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« Papa pourquoi tu me touches ? » Des tables rondes au collège pour libérer la parole autour des violences sexuelles

20 adolescents qui échangent sur un sujet encore largement tabou à Mayotte, c'était un pari osé. Pendant une semaine, des collégiens de Passamaïnty ont participé à des ateliers dans le cadre de la campagne en cours contre les violences sexuelles. Une façon de libérer la parole qui a porté ses fruits.

 » Papa tu me fais peur ! Pourquoi tu me touches ?

-Ben parce que je t aime bien, je suis ton papa j’ai le droit de te toucher”

-oui mais pas comme ça, je suis mal à l’aise, tu me fais peur ! »

Dans cette scène glaçante, pas plus d’enfant que d’homme pervers, mais deux intervenantes de l’ACFAV (association pour la condition féminine et l’aide aux victimes). Malika Bouti et Zabibou Djabiri, jouaient cette saynète, dans laquelle certains élèves étaient susceptibles de se retrouver.

« Arrêtez, qu’est ce que tu fais, c’est une agression sexuelle ! » Dans le rôle de la grande sœur venant à la rescousse de la victime, une élève de 15 ans, briefée juste avant par les deux intervenantes, promet à son père fictif de témoigner, de dénoncer, de parler même si on ne la croit pas du premier coup.

Petit tour de table des élèves présents. Ils sont une vingtaine, autant de filles que de garçons, et tous n’ont pas la même perception de ce qu’ils viennent de voir et d’entendre. Pour plusieurs, la scène présentée s’apparente à « un harcèlement ». « Il la touche bizarrement parce que c’est une fille » tente de résumer une ado. D’autres expriment que si c’était un petit garçon, ça aurait été moins grave. Quand les intervenantes posent le mot « inceste », plusieurs des jeunes n’en ont jamais entendu parler. “L’inceste c’est une agression sexuelle dont l’auteur est un membre de la famille ou quelqu’un de très proche qui vient souvent à la maison » vulgarise Zabibou Djabiri, la conseillère juridique de l’association, consciente que ces thèmes sont encore largement méconnus ici. Celle-ci regrette le persistance du tabou, de l’omerta, qui protège les auteurs et culpabilise les victimes.

« On sait, mais souvent quand la responsable légale de la victime vient en gendarmerie, elle a d’abord essayé  en amont de négocier une dot, ce qu’elles appellent le « dû », c’est un élément propre à Mayotte. Quand la maman vient nous voir à l’association, elle explique qu’elle n’a pas envie d’aller porter plainte, qu’elle ne se sent pas capable d’aller devant la justice. Parfois elles proposent de résoudre le problème avec le Cadi. Ça demande beaucoup d’éducation, se sensibilisation, de travail de terrain pour que la honte change de camp, car actuellement, ce sont les victimes et leurs familles qui ont honte. Il y a une évolution mais il faut en parler encore et encore. C’est comme pour les violences conjugales, c’est un travail de tous les jours. »

Les deux salariées de l’Acfav aident les jeunes à mettre des mots sur des notions taboues

Malika Bouti justement, est conseillère conjugale et familiale à l’Acfav. Les violences conjugales et sexuelles sont son lot quotidien. Elle était aux côtés des collégiens de Passamaïnty « à la demande de l’établissement scolaire et suite à la campagne contre les violences sexuelles menée par Hakiza Wanatsa dont on a rejoint le collectif ». « Toute la semaine on a participé à des groupes de paroles avec ma collègue. Le premier thème était ‘ton corps t’appartient’ et les élèves se sont exprimés de façon très libre ». Au point qu’une élève, victime d’inceste, a pu dans ce cadre privilégié se confier aux professionnels présents, et recevoir enfin de l’aide après des mois de silence.

Les ateliers ont aussi permis d’aborder la sexualité « de manière très large », par exemple « est ce que j’ai le droit de toucher les fesses d’une personne » poursuit l’intervenante. Les élèves ont ainsi pu découvrir que la notion d’agression sexuelle, un délit lourdement puni par la loi, revêt de nombreux visages, et que beaucoup de gestes qualifiés de « pas si graves » tombent bel et bien sous le coup de la loi.

« On répond aux questions ensemble pour que le jeune puisse se réapproprier la réponse. Nous, professionnels, on est là pour ajouter d’éventuelles précisions. »

Ton corps t’appartient ! Tous les jeunes ne le savent pas encore

Une formule qui fait mouche à un âge ou « leur propre sexualité les perturbe. Nos collègues de Repema sont là pour parler de contraception, ce qui est intéressant c’est qu’ils sont déjà très souvent dans le projection du futur et du mariage », comme si pour beaucoup d’élèves la perspective du mariage rendait moins grave l’absence de consentement. Ce qui rejoint le fossé entre la loi républicaine et une certaine vision de la culture et des traditions. « On parle aussi des stéréotypes, des comportements sexistes. Pas plus tard qu’hier on a pu parler de l’inceste et souvent les jeunes n’ont pas identifié ce qu’était l’inceste, pour certains, leur corps appartient à leurs parents. Toutes ces choses là sont à exprimer et à oser exprimer. On évoque avec eux la posture du témoin, de l’auteur et de la victime, ainsi que des émotions ».

Pour Sandrine (prénom d’emprunt), 15 ans, ces ateliers sont plus qu’utiles pour passer certains messages. « Le message, c’est que si on se fait agresser ou qu’on voit une action se passer, il faut parler à plusieurs personnes. Il y a une différence entre un câlin et une agression. Si on ne se sent pas bien, c’est une agression, pas un câlin. Et si on a connaissance de faits comme cela c’est important de le dire car ça peut mener pour la victime à des troubles de mémoire, de l’échec scolaire ou on peut se renfermer. De cette semaine j’ai retenu que mon corps c’est mon corps, et que personne n’a le droit de le toucher. C’est vrai aussi pour les garçons car parfois même des filles peuvent agresser un membre de leur famille. C’est important d’expliquer qu’il y a des choses qu’on peut faire, et d’autres, qu’on ne peut pas faire. »

Deux intervenantes et une élève mettaient en scène l’agression d’une enfant. Point de départ d’un débat sur l’inceste

Sur la semaine, ce sont comme elle pas moins de 500 élèves répartis en 4 ateliers dont 3 groupes de parole qui se sont succédé, accompagnés de 20 adultes dont l’assistante sociale et les infirmiers scolaires, des professeurs volontaires et des acteurs associatifs comme l’Acfav. Lydia Barnéoud, présidente du réseau Hakiza Wanatsa saluait vendredi « une immense réussite » pour cette réponse à l’appel à projets sur le thème de l’éducation à la vie affective et sexuelle, émis le mois dernier par l’association et le rectorat. « On espère qu’il essaimera dans d’autres établissements » conclut la bénévole.

Y.D.

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