Le tribunal judiciaire de Mamoudzou aurait-il une dent contre la mairie de Tsingoni ? Après la destitution, de facto, de l’ancien maire Mohamed Bacar il y a quelques semaines de cela suite à son procès concernant une prise illégale d’intérêts dans les marchés publics, c’était au tour hier de l’ancien maire Ibrahim Boihanery, et ancien président de l’association des maires, de se retrouver devant le tribunal judiciaire. Il était aux côtés du gérant de l’entreprise EBTP, qui lui était accusé de recel de biens, de faux et usage de faux, de corruption active, ainsi que de complicité de détournement de fonds publics.
Petites combines entre amis…
Tout commence lors d’une entrevue entre plusieurs individus lors d’un voulé. Le maire de Tsingoni de l’époque avait besoin de faire un terrassement chez lui et un autre homme comptait monter prochainement son entreprise de bâtiment, EBTP. Les deux hommes se seraient entendus en échange de l’attribution d’un marché public avec plusieurs lots pour des travaux concernant notamment un plateau polyvalent à Miréreni, pour un montant d’un peu moins de 200.000 euros (clôtures, portillons, grillages, etc.). L’entreprise EBTP se serait vue attribuer un des lots sans qu’il y ait eu publicité et mise en concurrence, ce qu’impose le code des marchés publics au-delà d’un certain montant… Des devis auraient été présentés au maire et il aurait donné son accord. En plus de cette non-conformité, un système de double facturation avait été mis en place laissant entrevoir la possibilité de rétro commissions et/ ou d’avantages tels que des travaux. Le maire serait même intervenu auprès de la trésorerie municipale de Mayotte pour accélérer les choses afin de payer ces travaux en priorité. Même si comme les avocats des deux accusés, maître Souhaïli et maitre Idriss, l’ont fait remarquer, la somme trop perçue avait été remboursée en 2014, le mal était fait.
Le maire a également fait en sorte que les travaux commencent rapidement sans en référer à ses services financiers et techniques. Lors de ces travaux plusieurs malfaçons ont été signalées pour le plus grand mécontentement des habitants de Tsingoni qui auraient insisté pour mettre fin aux travaux. Quant au bureau d’études mandaté pour réaliser la faisabilité de ce projet, il a été surpris de voir que l’entreprise EBTP était déjà sélectionnée. Cerise sur le gâteau, ce projet de plateau polyvalent n’était pas prévu dans le budget et les investissements de la commune. Le maire a donc été obligé de ponctionner sur celui prévu pour la MJC. Il a également, selon ses dires, solliciter un prêt d’environ 10.000 euros auprès de l’entrepreneur. Certains, dans la fraude financière, appellent ça des rétro commissions… Je t’octroie un marché avec des des tarifs gonflés en échange de quoi tu m’en reverses une partie en liquide. Un dénommé Moudou aurait servi d’intermédiaire et d’entremetteur dans cette affaire. Ce dernier, pour le coup, était absent de ce procès.
« Le maire est venu me voir pour savoir si je pouvais faire des travaux de terrassement chez lui pour un montant d’environ 8000 euros. On m’a dit qu’en échange il fallait que j’aille à la mairie pour obtenir un marché à Miréreni, raconte l’entrepreneur dans sa déposition. – Comment expliquez-vous que vous lui donniez en plus près de 10.000 euros, interroge le procureur, Yann Le Bris. – C’était un prêt et pas un don », répond l’accusé.
…au détriment de la population
Concernant la double facturation personne n’aurait rien vu si un adjoint au maire n’avait pas découvert le pot aux roses. En effet, la somme de 94.000 euros a été versée deux fois sur le compte de l’entrepreneur mais face à la découverte faite par l’adjoint, le maire a procédé à l’annulation du mandat (2011) entrainant de fait le remboursement par EBTP en 2014. Des modifications manuscrites sur certains documents officiels ont été constatés par le tribunal. Alors confus dans ses propos, Ibrahim Boihanery revient sur ses déclarations entrainant une demande de suspension de séance par son avocat.
Après cette suspension de séance, Yann Le bris commence un long réquisitoire : « On ne sait par où commencer dans cette histoire. Depuis quelques temps, on poursuit des élus qui ont un rapport avec l’argent public et ça c’est un souci ! Déclare-t-il. On nous explique que ça s’est toujours fait comme ça, on reproduit le schéma existant… ». Puis il met en doute la probité de l’élu en pointant du doigt le fait qu’il arrive à l’audience et modifie ses déclarations. « Cela ne renforce pas votre crédibilité ». Puis il énumère les uns après les autres les faits reprochés à l’accusé concernant notamment le favoritisme en faveur de l’entreprise EBTP et l’absence de respect des règles concernant les marchés publics, le saucissonnage pratiqué en éclatant volontairement les travaux afin qu’ils ne soient pas soumis à certaines règles de procédure (publicité, mise en concurrence), l’absence de gestion des finances publiques et la remise en cause du projet de MJC : « C’est un projet retardé car un maire sans consultations décide qu’un certain nombre de sommes vont disparaitre au profit d’une entreprise « amie » et de sa propre initiative. En ce moment vous travaillez pour l’INSEE et en tant que fonctionnaire détaché au ministère de l’économie et des finances on ne touche pas à l’argent public, alors que vous vouliez détourner plusieurs dizaines de milliers d’euros. Votre rapport à l’argent public est délétère. Vous avez octroyé un marché public en dehors de toute règle de passation en échange de contrepartie. En tant que maire vous aviez des obligations… ».
Le procureur avait demandé 36 mois de prison dont 24 mois avec sursis probatoire, une amende de 30.000 euros et une peine d’inéligibilité de 5 ans.
Après avoir délibéré, le tribunal a condamné Ibrahim Boihanery à 12 mois prison avec sursis, 30.000 euros d’amende et une peine d’inéligibilité de 3 ans pour des faits de favoritisme et de corruption, et l’a relaxé des faits de faux et usage de faux et de détournement de fonds public. Pour maître Idriss, avocat d’Ibrahim Boihanery, « La décision du tribunal est une décision qui nous satisfait. C’est une exacte appréciation des faits qui a été faite par le tribunal, à savoir l’ancienneté de l’affaire et le casier vierge de mon client. Nous ne ferons pas appel de cette décision », conclue-t-il.
B.J.