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« J’ai peur de lui mais je l’aime », une femme enceinte dans l’enfer des violences conjugales

Une femme enceinte victime de violences conjugales en mars a de nouveau subi les foudres de son conjoint, guère calmé par sa convocation au tribunal en septembre. Une comparution immédiate a tenté de lui remettre les idées en place avec un an de prison à la clé.

Parce qu’il n’y avait plus de poivre à la maison, la moutarde lui est montée au nez. C’est complètement bourré que ce chef cuistot s’en est pris à sa compagne, enceinte de 5 mois, début août. L’homme revenait alors d’une fête de famille lors de laquelle il avait englouti près de 6 litres de bière. A son arrivée, sa femme avec qui il s’était disputé au téléphone quelques minutes plus tôt, n’avait pas préparé le repas, et l’homme constate qu’il n’y a plus de poivre à la maison. C’est l’élément déclencheur du déferlement de violence qui s’ensuit.

« Je l’avais déjà prévenue de ne pas attendre qu’il y ait rupture » ose avancer le prévenu devant ses juges, comme si la victime était responsable de son sort.

« Vous êtes chef cuistot mais visiblement vous ne savez pas cuisiner puisque quand vous rentrez chez vous vous mettez les pieds sous la table. Votre femme n’est pas votre domestique! » le retoque le président Ben Kemoun, qui pendant une heure et demie d’audience n’aura pas manqué une occasion de tacler le conjoint violent. Ce dernier n’aura, lui, pas manqué une occasion de noyer le poisson, voire d’accuser sa compagne.

« Je ne sais pas comment fait votre femme pour vous supporter si vous êtes toujours aussi fuyant comme une anguille » le pique le président d’audience, qui tenait, lui, plus de l’aiguille que de l’anguille.

Qu’à cela ne tienne, le prévenu aura tenté jusqu’au bout d’inverser les rôles. « ça arrive des fois qu’elle me mettre des gifles » affirme-t-il, citant comme exemple « il y a deux jours, au lit » alors que le couple était en voie de réconciliation.

Aux frontières du viol

Le lit, c’est d’ailleurs un des nœuds du problème auquel s’est intéressé le tribunal. Car si la jeune mère dit n’avoir jamais subi de violences sexuelles, « comme j’ai peur des violences, je cède à ses désirs ». On n’est pas loin de la définition du viol qui aurait pu mener le jeune homme aux Assises.

Ce qui n’empêche pas ce dernier de manifester violemment sa frustration quand son épouse le repousse. Un événement violent début mars devait le conduire au tribunal en septembre, mais les coups portés en août ont conduit le parquet à fusionner les différents faits dans la même audience sous le chef de violences habituelles. Il y a cinq mois donc, c’est justement parce que l’épouse n’avait « pas envie » que les coups ont commencé à pleuvoir.

« Au réveil il m’a accusé de coucher avec le voisin et m’a porté une première gifle, il m’a tiré le pied, m’a porté des coups de poing dont un à l’oeil. Je suis partie en courant et j’ai composé le 17. Conduite au dispensaire de Mramadoudou j’ai eu une ITT de 2 jours. »

Les photos prises à l’hôpital la montrent défigurée, tuméfiée. « A la barre on ne la reconnaît pas » note le président. « J’ai peur de lui, mais je l’aime » souffle la victime.

En effet les violences ne datent pas d’hier. Selon l’épouse, l’enfer aurait commencé en décembre 2018, alors que le couple était marié depuis peu. Depuis, les violences sont fréquentes. « Parfois pendant une longue période il ne me frappe pas, parfois c’est plusieurs fois par semaine. D’habitude ce sont des gifles ou des coups de poing, une fois il m’a frappée avec un cendrier » détaille la victime. Et quand les violences ne sont pas physiques, elles sont verbales. « Parfois il ne me frappe pas et m’insulte juste de pétasse ou de salope, ça arrive très souvent » poursuit-elle.

Un témoignage qui glace le sang, d’autant que ces scènes ont lieu, sans complexe, devant des témoins, adultes parfois, mais le plus souvent, ce sont les enfants qui y assistent, dont le fils de 8 ans de la mère violentée, et sa nièce de 6 ans.

Le fils mime les coups sur sa cousine

Fin mars, le garçonnet témoignait en ces termes : « Ce jour là (début mars NDLR) je jouais dehors, j’ai entendu une dispute sur une histoire de curcuma. Il frappait ma mère à coups de poings, ma mère pleurait, j’ai appelé ma tante » raconte l’enfant auprès des gendarmes.

Un enfant confronté à ces violences régulières, et qui s’en trouve lui aussi perturbé au point de mimer sur sa petite cousine de 6 ans, les agressions subies par sa maman.

“Je vous mets en garde, prévient Laurent Ben Kemoun à l’adresse de la victime, on se doit de se protéger soi même et de transmettre de bonnes valeurs à ses enfants. Votre enfant a le droit solennel d’avoir une maman qui se respecte et qui est respectée ». Tout en précisant au prévenu qu’il est le seul responsable dans cette affaire.

« Nous ne vous laisserons pas abîmer cette femme »

Comme souvent, la victime a tenté de retirer sa plainte, mais, rappelle le procureur,  « la plainte n’est pas nécessaire pour déclencher l’action publique ». Il réclamait 1 an de prison dont 6 mois ferme.

Pour la défense, Fatima Ousseni s’est fendue d’un vibrant plaidoyer en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes, tout en appelant à « accompagner » son client afin de prévenir la récidive. Tout comme la victime qui suppliait qu’on « aide » son mari.

« Monsieur a de la chance. Il a de la chance parce qu’on a un président qui a accepté de poser le débat, de poser des mots, on n’a pas minimisé les faits, surtout avec une victime qui a décidé comme dans 9 cas sur 10 de retirer sa plainte. Quand on ne peut pas juger ça donne quoi, ça donne qu’on revient au tribunal. Alors il faut une réponse.

Avoir aujourd’hui un procureur qui rappelle que la plainte n’est pas importante, c’est une chance. Je ne vais pas minimiser la gravité des faits, même si lui, il n’en a pas la conscience totale aujourd’hui.

Il y a un grenelle des violences conjugales, c’est une cause nationale. Il a de la chance car il a obtenu tout le travail thérapeutique qui s’est joué là. Le bébé entend tout, y compris la voix, les insultes, mais il n’y a rien de définitif, on peut reconstruire. Je demande une réponse ferme sur le plan pédagogique. Je demande des mesures qui permettent d’avoir un suivi psychologique obligatoire. Il faut arrêter l’alcool. Accompagnez le car sinon demain ça sera la cour d’assises car le cendrier l’aura touchée à un endroit fatal. C’est pas ça la vie ! « 

La bâtonnière, Me Fatima Ousseni

Et de rappeler que la victime va accoucher dans 4 mois, d’un enfant privé de père si celui-ci est en prison.
Autant d’arguments entendus par les trois juges qui ont opté pour une peine de 6 mois ferme sans incarcération immédiate, et 6 mois avec sursis probatoire. Une peine qui se fera à Majicavo si l’homme ne se soigne pas pour l’alcool, entre autres obligations.

“Je peux changer et devenir quelqu’un de meilleur” promettait-il à la barre. Dans le cas contraire, « la justice se donnera tous les moyens de vous empêcher de nuire, promettait le président Ben Kemoun. Nous serons impitoyables. Si ça devait se renouveler, la justice ne laisserait pas faire, nous ne vous laisserons pas abîmer cette femme.”

Y.D.

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