être sérieux, respecter sa parole et rester authentique. Si tu as un rendez-vous, sois à l’heure ; ne fais pas semblant d’être quelqu’un d’autre. »
De Mayotte au Kilimandjaro
Après Chido, Kerry lance une série de courtes vidéos intitulée « Redécouvrir Mayotte après le cyclone », qui rencontrent un fort succès. « Je ne savais pas que ces vidéos allaient toucher les gens. En explorant mes endroits préférés de façon naturelle, j’ai réalisé que cela plaisait et que certains en avaient vraiment besoin », révèle-t-elle.
La série, toujours en cours, compte 13 épisodes. Kerry se souvient particulièrement de son passage à Ongojou. « Personne ne s’intéresse à ce village, pourtant beaucoup le critiquent à cause des violences. Je voulais montrer la réalité en filmant sur place ».
En juin dernier, elle réalise l’un de ses rêves : gravir le Kilimandjaro en Tanzanie. Elle touche le cœur des Mahorais en brandissant le drapeau de Mayotte au sommet de ses 5.895 mètres d’altitude. « C’était un objectif de longue date. J’étais fière, mais une fois là-haut, il faisait tellement froid que je ne pouvais même pas tenir mon téléphone pour filmer », raconte-t-elle en rigolant, émue en revoyant ses photos.
Une influenceuse et fière de l’être
Grâce à ses vidéos, Kerry est désormais influenceuse, un mot qu’elle hésitait à utiliser par peur des critiques. Aujourd’hui, elle l’assume et continue de développer ses contenus. Avec son mari, impressionné par son succès, elle a créé sa microentreprise afin de répondre aux demandes de partenariats. « Maintenant, j’ose. Je n’hésite plus à partager mes envies et mes voyages », insiste-t-elle, heureuse de constater la bienveillance et les échanges positifs qui se multiplient. « Croyez en vos rêves ! ».
Ce samedi 30 août, elle participera à une randonnée organisée par l’association OJVR à Mtsamboro. « Rendez-vous pour une randonnée exceptionnelle avec la super exploratrice @adventuresofkerry ! », annonce l’affiche. De nombreux marcheurs et fans sont attendus. Un premier événement avec sa communauté que Kerry appréhende, mais qui marque aussi une nouvelle étape pour développer sa marque. Kerry trace sa route. Consciente de sa force et, surtout, de sa liberté d’être pleinement elle-même, elle ne se retournera plus. « C’est formidable de pouvoir faire ce que je veux faire, cela vient discréditer tous leurs discours ».
Victor Diwisch
