Commanditaire ou victime ? « Guito », sur le fil de la justice

Au deuxième jour du procès de « Guito », les plaidoiries de la défense ont remis en question l’implication réelle de Théophane Nayaranin. A l'opposé des réquisitions du procureur qui ne voit aucun autre donneur d'ordre de l'agression de l'avocate.

Et si « l’affaire Guito » n’en était finalement pas une ? C’est du moins ce qu’ont soutenu les avocats de Théophane Nayaranin, dit « Guito », lors de la deuxième journée d’audience, ce mercredi 10 décembre.

Après être revenus, la veille, sur les faits et les circonstances de l’agression de l’avocate Emma Buttet, survenue le 2 septembre 2015, les débats de cette deuxième journée ont été consacrés aux réquisitions du ministère public et aux plaidoiries de la défense, autour d’une question centrale : Théophane Nayaranin en a-t-il été le commanditaire ?

« Guito » commanditaire ? Une « évidence » pour le ministère public

Mais avant d’examiner les arguments de la défense, il convient de s’arrêter sur la position du représentant du ministère public qui, pour sa part, ne nourrit aucun doute : selon lui, c’est bien « Guito », le chef d’entreprise d’IBS, qui a orchestré l’opération.

Théophane Narayanin lors de son arrivé au procès, lundi 9 décembre.

« Rien, dans ce dossier, ne relève de l’improvisation. Les quatre agresseurs ont agi au service d’un donneur d’ordre, qui a organisé pour certains leurs déplacements depuis La Réunion et préparé l’embuscade », affirme-t-il. « Il n’existe aucun contentieux entre ces hommes et l’avocate initialement visée, Me Sevin. L’attaque ne peut donc qu’avoir été commanditée. Ce donneur d’ordre, c’est M. Théophane Nayaranin, animé par l’hubris. Le seul tort de Me Sevin a été de lui faire perdre une affaire, et il ne l’a pas supporté. »

Le terme hubris, précise le ministère public, désigne une action ou une attitude démesurée, provoquée par l’orgueil et l’arrogance. Il sera à nouveau utilisé pour caractériser le comportement de Théophane Nayaranin lorsqu’il aurait refusé de verser les sommes promises aux quatre hommes chargés d’agresser l’avocate pour son compte.

« Ces hommes sont cohérents depuis le début : ils affirment tous que c’est “Guito” qui est à l’origine de l’attaque. Ils se sont tus parce qu’on leur avait promis 200 000 euros. Lorsqu’ils ont constaté qu’ils ne seraient pas payés, ils sont allés lui demander des comptes. C’est évident ! » insiste le ministère public, en s’appuyant notamment sur des écoutes téléphoniques.

« Le seul à avoir tiré un avantage de Théophane Nayaranin est l’avocat L., qui a en réalité agi comme son représentant auprès de ses hommes de main. En leur demandant de ne pas révéler le nom du commanditaire, il a commis une double erreur : il a privé ses clients d’une peine cohérente et a trahi sa fonction pour la somme de 25 000 euros. »

« Théophane Nayaranin a ainsi interféré dans le processus judiciaire. Il a tenté d’influencer le cours d’un avocat, et donc celui de la justice, ce qui est totalement inadmissible. Peu importe que les faits remontent à dix ans : quelle justice voulons-nous pour demain ? » questionne le représentant du ministère public devant l’audience, avant de prononcer ses réquisitions.

Pour « Guito », il demande cinq ans d’emprisonnement, avec mandat de dépôt différé assorti d’une exécution provisoire, 75.000 euros d’amende et une interdiction de gérer pendant 15 ans, pour association de malfaiteurs. Pour B., considéré comme l’un des chefs de la bande, cinq ans de prison également, avec mandat d’arrêt et interdiction de port d’armes pendant cinq ans. Le prévenu qui aurait porté les coups à l’avocate se voit réclamer quatre ans de prison, tandis que l’avocat L. encourt deux ans de prison et 45.000 euros d’amende, et le chauffeur du groupe, 35 mois d’emprisonnement.

« Guito » le coupable idéal, victime de la situation ?

La défense a ensuite pris la parole. L’avocat de L. a indiqué qu’« il n’y a aucun élément probant, ni matériel, ni intentionnel, dans le dossier qui pourrait prouver la culpabilité de mon client, notamment car rien n’indique que “Guito” lui aurait transmis une somme de 45.000 euros ».

Selon les avocats de « Guito », s’est après avoir vu son nom dans les journaux que Théophane Nayaranin se serait inquiété de l’affaire. Une position de vulnérabilité qui l’a conduit à commettre des erreurs.

L’avocate de B. a expliqué que Théophane Nayaranin aurait profité de B., qui le prenait pour modèle de réussite et souhaitait lancer son projet d’entreprise, pour lui demander de participer à l’agression de Me Sevin, contre une somme d’argent mais surtout afin d’obtenir son soutien professionnel : un exécutant aux ordres d’un supérieur.

Les avocats de Théophane Nayaranin ont ensuite défendu leur client. Dans un long plaidoyer, la première a détricoté le récit du ministère public, dénonçant les mensonges des prévenus et soulignant que l’agression n’était pas organisée. « Ce qui semble évident jusque-là ne l’est pas tant que ça. Guito n’avait aucun intérêt à attaquer l’avocate : la veille de l’agression, il y avait eu une audience sur le contentieux, il n’avait pas “tout perdu”, ce n’était pas encore terminé. L’agression n’était pas non plus un acte d’intimidation, aucun mot n’a été prononcé à l’encontre de l’avocate au moment des coups », a-t-elle expliqué. « Si Théophane Nayaranin a soupçonné que les relations de Me Sevin avec le directeur du groupe Vinci pouvaient jouer un rôle dans son contentieux avec Dachery, lui-même conseillé par Me Sevin, il a choisi de régler ce problème face à la justice en déposant plainte ».

Elle a également dénoncé le rôle de la presse dans l’implication de son client : selon elle, c’est après avoir vu son nom dans des journaux que Théophane Nayaranin se serait inquiété pour son image. Une position de vulnérabilité qui l’a conduit à commettre des erreurs. « Les trois prévenus ont vu son nom dans la presse et sont allés à son bureau pour lui demander de l’argent contre leur silence. Certes, mon client a commis des erreurs en donnant de l’argent, mais il pensait calmer les choses et c’est pour ça qu’il a porté plainte plus tardivement », a-t-elle affirmé, soutenant la thèse d’un complot à l’encontre de « Guito ».

Son confrère a appuyé cette position, dénonçant une enquête « orientée », focalisée sur le chef d’entreprise dès le lendemain des faits et pendant dix ans, sans explorer d’autres pistes ni rechercher d’autres commanditaires. « Toute la difficulté aujourd’hui réside dans le fait qu’on a fermé les autres pistes dès le début. Pourquoi aurait-il organisé quelque chose de traçable en demandant à des Réunionnais de venir à Mayotte pour commettre cette agression alors que la violence crapuleuse est quotidienne ici et qu’il connaît bien Mayotte ? ».

« Dire qu’il y a eu complot ? Ce n’est pas mon rôle, mais l’accusation d’association de malfaiteurs ne tient pas et vous ne pouvez que relaxer mon client, même si cela est gênant après dix ans. Tout invite à penser à une agression fortuite d’une avocate par un homme sous alcool et sous drogue. Une montagne a accouché d’une souris ».

En visioconférence depuis la prison de La Réunion, le prévenu qui aurait porté les coups a dénoncé avoir été jugé à travers Théophane Nayaranin tout au long du procès. « Je n’ai rien à voir avec eux. Au moment des faits, je sortais de prison, comment aurais-je pu participer à une “opération commando” préméditée ? De retour en prison, une personne est venue me proposer de l’argent pour que j’accuse “Guito”, j’ai subi des pressions des deux côtés. Je n’ai jamais parlé, et quand je suis sorti j’ai eu peur, c’est pour ça que j’ai quitté Mayotte ».

Un souhait partagé de tourner la page

« Quatre ans de prison pour une gifle, c’est excessif, je suis démuni. À chaque fois que je veux me relancer dans la vie, on me coupe les ailes », a-t-il ajouté, souhaitant en finir avec la justice et se concentrer sur sa famille, dix ans après les faits.

Un sentiment partagé par les parties civiles, qui ont surtout demandé la reconnaissance de culpabilité afin de tourner la page de l’affaire « Guito ». « Les souffrances des parties civiles liées à la durée du procès sont partagées par les plaignants. Ce ne sont plus les mêmes personnes qu’il y a dix ans », notait une avocate.

Reste à savoir quelle est la vérité de cette affaire, ou du moins sa vérité juridique : le délibéré est attendu le 20 janvier 2026.

Victor Diwisch

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