VIH à Mayotte : entre aveuglements régionaux et urgence locale, un an après l’alerte, où en est-on ?

Alors que l’océan Indien reconnaît enfin l’ampleur du VIH dans la zone, Mayotte attend toujours des réponses concrètes à son urgence sanitaire.

« Il n’y a aucune nouvelle dans le fait que Mayotte est le deuxième département français le plus touché par le VIH et le sida », lâche Moncef Mouhoudhoire, directeur de Nariké M’Sada, dans un mélange de lassitude et de lucidité. Une phrase qui résume à elle seule l’atmosphère de ce mois de novembre 2025 : pendant que l’ONG Ravane Océan Indien tire la sonnette d’alarme sur « l’urgence sanitaire » qui frappe Madagascar, les Comores, Rodrigues ou encore La Réunion, et Mayotte, on observe la scène avec un sentiment mitigé. L’île connaît cette réalité depuis des années. Ce qui change, cette fois, c’est que le reste de la région reconnaît officiellement sa part de crise, et admet, du même souffle, l’impossibilité pour un seul territoire d’affronter seul une épidémie qui traverse les frontières plus vite que les politiques publiques.

À Mayotte, l’épidémie avance plus vite que les mesures de lutte

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Kit de dépistage rapide de type VIH et VHB/VHC de l’association Nariké M’Sada.

En 2024, déjà, les indicateurs laissaient peu de place à l’optimisme : le camion de dépistage de Nariké M’Sada détectait jusqu’à trois à quatre nouvelles séropositivités certains jours. En 2023, 92 nouveaux cas ont été recensés à Mayotte, soit un taux de 296 cas par million d’habitants, près de six fois supérieur à la moyenne de l’Hexagone hors Île-de-France. La file active de patients suivis à l’hôpital est passée de 324 en 2019 à 505 en 2023, traduisant une progression continue, jusqu’à ce que l’ONG Ravane OI évoque désormais 624 patients suivis sur l’ensemble du département. À Mamoudzou, l’hôpital peine à maintenir une prise en charge régulière, tandis que le CeGIDD (Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic) et les associations locales se mobilisent pour assurer la prévention de terrain, dans une île où chaque déplacement peut rapidement devenir un obstacle sanitaire.

Le camion Nariké M’Sada, lancé début 2024, a permis d’aller vers des publics éloignés des structures, mais il fonctionne comme un pansement sur une plaie structurelle : Mayotte dépiste, mais elle dépiste une épidémie qui ne cesse de s’ancrer parce que les conditions sociales, administratives et logistiques empêchent une véritable cascade de soins. Là où d’autres départements consolident leurs acquis, Mayotte tente simplement de ne pas perdre davantage de terrain.

L’océan Indien rattrapé par ses non-dits

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21ème édition du colloque sur le VIH et le Sida dans l’océan Indien, les 4 et 6 novembre 2025, à Moroni, aux Comores.

Ce qui rend la crise de 2025 différente des années précédentes, c’est la brutalité avec laquelle les voisins de Mayotte reconnaissent désormais leur propre vulnérabilité. Aux Comores, la flambée est fulgurante : 74 cas depuis janvier 2025, contre 37 officiellement reconnus l’année précédente, dans un pays où la stigmatisation rend invisibles ceux qui tombent malades et silencieux et ceux qui soignent. À Madagascar, la hausse de 151 % des nouvelles infections depuis 2006 et l’effondrement des budgets prévus pour 2025 dessinent un tableau que plus personne ne peut minimiser : la crise y est systémique, pas conjoncturelle.

Et pendant que Rodrigues reste dépourvue de toute stratégie de réduction des risques, Maurice et les Seychelles battent des records de prévalence chez les usagers de drogues injectables ou les travailleurs du sexe. Face à cela, Mayotte n’est plus l’exception, elle devient un avant-poste, cernée par une épidémie régionale qui s’étend sans coordination. Ce retournement bouscule l’analyse locale : si l’île reste l’un des territoires français les plus touchés, elle subit aussi l’impact d’un océan Indien où les politiques de santé publique avancent en ordre dispersé.

Le 1er décembre, Cavani scrutera l’impact réel des dispositifs

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À Cavani, dépistage et traitements seront passés au crible : Mayotte reste le deuxième département français le plus touché par le VIH, et associations comme institutions devront montrer si les dispositifs ont réellement réduit les retards de diagnostic et assuré un suivi efficace.

Le 1er décembre, Cavani sera le théâtre d’une interrogation cruciale : toutes les mesures déployées depuis décembre 2024 ont-elles permis de freiner l’épidémie de VIH à Mayotte ? ARS, Santé publique France, CSSM, CHM, CeGIDD, Département et Nariké M’Sada se retrouveront autour de la même table pour présenter les dernières statistiques VIH et IST, faire le point sur la prise en charge et revenir sur le déploiement du « VIH Test » et des dépistages en PMI. Officiellement, il s’agit d’un bilan. Dans les faits, c’est un baromètre politique : la population attend de savoir si les dispositifs ont réellement élargi l’accès au dépistage et permis de réduire les retards de diagnostic dans un territoire où les vulnérabilités sociales compliquent chaque indicateur.

Pour mesurer l’ampleur du chemin à parcourir, il suffit de rappeler que Mayotte reste le deuxième département français le plus touché par le VIH, derrière la Guyane, avec un taux de découvertes de séropositivité plusieurs fois supérieur à la moyenne nationale. Les associations, elles, ne s’en cachent pas : elles attendent des engagements concrets sur la continuité des soins, la prévention de terrain et la coordination entre institutions, après une année où chacun a souvent agi dans son couloir. « Tout le monde sait que l’épidémie est grave. Le vrai sujet, c’est : est-ce qu’on avance ? », insiste Moncef Mouhoudhoire.

Mathilde Hangard

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