Océan Indien : des lignes de fracture sous haute pression

De Moroni à Maputo, crises politiques feutrées, insécurité alimentaire durable et incertitudes énergétiques dessinent un océan Indien sous tension permanente.

À Mayotte, l’actualité régionale se lit souvent à travers le prisme de l’urgence locale. Pourtant, à quelques centaines de kilomètres, les dynamiques politiques, sociales et économiques à l’œuvre dessinent un tableau plus large, où se mêlent conflits institutionnels, libertés publiques contestées, crises alimentaires persistantes et incertitudes énergétiques. Tour d’horizon d’un voisinage dont les secousses, parfois feutrées, n’en sont pas moins profondes.

Aux Comores, entre discorde constitutionnelle et liberté de la presse sous surveillance 

CGT Educ'action, Comores, Mayotte
Les Comores sont plongés dans une incertitude institutionnelle.

La sortie de silence de l’ancien président comorien Ikililou Dhoinine n’a rien d’anecdotique. En se positionnant publiquement en faveur d’un retour à la présidence tournante dès 2026, conformément à l’esprit de la Constitution de 2001, l’ex-chef de l’État a rouvert un débat institutionnel que le pouvoir en place s’efforce de refermer depuis la réforme constitutionnelle de 2018.

Cette dernière maintient le principe de la rotation entre les îles, mais en diffère l’application concrète, repoussant l’échéance présidentielle à 2029. Une ambiguïté juridique savamment entretenue, qui alimente les divisions internes : Mohéli revendique l’échéance de 2026, Anjouan celle de 2029. Dans ce jeu d’interprétations concurrentes, la critique adressée à Ikililou Dhoinine est double : tardiveté de la prise de parole et incohérence politique, lui qui n’avait pas publiquement contesté les précédentes étapes du processus.

Pour nombre d’observateurs, cette fragmentation de l’opposition sert avant tout les intérêts du régime, en diluant le débat de fond dans une querelle d’îles et de calendrier. La présidence tournante, pensée comme un mécanisme de stabilité, devient ainsi un facteur supplémentaire de crispation.

Aussi, dans un contexte déjà marqué par une concentration du pouvoir exécutif, le projet de révision du Code de l’information suscite une inquiétude inhabituelle au sein du pays. Présenté comme une adaptation aux réalités numériques, le texte introduit une notion jugée dangereusement floue : la possibilité, pour la justice, d’exiger la révélation des sources journalistiques dans des « cas exceptionnels ».

Pour les professionnels de l’information, l’enjeu est central. La protection des sources constitue l’un des piliers du travail journalistique, en particulier dans un environnement où les poursuites pour des faits mineurs ne sont pas rares. Le fait que des réserves soient également exprimées au sein même de l’appareil d’État souligne la portée du débat. La crainte est celle d’un basculement progressif d’un principe intangible à une protection conditionnelle, sujette à interprétation. Au-delà du cas comorien, cette controverse illustre une tendance régionale plus large : la tentation de réguler l’information au nom de la modernisation, au risque d’affaiblir durablement les contre-pouvoirs.

Madagascar, la permanence d’une crise alimentaire structurelle

À Madagascar, la faim ne relève plus de l’alerte conjoncturelle mais d’un état quasi permanent. Classée parmi les pays en situation « alarmante » par l’Indice global de la faim, la Grande Île voit ses indicateurs se dégrader sans qu’un choc exogène majeur, conflit armé ou catastrophe naturelle d’ampleur exceptionnelle, ne vienne l’expliquer.

La crise est d’abord structurelle : sous-alimentation chronique, faible diversification alimentaire, malnutrition infantile massive… Dans certaines régions, un enfant sur deux présente un retard de croissance. Le manioc, pilier alimentaire dans les zones rurales les plus enclavées, assure la survie mais pas l’équilibre nutritionnel.

À cette vulnérabilité endémique s’ajoute une contrainte nouvelle : la contraction des financements internationaux, qui fragilise l’action humanitaire classique. Les ONG plaident désormais pour un changement de paradigme, misant sur la transformation des systèmes alimentaires, l’implication des communautés locales et une meilleure coordination des politiques publiques. Un chantier de long terme, dans un pays où l’urgence tend à absorber toute projection stratégique.

Au Mozambique, désillusions financières et doutes énergétiques

Mozambique, gaz, TotalEnergies,
La reprise du projet gazier de TotalEnergies au Mozambique pourrait aggraver les déplacements forcés des populations locales et les exposer à l’insécurité.

Le Mozambique continue d’illustrer les promesses contrariées des grands projets de développement. Le scandale des « Tuna bonds », qui a précipité le pays dans une crise financière durable, connaît un nouvel épisode judiciaire avec les poursuites engagées en Suisse contre le groupe Crédit Suisse, accusé de manquements graves dans la prévention du blanchiment.

Parallèlement, le projet gazier de TotalEnergies à Cabo Delgado voit son avenir s’assombrir. Le retrait du soutien financier britannique, motivé par des risques jugés excessifs, sécuritaires, climatiques et liés aux droits humains, fragilise un peu plus un projet déjà suspendu depuis plusieurs années. Si d’autres bailleurs réévaluent leur engagement, l’équation devient de plus en plus complexe : investissements colossaux, instabilité locale persistante et pression internationale croissante sur les énergies fossiles. Le gaz, présenté comme levier de développement national, pourrait bien rester une richesse sous-exploitée, faute de consensus politique et financier durable.

À La Réunion, une pression d’un autre ordre

La Réunion, Piton de la fournaise, volcan,
À ce jour, le Piton de la Fournaise n’est pas entré en éruption.

À La Réunion, enfin, la pression est littérale. Le Piton de la Fournaise continue de manifester une activité supérieure à la moyenne, malgré une accalmie sismique notable. Les données géodésiques confirment une inflation persistante de l’édifice volcanique, signe d’un système magmatique toujours sous contrainte. Pour les scientifiques, la vigilance reste de mise. Pour la population, l’attente s’inscrit dans une forme de normalité insulaire : celle d’un territoire habitué à vivre avec un volcan actif, symbole d’une instabilité maîtrisée, du moins surveillée.

Dans l’océan indien, les rebondissements s’installent, sédimentent, évoluent lentement, qu’il s’agisse de normes constitutionnelles contestées, de libertés publiques fragilisées, de famines structurelles ou de projets économiques suspendus. Vu depuis Mayotte, ce voisinage rappelle une évidence : dans la région, la stabilité est moins un état qu’un équilibre précaire, constamment renégocié.

Mathilde Hangard

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