Chido : comment le DGS de la Ville de Mamoudzou a dû faire face à l’urgence

Alors que cela va bientôt faire un an que Chido a dévasté Mayotte, Philippe Ramon, directeur général des services (DGS) de la Ville de Mamoudzou a fait part de son expérience sur la gestion de crise après le passage du cyclone à l’occasion d’un séminaire organisé au sein de l’École de Paris du management, en partenariat avec la Fondation d’entreprise Algoé.

Ce séminaire avait pour thème : « Réagir, repartir, reconstruire après le cyclone dévastateur de Mayotte ». Le 101e département était habitué à avoir des alertes cycloniques mais n’avait pas été touché depuis plusieurs dizaines d’années. Aussi, quand Chido s’est abattu sur l’île, le 14 décembre 2024, la population et les autorités ont été prises au dépourvu.

Après son passage, et les Mahorais s’en souviennent encore, plus rien ne fonctionnait. Au manque d’électricité, d’eau et de nourriture, s’ajoutait la pénurie d’essence sans compter la destruction de nombreuses infrastructures et des moyens de communication. Il était alors difficile de pouvoir joindre ses proches pendant de nombreux jours. Le DGS de Mamoudzou, Philippe Ramon, a raconté cette épreuve qu’il a vécue et comment il a tenté d’organiser, au mieux et dans l’urgence avec les moyens du bord, les services de la Ville pour faire face à ce cataclysme.

La mise en place de cellules pour faire face à la crise

Chido a frappé l’île avec une puissance exceptionnelle, d’une intensité de niveau 4 sur l’échelle de Saffir-Simpson. « Le territoire n’était pas préparé », avoue d’emblée le DGS de la Ville de Mamoudzou. « Auparavant on était protégé par Madagascar… personne ne croyait à la catastrophe. Aucun Plan de sauvegarde n’avait été actualisé », ajoute-t-il. En effet, même si dès le vendredi 13 les autorités avaient incité une partie de la population à venir se réfugier dans les centres d’accueil, le message n’a pas été suivi des faits. « Il n’y a pas eu de réaction, il y avait peu de personnes dans les centres d’accueil. Une fois le cyclone passé, on s’est rendu compte du désastre : destruction massive, pénurie d’essence, réseau téléphonique hors service, impossibilité de retirer de l’argent liquide, … plus rien ne fonctionnait ».

Le DGS a recensé les difficultés rencontrées et a mis en place différentes cellules : téléphone ; accès à l’eau, à l’essence, à l’électricité, à l’alimentation ; au recensement du matériel ; ou encore une dédiée à l’aide médico psychologique et une autre à la gestion des volontaires « qui se sont présentés en nombre mais avec lesquels on pouvait communiquer difficilement vu que les téléphones ne marchaient pas », a expliqué à l’auditoire Philippe Ramon. « On faisait des comptes rendus 2 fois par jour. On a dû aussi transférer nos données vers le data center car la salle de nos serveurs à la mairie était inondée », se souvient le DGS.

48 heures sans contacts avec la préfecture

Face à un tel chao, il a fallu que Philippe Ramon organise et structure ses troupes en attendant la cavalerie… « On se préparait à l’accueil des aides et des secours, mais il ne s’est rien passé. L’aide ne venait pas alors qu’il y avait urgence ! Pendant 48 heures nous sommes restés sans nouvelles et sans contacts avec la préfecture ». Autant dire une éternité dans ce genre de situation. La préfecture se serait trouvée en Grande-Terre, comme il en avait été un temps question quand Thierry Suquet était préfet, la situation aurait-elle été différente ? Nul ne le saura jamais…

Une équipe de l’ONG World Central Kitchen était venue Mayotte pour organiser la distribution de repas à la population (DR)

Aussi, le DGS et ses équipes ont bien vite compris qu’ils allaient devoir se débrouiller seuls. « J’avais 24 heures de réserves de carburant pour le groupe électrogène et après c’était fini. N’arrivant pas à joindre la préfecture, j’ai contacté Total pour essayer d’avoir de l’essence mais toutes les infrastructures étaient détruites… Je suis allé voir les gendarmes qui avaient une cuve de carburant pour qu’ils puissent me dépanner mais on m’a dit qu’il fallait une autorisation de la préfecture… ».

Les heures passent et rien ne vient quand finalement les gendarmes reçoivent un message de la préfecture les autorisant à lui donner de l’essence. Au-delà de ça, les services de la Ville de Mamoudzou ont dû aussi dégager les voies, rétablir les contacts avec les centres d’accueil… « On s’est auto gérés et heureusement que l’ONG World Central Kitchen était là pour nourrir la population. Elle a servi jusqu’à 40.000 repas par jour à Mamoudzou et ses alentours », se remémore Philippe Ramon.

Gérer l’immédiateté d’après crise

Une des grosses difficultés pour le DGS a été de gérer au mieux la distribution des aides à la population et surtout la distribution d’eau. « Rien n’était planifié… Pour la première distribution d’eau j’ai été averti 2 heures avant ! Au début, nous avons procédé à une distribution au cul du camion puis par la suite nous avons procédé à des ciblages, notamment pour les personnes les plus vulnérables, et enfin en mettant en place des mesures rigoureuses avec des récépissés pour lutter contre la contrebande qui se mettait en place ».

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Après la catastrophe de Chido, des militaires ont distribué des vivres et de l’eau à la population de Mayotte sinistrée (DR)

Mais l’une des plus grandes absurdités dont se rappelle le DGS a été l’approvisionnement de Vahibé par hélicoptère à l’occasion de la venue du président Emanuel Macron. « On leur a livré de l’eau et des petites boîtes de conserve de tomates pelées !? ». A y réfléchir, il est vrai que le choix de tomates pelées semble hallucinant pour des gens qui n’ont pas mangé depuis plusieurs jours. Mais ce n’est pas tout en ce qui concerne les défaillances de l’État… Le DGS et le maire de Mamoudzou se sont alarmés de la situation des gens vivant dans les bidonvilles. Officiellement il y a eu 41 morts et 40 disparus. La réalité, elle, semble bien plus cruelle à y regarder de plus près puisqu’environ 40.000 à 50.000 personnes vivaient dans les banga selon les estimations officielles, or seulement 12.000 d’entre elles se sont réfugiées dans les centres d’hébergement.

« Les gens sont passés où ? Ils ne pouvaient pas être cachés puisqu’il ne restait rien, pas même les arbres », s’interroge le DGS lors de ce séminaire. Le maire de Mamoudzou a même demandé à faire un état des lieux, voir ce qu’il se passe, voir s’il y avait des survivants, récupérer des morts… « Il n’y a eu aucune réaction, rien n’a été fait ! Quelques jours après, les banga se sont reconstruits sans doute sur un immense cimetière », lâche le DGS. « On a été obligé de laisser faire la reconstruction ».

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Dès le passage du cyclone, le maire de Mamoudzou était constamment sur le terrain à la rencontre des habitants

Le 28 décembre 2024, soit deux semaines après le passage du cyclone, il a été décidé la fermeture des centres d’accueil à compter du 1er janvier. Aussi, durant 3 semaines après le passage du cyclone, alors que le maire de Mamoudzou était constamment sur le terrain à la rencontre des habitants, Philippe Ramon gérait, lui, les différentes cellules de crise. « Nous nous sommes répartis les rôles aves le maire… toutes les équipes travaillaient au sein de la salle des mariages de l’Hôtel de ville ».

Près d’un an après quel bilan ?

Même si deux lois ont été adoptées en faveur de Mayotte (loi d’urgence et loi sur la refondation) en un temps record, le bilan reste bien en deçà au vu de la situation du territoire. Les aides ont peu avancé et les assurances n’ont toujours pas payé, déplore le DGS. La Fondation de France a reçu pour près de 40 millions d’euros de dons mais 27 millions ont été reversés aux associations du territoire. « Nous n’avons reçu aucune aide de la Fondation de France, or ce ne sont pas les associations qui gèrent la reconstruction des infrastructures… », a-t-il dit.

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Malgré de nombreuses visites officielles la situation a peu évolué (ici François Bayrou accompagné de 5 ministres, le 30 décembre 2024)

Enfin concernant le fonds d’urgence devenu fonds d’amorçage, là aussi c’est le néant. « Nous n’avons pas reçu un seul euro. La raison selon la préfecture, c’est que certaines collectivités auraient magouillé… On ne peut pas faire payer l’ensemble des collectivités car il y aurait des soupçons sur 1 ou 2 d’entre elles, ce n’est pas possible ! ». Philippe Ramon s’interroge aussi sur les 100 millions d’euros prévus pour aider les collectivités. « Où sont-ils ? En revanche les déchets sont toujours là, les infrastructures et les écoles ne sont toujours pas reconstruites, et un an après les entreprises ne sont toujours pas payées ! ». Seul point positif que retient le DGS de la Ville de Mamoudzou, c’est la culture et l’attention de la population dorénavant face aux enjeux de sécurité civile.

B.J.

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