« Alors que l’éducation est un service public national, les communes ont la charge des écoles maternelles et élémentaires », dès le préambule, la Chambre, illustre le décalage entre les attentes d’une éducation pour tous, et la réalité à Mayotte. Les communes doivent en assurer la construction, l’extension, les grosses réparations, ainsi que l’équipement et le fonctionnement. Ce qui incite régulièrement le syndicat SNUipp-FSU à demander à l’Etat de reprendre le bébé avec l’eau du bain, et à le redonner quand elle sera saine.
La commune de Dzaoudzi Labattoir fait figure d’exception dans le paysage mahorais de forte croissance scolaire puisque si 4.101 enfants sont scolarisés à la rentrée 2021, soit 23 % de la population communale, depuis 2017, la population scolaire n’a augmenté « que » de 2 % de ses effectifs, « avec une disparité entre l’évolution en maternelle, + 12 % et en élémentaire, – 3 %. »
Pour la CRC, ce n’est que la face visible de l’iceberg, et elle fait un constat habituel généralisable à l’ensemble des communes : « Il est probable qu’une partie des enfants, notamment ceux en situation irrégulière, échappe à la scolarisation même si la commune ne semble pas pratiquer une lecture restrictive des textes pour les formalités d’inscription. Ensuite, le sous-dimensionnement du bâti et le faible rythme de construction de nouvelles salles de classes empêchent la scolarisation d’enfants supplémentaires. »
Les besoins ont été répertoriés, déficitaires, avec une analyse à la clé. A Dzaoudzi-Labattoir, il manquerait officiellement 19 salles de classe pour les maternelles (et 24 à l’horizon 2032) et 10 pour les élémentaires. La reconstruction du groupe scolaire Labattoir 1 La Ferme a été engagée : il comprendra 9 salles de classes de maternelle et 6 salles pour les élémentaires, « soit la moitié du besoin estimé à ce jour ». Une liste d’attente a été mise en place à la rentrée scolaire 2020, permettant de recenser le nombre d’enfants non scolarisés mais souhaitant avoir une place. L’effectif recensé augmente : 557 enfants sont placés sur liste d’attente en 2021 contre 469 en 2020. « Une solution a été trouvée, en cours d’année, pour 236 d’entre eux, mais 289 enfants n’ont donc pu être scolarisés normalement au cours de l’année scolaire 2021-2022. En outre, entre 50 et 100 enfants fréquentent une classe itinérante. Cette stabilité apparente des effectifs est donc en trompe-l’œil : l’augmentation du nombre d’enfants à scolariser à Dzaoudzi-Labattoir serait donc en réalité proche des 10 % depuis 2017 », estime la CRC, qui livre un constat : « Le sous-dimensionnement des capacités d’accueil a pour effet de priver environ 600 enfants de leur droit d’aller à l’école. »
« Avant de construire, il fallait rénover »
600 enfants déscolarisés pour une commune parmi les moins déshéritées et considérée parmi les mieux gérées, puisque la CRC parle de « parc scolaire correctement entretenu » et d’accueil d’activité périscolaire, certes insuffisant, mais « assuré par des personnels qualifiés »… on n’ose multiplier ce chiffre par 17 et constater que cela dépasserait les 10.000 enfants sur le territoire.
L’obligation de scolariser dès 3 ans induite par la loi sur l’école de la confiance de 2019 n’a fait qu’aggraver le phénomène, « Le rectorat fixe pour l’ensemble du territoire de Mayotte un objectif de scolarisation, à l’horizon 2024, de 85 % des enfants de cinq ans, de 78 % des enfants de quatre ans, et de 57 % des enfants de trois ans. Pour parvenir à scolariser malgré tout, le dispositif « classe itinérante » a été mis en place au sein de l’académie au cours de l’année scolaire 2020-2021. Sur les 11 écoles publiques de la commune, faute de salles de classe en nombre suffisant, un tiers des écoliers sont en rotation. Face à ce déficit de bâti, la CRC critique : « La commune n’a consacré depuis 2017 que 17 % de son budget investissement à ses écoles, soit 3,9 M€. »
Deux manquements ont été signalé, l’absence d’un règlement budgétaire et financier, « la commune s’en est dotée depuis », et celui d’un programme pluriannuel d’investissement, indispensable pourtant en terme de prévisions de travaux.
Le rapport de la Chambre se termine par un courrier du maire, Saïd Omar Oili, qui indique ne pas avoir de remarque à formuler sur ce rapport. C’est qu’il a été longuement auditionné, il revient pour nous sur ces entretiens : « J’ai expliqué aux 5 magistrats devant moi le contexte mahorais. Lorsqu’ils disent que nous n’avons consacré que 17% des investissements aux écoles, ils parlent des constructions. Or, vu le parc vieillissant, nous avons privilégié la rénovation des 11 établissements dégradés. Il faut commencer par là avant de construire de nouvelles classes. Et nous avons quand même en projet deux écoles neuves, Labattoir 3 et T17, où nous construisons d’ailleurs en hauteur. »
Des emplois aidés qui mutent en agents non aidés
Mais nous avons souhaité interroger l’élu sur le paradoxe énoncé par la Chambre : investir pour scolariser implique d’augmenter considérablement les charges pour le fonctionnement des nouvelles structures, nous citons un extrait : « la commune consacre un quart de ses charges courantes au fonctionnement de ses écoles. La masse salariale affectée à la compétence scolaire augmente considérablement + 55 % entre 2017 et 2021 ». Si celle-ci n’est pas toujours justifiée, le rapport pointe, « la réduction drastique des participations de l’État au titre des emplois aidés et leur remplacement par des contractuels de droit public ».
Saïd Omar Oili abonde et cite un exemple : « Le rapport critique le report de l’ouverture du réfectoire de l’école Mohamed Houmadi qui permettra de servir environ 480 repas chauds par jour, soit 12 % des élèves, mais je vais être accompagné pour recruter des personnes qualifiées pour les deux premières années, puis, plus rien. Ça pèse sur notre budget ensuite. J’avais 130 PEC dont une partie dédiée aux activités périscolaires, je n’en ai plus que 44, je préfère les mettre au nettoyage des écoles. »
Les communes sont donc devant une équation compliquée : des effectifs constamment en hausse liés à la démographie, avec des aides à l’investissement qui suivent, mais pour les faire fonctionner, des budgets qui rament derrière… au risque de se retrouver gérés par la Chambre régionale des Comptes à la demande du préfet ?
Anne Perzo-Lafond