« Pour réaliser nos enquêtes on sillonne tout Mayotte, on se rend dans tous les quartiers, dans les habitations en tôle et les maisons en dur, on rentre partout pour toucher toute la population », raconte Massa Abtoihi, enquêtrice de terrain de l’Insee, « malheureusement on rencontre plein de problèmes, il y a un manque d’infrastructures, un manque de route et surtout un problème d’insécurité et donc il y a des zones qui deviennent difficilement accessibles », ajoute-t-elle, ce 19 juin, lors d’une conférence de presse organisée par l’institut, qui a souhaité faire un point sur les enquêtes en cours sur le territoire et rappeler que, derrière les statistiques, ce sont des hommes et des femmes qui se rendent sur le terrain.
« Nous on est là pour le bien-être et l’évolution de Mayotte »

« Le problème aussi c’est qu’on nous confond avec des agents de la police et de la mairie qui viennent pour procéder aux décasages, et après Chido certaines personnes pensent qu’on est là pour enfin leur apporter l’aide promise », continue Massa Abtoihi, qui s’occupe des enquêtes sur la zone de Koungou, qu’elle connaît désormais parfaitement. Au total l’Insee a un réseau de 25 enquêtrices et enquêteurs qui se rendent à travers les 17 communes de Mayotte, et dans certains villages ils sont obligés d’être accompagnés par des médiateurs pour pouvoir récolter les données.
« Nous on est là pour une mission d’intérêt général et j’aimerais qu’on nous accueille avec bienveillance », insiste Massa Abtoihi, « on n’est pas là pour les contrôler, les surveiller ni les stigmatiser, mais on est là pour le bien-être et l’évolution de Mayotte ». L’enquêtrice estime également qu’il y a besoin de communiquer davantage sur les missions de l’Insee, un institut que la population a encore du mal à connaître, malgré sa présence sur le territoire depuis 1997. Avant de mener leurs enquêtes et de rentrer dans les domiciles, les agents présentent toujours leur carte professionnelle, qui prouve leur appartenance à l’Insee. Bientôt, ils seront vêtus d’une chasuble spécifique pour faciliter leur reconnaissance par la population.
Le défi du recensement exhaustif de la population

« Il est important de présenter les résultats des enquêtes mais aussi de montrer que derrière les chiffres il y a des personnes, des agents de bureau et des enquêteurs et enquêtrices qui vont sur le terrain », remarque Delphine Artaud, cheffe du service régional de l’Insee Mayotte. « Aujourd’hui ils participent à trois enquêtes en cours : l’enquête emploi en continue qui permet de parler du marché du travail, du taux de chômage, des activités économiques ; l’enquête sur les prix qui permet de montrer l’évolution mensuelle des prix à Mayotte ; et nous menons une enquête cartographique exceptionnelle qui nous permet de préparer le recensement de la population », liste Delphine Artaud.

« Suite à Chido nous n’avons pas pu réaliser l’enquête du recensement en janvier et février 2025 ce qui bloque l’exploitation et la production d’une nouvelle population de référence. L’Etat nous a donc demandé de mettre en place une collecte exhaustive avec un recensement sur tout le territoire, dans toutes les communes, les villages et les logements au même moment », ajoute-t-elle, « les enquêteurs sont actuellement en train repérer tous les bâtis et les répertorier sur une carte pour avoir une base de logements solide afin ensuite de réaliser le recensement ». Ce dernier aura lieu entre novembre et janvier prochain, sous la direction de Bertrand Kauffmann et se fera avec l’aide des agents recenseurs recrutés par les communes. Au total ils seront entre 700 et 800 agents à se rendre dans l’ensemble des foyers de Mayotte, une tâche colossale.
« L’objectif est d’obtenir une nouvelle population de référence qui sera millésimée « 1er janvier 2026″ mais aussi d’obtenir des informations sur la population, l’âge, le type de familles, les métiers exercés et la typologie des logements », précise Delphine Artaud. Des données récoltées qui sont confidentielles, chaque agent est soumis à une clause de confidentialité qu’il a signé dans son contrat.
Le recensement un enjeu politique à part entière
Le dernier recensement exhaustif de l’Insee a été réalisé du 5 septembre au 2 octobre 2017 et l’institut avait alors décompté 256.518 habitants. Depuis l’Insee a publié des estimations annuelles, au 1er janvier 2024, la population de Mayotte était estimée à 321.000 personnes.

Un chiffre jugé très en dessous de la réalité par une grande partie de la population mahoraise, les élus locaux et les acteurs associatifs. Selon eux, la population réelle pourrait se situer entre 400.000 et 500.000 habitants. Une divergence qu’ils expliquent par le nombre de personnes en situation irrégulière qui échappe aux enquêtes statistiques, à la présence d’habitat informel qui implique une mobilité constante des habitants, ou bien encore une défiance envers les agents recenseurs. Ce sentiment a été exacerbé après le passage du cyclone Chido qui a révélé l’ampleur des quartiers informels, souvent densement peuplés et construits sans permis en dehors des plans d’urbanisme.
Sur le plan politique, cette différence d’estimation crée de fortes tensions. L’État s’appuie sur les données officielles pour dimensionner les services publics, tandis que les élus locaux dénoncent un chiffre qui, selon eux, minimise les besoins réels de la population. Ils s’en servent pour réclamer un meilleur soutien financier et humain, notamment dans les domaines de l’éducation, de la santé et de la sécurité.

Le débat dépasse la simple question technique. Il touche à la gestion de l’immigration, la reconnaissance des réalités locales, et la confiance dans les institutions. À Mayotte, le chiffre de la population est donc devenu un enjeu politique à part entière.
« Effectivement les derniers chiffres de références sont assez ancien et à l’Insee nous partageons tous collectivement la nécessité de mettre à jour ces données pour raconter une histoire plus proche de la réalité mahoraise », confie Delphine Artaud.
Et malgré les enjeux et les difficultés, Massa Abtoihi, passionnée, a hâte de se rendre sur le terrain, « on a des objectifs à atteindre, j’apprends tous les jours des choses nouvelles, et surtout j’adore être en contact avec la population ».
Victor Diwisch