Dominique Voynet ne démissionnera pas du comité de suivi

À Mayotte, la nomination de Dominique Voynet au sein du comité de suivi de la loi de refondation a déclenché une réaction violente. Critique politique ou procès d’intention ? Les deux se confondent. L'intéressée a souhaité réagir dans nos colonnes.

La présence de Dominique Voynet au sein du comité de suivi de la loi de programmation pour la refondation de Mayotte, a suscité une levée de boucliers locale. Ancienne directrice générale de l’Agence régionale de santé (ARS) de l’île, aujourd’hui députée écologiste, l’ex-ministre concentre des colères anciennes : gestion du système de santé, débats parlementaires houleux, frustration face à l’État. Mais derrière la polémique, c’est tout le débat public mahorais qui est mis à l’épreuve, et la difficulté de traiter un territoire complexe sans sombrer dans la caricature qui se révèle.

Une nomination qui réveille les plaies ouvertes de Mayotte

EVASAN, CHM, La Réunion, Mayotte
L’avion sanitaire mis en place sous la direction de Dominique Voynet assure plusieurs évacuations médicales par semaine entre Mayotte et La Réunion, permettant de transférer des patients qui ne pourraient pas être soignés sur le département mahorais.

Sur le papier, la désignation de Dominique Voynet n’a rien d’anormal. Proposée par la présidence de l’Assemblée nationale au nom du pluralisme politique, l’ancienne ministre rejoint un comité composé de représentants de l’État, de collectivités locales, de parlementaires mahorais et d’anciens ministres des Outre-mer. Rien d’un coup de force institutionnel.

Mais à Mayotte, les souvenirs sont tenaces. Entre 2019 et 2021, Dominique Voynet a dirigé l’ARS du département le plus pauvre de France, confronté à une pression migratoire constante et à un système hospitalier à bout de souffle. Des arbitrages sanitaires douloureux ont été pris, notamment en matière d’évacuations sanitaires vers La Réunion, suscitant un ressentiment durable.

Elle rappelle elle-même le contexte : « Certains expliquent que le rythme des évacuations sanitaires de Mayotte vers La Réunion avait augmenté, sans préciser que nous étions au temps du Covid-19, alors que les lits de réanimation du centre hospitalier de Mayotte étaient saturés. Cela a permis de sauver des vies. Je suis venue à Mayotte pour renforcer le système de santé, j’ai quitté ma famille et ma maison pour rendre service à la population ». 

Sous sa direction, l’ARS a atteint sa pleine maturité, bénéficiant de crédits supplémentaires pour consolider les moyens hospitaliers, former les infirmiers et renforcer les lignes d’intervention d’urgence. Elle a également pérennisé la mise en place de cet avion sanitaire, opéré par la compagnie Amelia, afin d’assurer des évacuations sécurisées vers La Réunion et transporter matériel et médicaments essentiels. « L’avion sanitaire permettait de sécuriser et rationaliser les transferts, mais cet acquis est presque absent du débat public aujourd’hui », déplore-t-elle.

À cela s’ajoutent ses prises de position à l’Assemblée nationale. Lors des débats sur les lois post-Chido, elle a défendu une approche inclusive de l’accès aux droits, parlant d’« habitants de Mayotte » plutôt que de « Mahorais », une nuance certes mais qui, dans le débat local, est devenue un marqueur politique explosif.

De la critique politique à la mise en accusation morale

barrage, Tsingoni, blocage, forces vives
Début 2024, des barrages sociaux à Mayotte ont empêché le passage des ambulances. En voulant dénoncer l’insécurité, ces actions ont fini par pénaliser l’ensemble des habitants et les services d’urgence.

Reporter le rejet local, relayer les critiques d’élus ou d’associations, est légitime. Mais la polémique s’est rapidement muée en procès moral. Dominique Voynet n’est plus seulement critiquée pour ses décisions ou ses positions parlementaires ; elle est présentée par certains comme une « ennemie de Mayotte », accusée de mépris, voire soupçonnée d’hostilité structurelle envers le territoire.

Elle commente : « Les commentaires à mon égard sont très caricaturaux, traditionnels, en faisant de moi un agent des Comores ou en colportant des ragots sur ma vie privée, voire sexuelle. C’est totalement déconnecté du fond, hors-sujet et de mauvais goût ». 

Ce glissement de la critique politique vers la mise en cause personnelle illustre la fragilité du débat public mahorais. La frontière entre désaccord et stigmatisation se brouille, au point que l’action publique est analysée à l’aune de supposées intentions intimes ou d’allégeances ethniques. « La xénophobie n’est pas une solution », ironise-t-elle, en évoquant les collectifs de citoyens qui, selon elle, imposent leur tempo aux autorités locales.

Dans ce contexte, certains médicaux locaux ont parfois amplifié la polémique, relayant des ragots et des accusations non vérifiées. « Un hebdomadaire mahorais qui rend compte de mon parcours professionnel en reprenant des rumeurs colportées par des trolls d’extrême droite, d’un point de vue déontologique, c’est affligeant », déplore-t-elle.

Dominique Voynet, symptôme plus que cause

Mayotte, migrants,
Les flux migratoires entre les Comores et Mayotte restent un enjeu sensible. La nomination de Dominique Voynet a ravivé des tensions, en partie liées à des perceptions identitaires.

La virulence des réactions dépasse largement la personne de Dominique Voynet. Elle dit quelque chose de plus profond : la relation abîmée entre Mayotte et l’État, la défiance envers les institutions nationales et l’exaspération face à des politiques publiques perçues comme déconnectées du quotidien.

Pour autant, l’ancienne directrice de l’ARS ne compte pas céder. « Je ne vais pas démissionner ! Les parlementaires de Mayotte et les membres du comité représentent la diversité politique et connaissent le territoire. Je connais Mayotte, j’aime le travail que j’y ai fait et je continuerai ». 

Elle insiste sur la nécessité de recentrer le débat sur les faits et l’action concrète. « Je constate que l’on me juge davantage sur des intentions supposées que sur mes décisions concrètes. Mais je reste concentrée sur le travail à mener : améliorer le système de santé, soutenir les populations, renforcer les infrastructures. Opposer les habitants de Mayotte les uns aux autres ou instrumentaliser la xénophobie n’apporte rien ». 

Dominique Voynet devient ainsi une figure écran, concentrant sur elle des colères multiples, sanitaires, sociales, identitaires. Le débat se simplifie, se durcit et parfois s’abîme. Et avec lui, la possibilité d’un échange contradictoire serein sur les choix à opérer pour l’avenir du territoire s’éloigne. La question centrale reste : comment reconstruire Mayotte sans accepter le désaccord, la complexité et la pluralité des regards ? Si la disqualification personnelle remplace l’argumentation, ce n’est plus la politique qui recule, mais la discussion elle-même.

Mathilde Hangard

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