Salades, épinards, ananas, brèdes de manioc, basilic… cagette après cagette, un agriculteur décharge de sa voiture sa production de fruits et légumes frais sur le quai de réception du nouveau bâtiment de l’Union des Coopératives Agricoles de Mayotte (Ucoopam), à Combani. Après une inspection de la qualité des produits par les salariés de la Coopérative des agriculteurs du centre (Coopac) — qui assure le lien et le suivi direct des agriculteurs — la production est amenée à l’intérieur du grand hall, où les membres de l’Ucoopam prennent le relais pour se consacrer à la commercialisation, en préparant les commandes des clients, majoritairement les grandes surfaces et les livraisons à effectuer dans la journée.

Ce véritable travail d’équipe et de coordination contribue à instaurer ou renforcer la confiance entre tous les acteurs de la chaîne et, à terme, à structurer davantage la filière, avec le bâtiment comme élément central. Grâce à trois grandes chambres froides, réglées à 5, 10 et 15 degrés, pour les différents produits, les agriculteurs peuvent stocker leurs productions avant même de recevoir des commandes, assurant ainsi une quasi-garantie de vente. Les produits matures ne restent plus dans les exploitations, ce qui permet aux producteurs de cultiver davantage et de ne plus être contraints d’écouler leur récolte immédiatement après la collecte.
« Les vols sont très nombreux depuis le cyclone Chido, surtout pour les agriculteurs vivant en dehors de leur exploitation », explique Salime Soilihi. « Une agricultrice s’est récemment fait voler beaucoup de manioc ; désormais, on lui propose de déposer ses stocks dans nos locaux pour les protéger ».
Les aides post-Chido sont arrivées, la production à 60%

« On atteint seulement 50 à 60 % de la production agricole possible sur l’année », estime Laurent Guichaoua, président de l’Ucoopam et agriculteur. « Il y a beaucoup de maraîchages mais peu de fruits comme les avocats et les agrumes. Il faudra replanter du verger, ce qui prendra quatre à cinq ans avant de retrouver une production normale. »
Dans les cagettes bleues, quelques fruits issus de vergers dits rapides sont visibles : barbarines, fruits de la passion, jacquier et ananas. Avec le début de la saison des pluies, magasins, restaurateurs et producteurs espèrent bientôt les premières mangues, et pourquoi pas des litchis.
« Globalement, les aides de l’État et des fonds européens sont parvenues aux agriculteurs ce dernier semestre, surtout à ceux disposant d’une comptabilité. Pour les autres, l’aide exceptionnelle a été plus lente, et les éleveurs ont été aidés en dernier », remarque Laurent Guichaoua.
Un nouveau magasin bientôt en service

Mais le projet ne s’arrête pas là. D’ici quelques mois, l’Ucoopam prévoit d’ouvrir un nouveau magasin « Kanya Ya Maoré » sur le site pour vendre directement ses produits. La coopérative dispose déjà d’un point de vente à Combani, mais cette nouvelle structure permettra de monter en gamme. Ce mercredi, les vendeuses s’activent à ranger les premiers rayons tandis que des ouvriers installent les plafonds, l’électricité étant arrivée il y a dix jours.
« Il n’y aura pas d’intermédiaires ici, donc les agriculteurs pourront obtenir plus de marges sur leurs produits. Nous aurons aussi plus de liberté, en sortant des référencements des magasins, et nous pourrons proposer des produits différents, comme vendre directement des barbarines ou des fleurs de courge », relève Laurent Guichaoua. « Nous allons également pouvoir commercialiser des produits bios, encore peu développés à Mayotte, avec un prix initial stable pour que les clients s’approprient les produits, avant une augmentation progressive ».

« En plus des produits de nos agriculteurs, il y aura de la vente de matériels, pour l’apiculture, le débroussaillage ou l’irrigation. Nous souhaitons proposer des produits plus techniques », ajoute-t-il. « Le magasin disposera également d’une partie pépinière pour permettre aux pépiniéristes d’avoir un espace de vente et de se structurer ».
Propriétaire du bâtiment, l’Ucoopam sous-loue différents espaces à plusieurs partenaires : la filière fruits et légumes de la Coopac, la filière laitière Uzuri Wa Dzia qui disposera de sa laiterie de lait de zébus sur place, la filière chocolat et café Banga au Chocolat, l’association Saveurs et Senteurs de Mayotte pour la vanille et les épices, ainsi qu’Agrikagna pour les chantiers agricoles.

Le projet, né il y a plus de dix ans, a vu sa concrétisation retardée par le cyclone Chido. Après une demande de foncier en 2015 obtenue en 2020, il a fallu encore cinq ans pour réunir les fonds nécessaires. D’une valeur de 5 millions d’euros, financé à 90 % par les fonds européens, ce bâtiment ambitionne de faire passer un cap à l’agriculture mahoraise, même si pour le moment l’effort se ressentira surtout sur le centre du territoire.
« Nous avons l’ambition de faire venir encore plus d’agriculteurs, même si ce n’est pas évident pour tout le monde de se déplacer jusqu’à Combani », conclut Salime Soilihi. « Nous avançons étape par étape, d’abord concrétiser le projet et ensuite poursuivre sur notre lancée ».
Victor Diwisch



