La pénurie d’eau à Mayotte est le fruit d’un défaut de production couplé à un taux de fuite de 35%. Actuellement, 95% de l’eau du robinet provient de la pluie d’aujourd’hui (eaux de surface), d’hier (retenues) ou d’avant-hier (forages). Or, le besoin d’eau croît de 5% par an alors que la production n’augmente que de 1%. Les ressources d’eau douce sont de toute façon contraintes par les dimensions réduites de l’île et une pluviométrie qui régresse avec le recul du couvert forestier.
Face à ce constat, la seule solution pour parvenir au triplement de la production est le dessalement d’eau de mer. Le procédé, qu’il s’agisse de filtration ou d’évaporation, existe mais peut représenter une menace pour l’environnement : le sel rejeté sous forme de saumure, combiné aux produits chimiques utilisés, risque de s’accumuler dans le lagon fermé et d’affecter les espèces incapables de se déplacer (plantes, coraux, coquillages…). La mort des herbiers pourrait même engendrer un cercle vicieux en remettant en suspension la vase, aggravant la turbidité et menaçant les coraux. L’International Desalination Association rappelle d’ailleurs que la concertation est indispensable pour éviter que les usines de dessalement ne deviennent les boucs émissaires des dégradations environnementales. Ainsi, le lagon clos et la turbidité du plan d’eau n’en font pas un lieu adapté au dessalement. Pourtant, une fois les eaux de pluie captées, il n’y a pas d’autre choix : c’est la mer ou rien.
Le dessalement d’eau de mer, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, revient à convertir du pétrole en eau. Or Mayotte ne produit aucun pétrole et son environnement diplomatique est fragile. Si l’approvisionnement en énergie fossile étrangère venait à être entravé, l’accès à l’eau deviendrait un enjeu de souveraineté.
C’est pourquoi le dessalement d’eau de mer ne peut être envisagé que pour être adossé à une énergie bleue et avec un rejet hors-lagon.
L’énergie thermique des mers : une solution éprouvée et souveraine
L’énergie thermique des mers (ETM ou OTEC en anglais) repose sur la différence de température entre les eaux de surface chaudes et les eaux profondes froides. Cette différence permet de vaporiser ou liquéfier certains fluides, générant une détente transformée en électricité par un turboalternateur.
Ce projet est basé sur une technologie désormais éprouvée, avec des composants qui peuvent être 100% français. De plus, il n’ajoute aucun stress énergétique car il est positif en génération d’énergie pour l’île, ni de stress environnemental grâce à une implantation hors lagon. Enfin, il est mutualisable : une barge OTEC peut servir de nourricière à plusieurs barges de dessalement proches de la côte.
Les tentatives passées ont longtemps été freinées par le faible coût du pétrole, mais le renchérissement des énergies fossiles et les tensions internationales ont relancé l’intérêt. Aujourd’hui, des projets sont en cours à La Dominique, Sao Tomé et aux Canaries, tandis qu’une centrale terrestre existe déjà à Marseille (Thassalia).
La France, berceau de cette technologie, a longtemps eu une avance significative. Un projet ambitieux en Martinique devait fournir 10% du mix énergétique de l’île, mais a été abandonné pour des raisons politiques et financières. Pourtant, l’ETM reste une énergie décarbonée, illimitée, gratuite, inaliénable et surtout non intermittente, car la température de la mer varie peu.
Mayotte : un site propice
En 2012, l’ADEME avait identifié une zone au large de Petite-Terre comme propice à l’implantation d’une centrale. Flottant à plusieurs kilomètres au large, elle ne requiert aucune emprise foncière et reste immunisée aux tsunamis et à la subsidence. Le tuyau de pompage des eaux profondes peut être fixé à la barge et décroché en cas de cyclone, garantissant la résilience du dispositif.
Alors que l’usine de dessalement de Petite-Terre voit ses performances réduites par la turbidité et que le site d’Ironi Bé pourrait ne fonctionner qu’un jour sur quatre, une usine offshore puiserait une eau idéale pour le dessalement. Une barge combinant ETM et dessalement pourrait être construite en 18 mois, fournir 6 000 m³/jour et coûter 60 millions d’euros, soit un rapport service/prix équivalent à Ironi Bé (10 000 m³/jour pour 100 millions d’euros). En cas de succès, d’autres barges pourraient être installées sans se nuire ni gêner quiconque, répondant ainsi à la croissance des besoins en eau.
Une opportunité stratégique
À l’heure où l’usine de Petite-Terre doit être délocalisée car la falaise est sapée par la mer, il est temps de franchir ce pas. Et si c’est une question d’argent, rappelons que l’eau froide remontée des abysses pourrait aussi servir à refroidir un datacenter, ouvrant la voie à des synergies industrielles inédites.
Damien Devault, maître de conférences HDR en écotoxicologie à l’Université de Mayotte et à l’Université de Bordeaux.


