Les 1.780 élèves du lycée d’une Cité du Nord censée n’en accueillir que 900, et leurs enseignants, s’étaient rassemblés dans la cour de l’établissement ce lundi matin, pour à la fois se recueillir, à la fois témoigner.
Parmi les plus émues, Couboura Ahmed, présidente des parents d’élèves du lycée, a assisté à la fin de la scène : « Je suis arrivée dans la zone des bus où j’ai vu trois jeunes qui avaient porté des coups de ciseaux, prendre la fuite. Parmi les agresseurs, j’en ai reconnu deux scolarisés ici à la Cité du Nord, et le 3ème au lycée de Dzoumogne. Ils viennent tous d’Handrema, alors que Miki était de Mtsamboro ». Le côté rassurant, c’est que ce sont des parents d’Handréma eux-mêmes qui, craignant des représailles et « les photos des jeunes circulant sur les réseaux sociaux », sont allés chercher les trois présumés auteurs du crime dans leurs familles pour les livrer à la gendarmerie, explique encore Couboura Ahmed.
D’emblée le récit porte sur une guerre de villages, sans qu’on soit certain d’un phénomène de bandes. « Miki avait tout, dont un père qui s’occupait bien de lui, ça a pu susciter des jalousies », nous témoigne une proche de sa famille. Des copines de classes lorsqu’il était en 3ème évoquent un jeune sympa, « il était toujours prêt à nous faire rire, à nous remonter le moral », glisse Elisabeth. Assis sur un muret, un lycéen de seconde, Haïdar évoque une mésentente de toujours entre les villages d’Handrema et Mtsamboro, « on ne vois pas d’adultes renouer le dialogue entre les deux ».
Pendant que les femmes priaient le Coran, dans une salle, les hommes se sont retrouvés pour un douha, une prière pour rendre hommage et apaiser, à laquelle participait le Grand cadi, le député Mansour Kamardine ainsi que plusieurs élus locaux. Un moment qui aurait été approprié pour inviter quelques élus et religieux d’Handrema à participer. En tout cas, l’affichage d’un dialogue intervillages de la part des adultes, et en extrapolant à l’ensemble de l’île, serait le bienvenu.
« J’ai eu ma fille à 16 ans, ça n’a pas fait d’elle une délinquante »
« Cette guerre entre bandes, ça se terminera dans le sang ! », nous avait confié un ancien commandant de gendarmerie il y a 5 ans. Depuis, il y a eu Sada, Petite Terre, Koungou, etc. Tout le monde est à la recherche de solution face à cette société en évolution.
Nous sommes toujours sur les « enfants du juge », pour Rastami Spelo, président de l’association Shime : « Il y a une fracture entre parents et enfants, les enfants ont compris que l’Etat les protège, notamment des corrections de leurs parents. Et nous avons affaire à des responsables administratifs qui se relaient tous les deux ans, sans se passer les consignes sur les explications à apporter à la population. A chaque fois, on recommence à zéro. La France est capable de combattre Al-Qaïda, mais ne peut pas protéger notre île contre l’immigration comorienne. On est fatigué. Ce n’est pas ce que nous avions choisi en restant français, on dirait que tout est fait pour que nous haïssions la France, il ne faut pas tomber dans ce piège. Mais les dégâts commis par la jeunesse peuvent nous laisser penser que c’est déjà trop tard. »
A ce défaitisme, répondent plusieurs initiatives stimulantes. Car si contre l’insécurité, on ne parlait il y a peu que de forces de l’ordre, désormais, c’est un discours très complémentaire, voire prioritaire qui se fait entendre.
Du côté des aides à la parentalité tout d’abord, comme le rapporte Zalifa Assani, 1ère vice-présidente de la FCPE, Fédération des parents d’élèves : « Depuis 10 ans que je demande des accompagnements à la parentalité, la CAF a enfin lancé un appel d’offre. Il faut éduquer les familles pour qu’un jeune délinquant ne transmette pas ses repères à lui quand il va devenir papa. A ce propos, le collège de Majikavo Koropa accueille tous les mercredi les parents dans une salle pour travailler sur un ordinateur, et en venant, ils surveillent la route. » Quand on lui parle des familles monoparentales, avec parfois des très jeunes filles, elle met en garde contre la victimisation : « J’ai eu ma fille à 16 ans, mais je n’ai pas voulu me marier avec son papa. Ça n’a pas fait d’elle une délinquante. »
Ali Nizary, président de l’Union Nationale des Association Familiales (UDAF), nous présente 3 pistes de solution : « Il faut sensibiliser les parents à la découverte de leurs enfants, ils ne les connaissent pas bien. Ensuite, il faut évaluer les politiques publiques mises en place par les grosses associations de l’île, notamment sur la prévention spécialisée. Elles ont bénéficié de financement, on en est où ? Car le résultat n’est pas là. Enfin, il faut revenir aux valeurs ancestrales, en ramenant les enfants vers les shioni, ces écoles coraniques où l’on a tous appris le respect et la solidarité. Les enfants connaissent mieux leurs droits que leurs devoirs désormais. »
« Parents, revenez à vos responsabilités ! »
Lors des discours, les institutionnels ont eux aussi cherché à présenter des solutions. Le recteur Gilles Halbout citait Jean Zay comme un préalable : « Les écoles doivent rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ». Il appelait en premier lieu à la non violence en retour de ce crime, « de grands sages comme Nelson Mandela nous ont appris que les combats ne se gagnent pas comme ça. » Le député Mansour Kamardine invitait à « profiter de l’école. Dans ma génération, j’ai été chanceux, peu de jeunes y allaient. J’invite d’ailleurs les mamans et les parents plus généralement, à s’investir dans l’école de leur enfant ». Un lien nécessaire qui correspond à l’ancienne configuration shioni-parents-autorités villageoises, trois entités qui étaient toujours en relation autrefois.
C’est un discours remarqué que fit Saïd Kambi, porte-parole des cadis, qui s’exprimait en français pour inviter haut et fort à « venger Miki avec cahiers et stylos, en apprenant vos leçons et en décrochant des diplômes ! Le combat doit seulement porter sur l’obtention de la meilleure note. Vous êtes l’avenir de cette île, mais vous voulez la mener par la violence ?! Jamais. On ne peut pas crier tous les jours que c’est la faute de l’Etat, de l’Education nationale ou des élus, et nous ? Où sont les hommes, les pères ? Revenez à vos responsabilités ! »
Les minutes d’émotion, c’étaient le témoignage de l’oncle de Miki, « aucun lot n’apaisera la douleur, nous sollicitons les enseignants et le courage et la foi des élèves pour que les jours qui viennent soient meilleurs », celui des élèves pairs, très émus, qui appelaient à la non violence », et celui du maire de Mtsamboro qui essuyait ses larmes pour s’adresser aux jeunes, « stoppez votre violence, nous ne sommes pas dans un jeu vidéo ! »
Sollicités, les enseignants eux-aussi ont leurs idées sur la question. Henri Nouri, secrétaire
général du SNES Mayotte, a réfléchi au moyen de « casser la chaine de la violence » : « Il faut s’interroger sur la méthode à adopter pour que les jeunes gèrent leur propre violence. Ce n’est pas notre rôle, mais nous pouvons mettre en place des séquences avec des mises en situation des jeunes. ‘Comment je réagi si je suis bousculé ? Par la violence, est-ce-que je satisfait mon propre besoin ? Est ce que ça va améliorer la situation ? La mienne et celle de l’autre’. Si nous avions eu cours ce lundi matin, j’aurais fait ça avec ma classe. Il existe des kits d’éducation à la non violence en métropole, il faut les utiliser. Il faut aussi en parallèle accroitre le nombre de médiateurs sociaux à l’extérieur des établissements et donner plus de moyens à la PJJ. Plus largement, l’Education nationale n’est pas la clé du problème de la violence, c’est un plan Marshall de développement économique de l’île qu’il faut pour endiguer la pauvreté et le chômage ».
Alors que tout le monde se quittait, c’est à Kahani qu’il aurait fallu déporter ces discours puisque les violences y reprenaient atour du lycée.
Anne Perzo-Lafond