Tribune : L’industrialisation de Mayotte, une priorité absolue accentuée par la démographie

Les données disponibles montrent que la population de Mayotte va probablement doubler à l’horizon 2050. Cette croissance démographique exponentielle accroît les besoins dans de nombreux domaines: services de santé, infrastructure de mobilité, logement, éducation, foncier, alimentation, etc. 

La démographie : une demande de biens & services potentielle et une force sur le marché du travail 

La population représente une demande potentielle sur le marché des biens et services, également une offre potentielle sur le marché du travail. En effet, la production est une combinaison de capital physique et humain. Cette population abondante est contrainte de satisfaire ses besoins physiologiques: se nourrir, s’abreuver, se vêtir, se soigner, se loger, s’instruire, etc. 

Depuis 2012, la population de Mayotte croît en moyenne de 4% par an. Cette forte croissance démographique est essentiellement soutenue par un fort excédent de la natalité sur les décès. La fécondité à Mayotte (4,6 enfants en moyenne par femme) est la plus élevée de France, dépassant largement celui de la Métropole (1,8 enfants en moyenne par femme). En 2021, avec 4,6 enfants en moyenne par femme, Mayotte est le champion des départements français en matière de natalité. Dix milles naissances sont enregistrées en moyenne chaque année à Mayotte. Cette croissance démographique impose des défis colossaux au jeune département et région d’outre-mer: le mode de gouvernance, l’éducation, l’urgence climatique, la croissance endogène, ou encore la création d’emplois durables, etc. 

Une économie majoritairement dépendante du reste du monde 

Mayotte est l’une des régions françaises les plus dynamiques en termes de créations d’entreprises. En 2021, le taux de création d’entreprises augmente pour atteindre 15,7%. Mais, une dynamique sectorielle plus prononcée dans le commerce et les autres services. Les données disponibles montrent que le nombre de créations d’entreprises est le plus faible dans l’industrie à Mayotte. En 2021, 90 entreprises sont créées dans l’industrie à Mayotte, soit une variation de 10% par rapport à 2020. De fait, l’industrie génère moins d’emplois en comparaison avec le niveau national et les autres départements d’outre-mer. En 2020, environ 5% des emplois sont crées dans l’industrie à Mayotte. Cette faible proportion d’emplois créés dans le secteur privé s’explique par la prédominance du secteur tertiaire non marchand dans l’économie mahoraise (environ 55% des emplois concernés). Á L’instar des économies domiennes, le secteur tertiaire non marchand représente plus d’emplois qu’ailleurs en France. La part du secteur privé marchand dans l’économie mahoraise demeure encore faible. 

Le faible pourcentage de l’industrialisation de Mayotte participe significativement à la dégradation de la balance commerciale. En 2021, les importations des biens et services à Mayotte s’élèvent à 874 millions d’euros, contre 718 millions d’euros en 2020. Le taux de couverture est environ de l’ordre de 1% du solde de la balance commerciale extrêmement déficitaire. 

Cette hausse notoire des importations s’explique entre autres par la crise du Covid-19. En 2021, l’importation des légumes atteint un nouveau record, soit 6108 tonnes, ce qui représente une hausse de 4,9% par rapport à 2020. Également, les importations de fruits en provenance du reste du monde ont augmenté de 28,9% par rapport à 2020. 

Mayotte importe du riz, des légumes, des fruits, du poulet, des œufs, des jus de fruits, de la tomate concentrée, de la sardine, du papier, du lait, etc. En effet, la transformation des produits de base ne nécessite aucune technologie de pointe. Une volonté des puissances publiques est essentielle pour favoriser l’éclosion d’un secteur privé local. L’industrie doit d’abord satisfaire le marché intérieur existant en se concentrant sur les biens et services de consommation courante. 

Les puissances publiques doivent mieux orienter leurs actions 

Au regard de la croissance démographique soutenue, les puissances publiques devraient inscrire l’industrie de Mayotte dans leur programme. Les politiques d’industrialisation doivent bien cibler les industries capables d’absorber le nombre pléthorique de jeunes sur le marché du travail, qualifiés et moins qualifiés. La priorité doit être donnée à l’industrie manufacturière. Selon la Banque de France, la part de l’industrie en France dans le PIB représente 17% environ. L’industrie manufacturière représente celle qui crée le plus de valeur ajoutée dans l’industrie française. Il faut des activités permettant d’absorber une offre de travail abondante sur le marché du travail. 

L’industrialisation de Mayotte va de pair avec des secteurs à forte valeur ajoutée. L’industrie constitue une urgence absolue pour Mayotte afin de créer des emplois productifs et pérennes, et ainsi lutter contre le chômage de masse (environ 34%) et la précarité (77% de la population vivant sous le seuil de pauvreté). Avant tout, le développement est un processus endogène, on doit s’appuyer sur des forces internes. 

Si on veut réussir le projet d’industrialisation du territoire de Mayotte, les puissances publiques doivent mettre en œuvre une politique de substitution aux importations. Il faut sortir de la dépendance aux importations de biens transformés en les produisant localement pour une plus grande valeur ajoutée. 

Également, la stratégie industrielle de Mayotte doit être pensée dans une perspective régionale avec la construction d’infrastructures économiques telles que des parcs industriels, des zones industrielles spécialisées, des technopoles, ainsi qu’en encourageant les partenariats avec les pays industrialisés de la région. Les pays ayant réussi leur industrialisation comportent des caractéristiques similaires sur le plan de leur politique publique: un cadre macroéconomique stable, des infrastructures modernes; les investissements dans le capital physique et humain, ainsi l’adoption de nouvelles technologies. Également, on a besoin des institutions fortes pour réussir le projet industriel idoine.

Nassay Ibrahima

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