» Ce pays est mort ! « . Un consommateur venu faire ses courses ce dimanche 3 avril dans un marché de Moroni vide sa colère en apprenant que la bouteille d’huile de tournesol passe de 750 francs comoriens (1,5 euro) à 1750 francs (3,5 euros). « Comment le prix d’un produit peut-il doubler en l’espace d’une semaine ? », s’est-il interrogé, l’air abattu. « Où est le gouvernement ? Comment vivre avec ça. Comment nourrir nos familles avec un tel niveau de prix », a ajouté le jeune homme qui a quand même acheté deux bouteilles d’huile, un kilo de viande à 3000 francs (6 euros) et trois kilos de sucre à 2100 francs (4 euros). « Que puis-je faire, j’ai acheté à contrecœur », se justifie-t-il.
L’inflation est devenue le cauchemar des Comoriens toutes catégories sociales confondues. Le phénomène dure depuis des mois mais connait un rythme inquiétant surtout ces derniers temps pour les ménages les plus vulnérables. Les consommateurs sont soumis à un dilemme : acheter les denrées à prix d’or ou rentrer chez eux au risque de ne pas avoir de quoi mettre sous la dent. Les députés comoriens, au premier jour de leur session parlementaire, se disent inquiets de la situation. Le président de l’Assemblée nationale, Moustadroine Abdou, a appelé, vendredi 1er avril, le gouvernement à tout faire « pour apporter des réponses concrètes à la hausse des prix des produits de base », d’après le journal Al-watwan de ce lundi 4 avril.
Une hausse des prix jusqu’à 125%
Les Comoriens font face, impuissants, à une hausse en cascade des prix des denrées de première nécessité à l’aube du mois sacré de ramadan. Les trois principaux produits les plus consommés, sucre, huile, farine, ont connu « une augmentation de 125% », selon des études comparées faites par des demi-grossistes et des consommateurs. Le taux d’inflation risque d’atteindre un niveau historique de 4%, selon les projections des services de l’Institut national de la statistique, des études économiques et démographiques (INSEED).
Le dernier bulletin de l’Indice harmonisé des prix à la consommation (IHPC) fait état d’une hausse généralisée de +3,8% des prix des denrées alimentaires. « La hausse des prix des principaux produits alimentaires s’est reflétée sur l’ensemble des produits, notamment le riz (+19%), le sucre (+3,1%) et l’huile de tournesol (+9,4%) », indique le rapport 2021 de la Banque centrale des Comores (BCC) qui préconise « des mesures d’accompagnement » au profit « des ménages les plus vulnérables ». Une opération de transfert monétaire avait été organisée l’année dernière au profit de plus de 21.600 ménages dans le cadre d’un projet de filets sociaux de sécurité soutenu par la Banque mondiale. Mais il a été jugé insuffisant au vu des difficultés socio-économiques vécues ces deux dernières années à cause de la crise sanitaire.
La population comorienne dont 45% vivent en dessous du seuil de pauvreté est concentrée en milieu rural (68,03%) contre 31,97% en milieu urbain. Une bonne partie vit grâce aux activités agricoles et aux transferts de la diaspora. Les fonds provenant des familles installées en France permettent à cette catégorie de faire face en partie aux soucis posés par la hausse des prix. Mais cela leur garantit des ressources fragiles qui n’arrivent pas en quantité suffisante ou en rythme régulier. Ce qui expose ces ménages à une extrême vulnérabilité financière.
100 conteneurs arrivés au port de Moroni
Pour faire face à la hausse des prix, des opérateurs économiques préconisent de consommer local. Des mesures ont été prises dans ce sens. Une foire agricole a été inaugurée le 30 mars dernier à Moroni. Peut-elle répondre aux besoins immenses en denrées agricoles ? Le gouvernement comorien mise, par ailleurs, sur la hausse de l’offre dans le marché. Les autorités ont accompagné les opérateurs à importer une quantité importante de produits de base grâce à une ligne de crédit spéciale de 10 millions d’euros mise à leur disposition. Environ, 100 conteneurs de denrées alimentaires dont 55 frigorifiques et 20 contenant du sucre sont arrivés au port de Moroni ces derniers jours.
Reste à savoir si la hausse de l’offre aura un effet mécanique sur les prix. Les commerçants sont considérés, depuis des décennies, comme les champions de la spéculation et des ententes illicites. Le ministère de l’Economie devrait fixer, ce lundi 4 avril, la structure des prix des produits de première nécessité. Sera-t-elle respectée ? La régulation des prix a toujours été un procédé classique des gouvernants aux Comores à chaque mois de ramadan sans effet réel sur le terrain. Mais l’homologation des structures des prix aura peut-être un effet dissuasif et permettra, au moins, aux forces publiques de faire la police dans les marchés.
A.S.Kemba, Moroni