Le football, échappatoire et carcan de la jeunesse d’Hamouro

À Hamouro, les jours de vacances se suivent et se ressemblent pour les jeunes du village. Pour échapper à la monotonie et à la perspective d’un avenir incertain – la plupart n’ayant pas de papiers français – ils doivent compter sur leur débrouillardise et leur créativité. Cette année, Chefdé, 18 ans, a eu l’idée d’organiser un tournoi de football pour rassembler la communauté.

A Hamouro, dans le quartier de maisons en tôle et en bois qui borde la plage, quelques femmes étendent salouvas et tee-shirts au soleil en revenant de la rivière, tandis que des enfants courent dans la poussière. A quelques heures de la finale du tournoi de football, le village semble encore endormi. Chefdé, lui, est bien réveillé. Cette année le jeune homme de 18 ans, passionné de football, a pris en main l’organisation de la compétition. Après s’être rendu à 6 h du matin à Kawéni pour acheter des médailles et des coupes pour les finalistes, il s’attèle à la préparation du terrain.

Football, vacances, Hamouro, Mayotte
Le terrain de football est en sable, les buts sont en bambous et en filets de pêche. Les jeunes espèrent qu’un vrai terrain sera construit un jour.

Hamouro ne dispose pas de terrain de football. Les joueurs jouent sur une grande surface ensablée à la sortie du village. Les buts sont fabriqués en bambous et en filets de pêche, et Chefdé doit récupérer du sable blanc sur la plage, pour démarquer la surface de réparation, la ligne médiane et les points de penalty. Avec deux grandes feuilles de cocotier, qu’il fixe entre elles, il crée une arche sous laquelle défileront les joueurs des deux équipes avant de rentrer sur le terrain. « Tout le village va venir voir le match ! », confie-t-il, heureux et impatient.

Un quotidien plein d’incertitudes après le bac

Arrivé à Mayotte en 2018, Chefdé n’a pas de papiers français. Après un passage à Koungou, il rejoint son père, pêcheur à Hamouro. Scolarisé depuis la 5ème à Bandrélé, il vient d’obtenir son baccalauréat, et est désormais livré à lui-même. Cette année, il vit ses premières vacances sans savoir ce qu’il fera à la fin du mois d’août. Une incertitude qui se lit dans ses yeux. « Si je pouvais, j’aimerais beaucoup rejoindre une formation dans l’électricité, mais vu que je n’ai pas de papiers je n’y crois pas », regrette-t-il. Il a déposé sa candidature pour rejoindre un CAP en électricité à Kahani, mais n’a pas eu de réponse. « Je suis dehors, j’ai rien à faire, je n’ai pas d’argent, j’aimerais trouver un travail, n’importe lequel, si j’en trouve un je le fais ».

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Chefdé, 18 ans, est fier de ses trophées qu’il garde précieusement chez lui. Il vient d’obtenir le bac mais ne peut poursuivre ses études sans titre de séjour, ni papiers d’identité. Il a organisé le tournoi pour rassembler les jeunes du village.

En regardant le lagon, il pense de plus en plus à prendre la mer et à retourner aux Comores pour chercher ses papiers d’identité, dans le maigre espoir de parvenir à obtenir un titre de séjour à Mayotte. « Ce n’est pas facile avec la mer actuellement, elle est dangereuse ».

Néanmoins Chefdé, garde le sourire. Il espère un jour quitter Hamouro mais pour le moment il prend plaisir à faire visiter son village. Dans sa maison, dans laquelle son père a créé une école coranique pour les enfants, il partage une chambre avec plusieurs autres garçons, ses « frères ». A côté du lit superposé, il a aménagé une petite étagère sur laquelle est disposée une coupe et plusieurs médailles qu’il a remportées lors des tournois de football précédents. Des trophées dont il est fier.

Chefdé ne jouait pas au football aux Comores, mais à son arrivée à Hamouro, il a fait comme tout le monde. Quelques jongles et quelques passes sur la plage se sont vite transformés en une véritable passion, seule échappatoire à un quotidien souvent compliqué.

Depuis plusieurs mois, plusieurs publications sur les réseaux sociaux évoquent des caillassages et des barrages sur la route devant Hamouro. « Quand il y a des bagarres sur la route, certains jeunes montent pour se battre et les petits ils voient ça et maintenant ils font la même chose », déplore-t-il. « Dès fois il y a des caillassages et des gens font n’importe quoi. Ça ne se passe pas bien tout le temps ». Lui n’a jamais participé aux violences mais vit dans la peur d’être arrêté. « Si la police me trouve sur la route, ils pensent que je suis un délinquant à cause de mes habits. Je n’ai pas de chaussures », relève-t-il. « J’ai peur qu’ils m’arrêtent et qu’ils m’envoient en Petite-Terre. Un jour ils ont attrapé mon ami, ils l’ont frappé et il lui ont mis les menottes. J’en ai marre d’être stigmatisé ! ».

La débrouille et le football pour s’en sortir

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Pour gagner de l’argent Chefdé récupère les fruits des baobabs sur les plages pour les revendre. Il déplore la violence et redoute que les jeunes du village imitent les délinquants.

Pour passer son temps et gagner de l’argent Chefdé se rend en forêt pour aller chercher des fruits sur les baobabs. Une activité qu’il a appris à maîtriser à la perfection et malgré les risques de chute, il n’hésite pas à monter très haut. Avec ses amis il vend ensuite les pains de singe (les fruits) aux commerçantes du village et aux passants pour se faire de l’argent. « Je ne vole pas, je m’assure de prendre là où c’est libre d’accès. Ce n’est pas bien de voler, quand on voit les mamans qui font les jardins et qui s’occupent de tout ça, il ne faut pas voler. Avec l’argent que je récolte je vais acheter des tee-shirts et de quoi manger ».

Le garçon met aussi de l’argent de côté pour organiser le tournoi de football. « Quand je vois tous les gens qui jouent sur la plage, je me dis qu’avec un tournoi on va tous pouvoir jouer ensemble ».

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Chefdé a mis en place des règles pour que les joueurs se respectent les uns les autres.

Organisateur, arbitre, joueur, Chefdé à plusieurs casquettes. Son énergie est vite devenue indispensable dans le village, il sert d’exemple aux plus jeunes qui l’applaudissent tous et scandent son prénom lorsqu’il est sur le terrain.

« J’ai mis en place des règles, à chaque fois que quelqu’un se dispute avec un autre, je lui mets un carton et il me doit de l’argent. S’il ne veut pas payer, il ne va pas jouer. Ça permet que les jeunes arrêtent de se taper », précise Chefdé. « Chaque équipe qui veut s’inscrire doit payer 20 euros, cela permet d’acheter les coupes et les médailles et me faire un peu d’argent de poche ».

« Moi je m’en fous du terrain, je veux des papiers »

Sous l’énorme baobab, véritable symbole du village qui sert de lieu de rassemblement, plusieurs jeunes se reposent. « On galère, la seule chose qu’on peut faire ici c’est du foot, mais on n’a même pas de terrain », souligne Pékénio.

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Les plus petits réclament un terrain de football, les plus âgés, des papiers français. Nés à Mayotte, ils ont peur pour leur avenir.

« Les tournois sont biens, mais on n’a pas d’autres activités. À Bandrélé il y a deux parcs, ici ni plateau, ni terrain, ni parc. On est à la rue, on ne fait rien, on s’assoit ici, on joue au foot et on rentre, on se sent abandonné », abonde-t-il, interpellant la mairie de Bandrélé. Cette dernière affiche un projet de plateau sportif pour le village d’Hamouro, mais les travaux n’ont pas commencé.

« Nos familles ne font que cultiver les champs, on n’a pas d’espoir, on ne compte que sur la rue », continue-t-il. « Quand les policiers nous prennent pour des dakous ça nous fait mal alors qu’à chaque fois qu’on veut chercher du travail on nous dit qu’on n’a pas de papiers ».

« Moi je m’en fous du terrain, je veux des papiers français pour circuler, pour chercher ma vie. Je suis né en France, ici c’est chez moi ! », répond Trapp, assis à côté de lui. Le jeune homme aimerait travailler dans une entreprise de climatisation.

La finale du tournoi, parenthèse magique pour le village

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L’entrée des joueurs sous l’arche qu’a confectionné Chefdé, et dans le rythme de l’hymne de la Ligue des Champions.

Après avoir préparé un voulé et servi du oubou dans des bouteilles en plastique coupées en deux à tous les petits du village, Chefdé va chercher les maillots. La finale tant attendue va commencer.

Deux enceintes ont été installées à côté du terrain pour mettre l’ambiance. Le match sera commenté en direct par un garçon surnommé « Mbappé ». Petit à petit les familles s’installent sur le sable, la tension monte. Sous l’arche en feuilles de cocotier, les joueurs se tiennent côte à côte, un enfant dans la main, à l’image des matchs à la télévision. Lorsque l’hymne de la Champions League retentit, les sourires se figent pour laisser place à la concentration.

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De nombreux spectateurs sont venus voir la finale qui été commentée en direct par un jeune.

Chefdé est attaquant dans l’équipe jaune, il porte le numéro 10.

L’arbitre donne le coup d’envoi et les joueurs, sans doute impressionnés par les regards, ont du mal à rentrer dans la rencontre. Le ballon est souvent envoyé dans le lagon ou dans la mangrove. Les bleus prennent l’avantage grâce à un petit attaquant très doué. Après un accrochage, Chefdé a l’occasion d’égaliser avec un penalty, mais sa frappe est arrêtée par le gardien. 1-0 à la mi-temps. La seconde période est fermée, et les bleus marquent un second but, synonyme de victoire. La foule envahit le terrain.

Grâce à Chefdé tous les participants sont récompensés de médailles et de cannettes de sodas, distribuées par une fille du village.

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La remise des médailles.

Mais cette année la coupe revient aux bleus et le jeune homme compétiteur est déçu. La nuit tombe rapidement, les familles rentrent chez elles. Chedfé et quelques amis rangent le terrain et le matériel. Rendez-vous demain pour un nouveau match de football.

Victor Diwisch

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