Constatant qu’une majorité d’élèves avait des problèmes de vue non résolus, notamment en raison de l’accès aux droits, Patrick Loval, proviseur du lycée des Lumières, a lancé une opération de prise en charge des déficiences visuelles. « Un premier repérage a été effectué par les professeurs principaux, puis un vrai travail de dépistage a été fait par l’infirmier scolaire. Ensuite, nous avons mis en place tout un circuit : la vérification des droits de chaque élève, car beaucoup n’ont pas de Sécurité sociale, le passage par l’orthoptiste qui rédige une ordonnance, et la délivrance de lunettes par un opticien. » Qui seront prises en charge par le lycée en cas de non affiliation à la Sécurité sociale.
« Nous avons un fonds social abondé par le rectorat, à travers lequel nous pouvons distribuer des denrées alimentaires, ou gérer des problèmes sanitaires comme celui-ci. »
La campagne de dépistage sera menée sur 4 jours, avec un top départ ce lundi où environ 150 élèves vont être vus… façon de parler. Les professionnels présents sont bénévoles, et prennent sur leur temps de travail, un peu comme en mission humanitaire. C’est le cas de Céline Miguet-Henno, orthoptiste en métropole prés de Grenoble. « Je suis venue 15 jours à Mayotte pour aider à améliorer la santé des jeunes lycéens, et faire quelque chose d’utile. » Son fils est enseignant dans l’établissement. « J’ai déjà commencé à travailler dans les deux centres de dépistage visuel de l’île installés dans les centres de soin de Bandrele et Hamjago, où j’ai aidé à la formation des infirmiers scolaires, et de ceux de la MDPH et des PMI. »
Les places de devant affichent complet
Une orthoptiste qui est la bienvenue, rapporte encore Patrick Loval, « je n’ai pas trouvé d’ophtalmologiste pour un diagnostic et une prise en charge. » Un contexte similaire à l’Hexagone où ce sont les orthoptistes qui délivrent majoritairement les ordonnances. A la condition qu’il n’y ait pas de maladies graves, « et que les patients soient âgés de 16 à 42 ans », nous rapporte Céline Miguet-Henno. Un effet de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022, qui n’a pris effet que le 1er février 2023 avec la promulgation d’un arrêté, qui autorise ces professionnels à prescrire les premiers verres correcteur.
Notre démarche va être de comprendre où cela achoppe dans la prise en charge, même si l’absence de carte Vitale reste le handicap premier.
Dans le couloir, les premiers élèves attendent, munis de leur convocation. Ils ont différents profils. Actuellement en seconde générale, Omar*, 15 ans, se considère comme un bon élève, même si « c’est aux profs qu’il vaut mieux le demander ! » Mais depuis le collège, il ne voit pas de loin. « J’en ai parlé à mes parents qui ont décidé récemment de prendre un rendez-vous chez l’ophtalmo. Quand j’ai entendu parler de l’opération dans le collège, j’ai sauté sur l’occasion. Il est le premier à être reçu par la professionnelle de la vue. « Comment fais-tu pour ta scolarité ? », s’enquiert-elle – « Je me mets devant à chaque fois, mais ce n’est pas mieux ».
La pièce est plongée dans le noir l’espace d’un instant, puis des lunettes de style Professeur Nimbus plantées sur le nez, Omar est prié de décliner la suite de lettres du tableau optométrique de Snellen dont la logique est propre à la profession, qu’il ne devinera pas du tout au départ, pour aligner parfaitement la première ligne ensuite.
« Je suis un peu menteuse »
« Nous n’avons pas les grosses machines comme dans les cabinets de métropole, mais ça marche aussi à l’ancienne ! », sourit l’orthoptiste, qui diagnostique une myopie. Mais ne peut rédiger une ordonnance étant donné que le jeune lycéen n’a pas atteint 16 ans, « c’est l’assistante sociale du lycée qui va prendre le relais, il va falloir passer par le CHM. »
Dans le couloir un groupe de filles attendent leur tour pour être reçu par l’infirmier Julien Mohamed. Pour Oirda*, 15 ans, ce problème de vue est devenu un vrai handicap, « cela fait 5 ans que je ne vois pas de loin. Mes parents avaient réussi à me prendre un rendez-vous, et j’ai pu avoir des lunettes, mais elles ont été volées en classe dans mon sac. Je n’ai jamais su qui c’était. Depuis, je n’en ai plus, mais il y a un an, j’en ai eu marre, j’ai appelé plusieurs fois l’hôpital, ça me dit toujours de patienter, mais l’appel est raccroché aussitôt. Je n’ai jamais pu avoir de rendez-vous ». C’est en effet au parent majeur de s’en charger.
Samia*, 16 ans et tout sourire, c’est un cas à part. « En 6ème, j’ai dit que j’avais mal aux yeux quand il y a beaucoup de lumière, l’infirmière a expliqué que j’avais un problème aux yeux. Mais comme je suis un peu menteuse, mes parents ne m’ont jamais cru. Ils pensaient que je faisais l’intéressante. Et comme mon père est malade, il n’a pas le temps de s’occuper de moi. » Zaïnaba*, 16 ans, a le même problème de sensibilité à la lumière, « ma mère dit que je suis née comme ça. A 12 ans, j’ai vu le médecin à Koungou, qui a prescrit des lunettes qu’il fallait que je change tous les ans. Donc la je n’ai plus de lunette qui me vont, mais j’ai pas eu le courage de venir à l’infirmerie du lycée pour en parler. »
Autant de lycéens, autant de cas, pour une action qu’il faudrait généraliser, un peu comme la vaccination, pour écarter une cause de contagion d’échec scolaire.
Anne Perzo-Lafond
* Prénoms d’emprunt en raison du secret médical