Zéna M’déré, une figure de résistance toujours célébrée à Mayotte

À Pamandzi, ce dimanche, des centaines de Mahorais se sont réunis dès l’aube pour rendre hommage à Zéna M’déré, vingt-six ans après sa disparition. Figure du combat pour le maintien de Mayotte dans la République française, elle continue d’inspirer des générations et reste dans la mémoire collective à travers le Maoulida Chengué, célébré chaque année en Petite-Terre en son honneur.

Figure incontournable de l’histoire mahoraise, Zéna M’Déré reste, pour beaucoup, le visage de la résistance et du courage au féminin. Née à Dzaoudzi entre 1917 et 1922, d’une mère mahoraise et d’un père malgache, elle vivait à Madagascar, où elle enseignait le Coran, quand le mouvement pour le maintien de Mayotte dans la France a éclaté. Elle n’a pas hésité une seconde : elle a quitté tout ce qu’elle avait pour revenir sur son île. Dans les années 1960, alors que la capitale, qui jusqu’à là était à Dzaoudzi, va être transférée à Moroni aux Comores, la tension politique monte.

La voix des Mahorais qui veulent rester français peine à se faire entendre. À une époque où la politique est encore perçue comme “une affaire d’hommes”, Zéna M’Déré s’impose comme cheffe du mouvement des « Chatouilleuses », un groupe de femmes qui décident de se battre à leur manière avec des chatouilles. Les ministres et hommes politiques étaient donc obligés d’acquiescer aux demandes des militantes.

Certaines anecdotes, transmises de génération en génération, témoignent de sa droiture. Comme ce jour où elle a refusé une cargaison de riz venue des Comores après avoir appris que des hommes y avaient uriné. « Nous n’avons pas besoin de ça, retournez le riz d’où il vient nous n’en voulons pas ! », aurait-elle lancé, avant de faire renvoyer la marchandise. Ce geste, devenu légendaire, résume bien la femme qu’elle était : digne, fière, intrépide.

Installée à Pamandzi, connue pour son franc-parler, la militante ne craignait ni les autorités ni les hommes. Elle n’a pas pu voir l’aboutissement complet de son combat, elle s’est éteinte en 1999 mais son nom résonne encore aujourd’hui dans toutes les bouches. Pour beaucoup, elle n’est pas seulement une militante : elle est un symbole. Celui d’une femme qui a tenu tête, seule, à l’histoire.

«Si elle disait : rendez-vous à Dzaoudzi ! On y allait tous»

Zena M'dere Chatouilleuse, Mayotte, Comores
Zena M’Déré, chatouilleuse et grande figure de Mayotte, est décédée il y a 26 ans

À Labattoir, Mariam Bacar, 87 ans assise sur sa véranda, se souvient avec émotion de Bouéni Zéna. « Quand le combat a commencé, j’avais la vingtaine », raconte-t-elle. Elle vivait alors vers la rue du commerce, dans une petite maison avec ses enfants. Autour d’elle, tout le monde parlait de cette femme hors du commun. « C’était un exemple pour nous, les femmes. Quand elle prenait la parole, on écoutait. Si elle disait : demain rendez-vous à Dzaoudzi à neuf heures ! Et bien c’était demain rendez-vous à Dzaoudzi à neuf heures ! ».

Pour Mariam, la chatouilleuse n’était pas seulement courageuse. « Elle était gentille, intelligente, dévouée, et elle avait un côté maternel. Mais ce qui la rendait unique, c’est qu’elle n’avait peur de rien ». La Mahoraise n’était pas une chatouilleuse mais une fervente « soroda » qui signifie soldat en français, mot qui qualifie les personnes qui étaient pour la départementalisation de Mayotte. Ceux qui étaient contre étaient les  » sérélamé » qui veut dire « serrer la main ». Elle participait activement aux congrès organisés par Zéna M’Déré et ses camarades de lutte. « Je sortais tôt le matin avec ma grande soeur et on revenait tard le soir pour pouvoir assister aux réunions et donner du notre comme on le pouvait, c’était une organisation collective ».

À une époque où la politique était considérée comme “une affaire d’hommes”, Zéna M’Déré a bousculé toutes les règles. Mariam raconte : « Nous, on ne s’intéressait pas à la politique, on nous disait que c’était pour les hommes. Mon père ne voulait même pas que j’apprenne le français, il disait que ça allait me pervertir. Mais elle, elle a osé. Elle a pris la parole, elle s’est imposée, elle a montré qu’on pouvait être femme et défendre son pays, sans même parler le français ». Elle se souvient aussi de la façon dont Zéna M’Déré parlait aux gens et aux autorités. « Toujours calme, toujours souriante. Même face aux politiciens venus de Moroni, elle parlait poliment, jamais un mot plus haut que l’autre. Et pourtant, elle savait se faire écouter ».

Les souvenirs de l’ancienne maitresse d’école coranique sont remplis d’anecdotes qui parlent du quotidien des « Chatouilleuses » et de la solidarité de toute la communauté. « À chaque congrès, on se mobilisait tous, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes. Chacun ramenait un peu de ce qu’il avait pour préparer un repas, parce que à ce moment là, on manquait de tout : nourriture, eau… Mais on se sentait forts grâce à elle ».

Et même si le temps a passé et que Mariam Bacar ne peut plus participer aux cérémonies de Maoulida comme avant, elle le suit  à la télévision. « Ça me fait chaud au cœur de voir qu’on se souvient d’elle. Son combat n’est pas fini, mais au moins, on ne l’oublie pas ». Puis elle ajoute : « Quand je pense au fait qu’elle et Zakia Madi, qui a été tuée, n’ont pas pu assister à la départementalisation de Mayotte cela me fait toujours un petit pincement au coeur », partage Mariam les larmes aux yeux.

Pour celle qu’on appelle aujourd’hui Coco, Zéna M’déré reste un modèle et une inspiration. « C’est une figure importante de notre histoire. Elle et les autres comme Younoussa Bamana, Boueni M’titi, Zakia Madi… ils se sont battus jusqu’au bout pour qu’on puisse vivre dans de meilleures conditions, pour que nos petits enfants puissent aller à l’école. Et même si le combat continue, on ne doit jamais arrêter de leur rendre hommage ».

Chants, danses et salouvas pour célébrer Zéna M’déré

Le fameux salouva Ylang Ylang ici avec le portrait de la chatouilleuse et sa fameuse phrase « non Kari vendzé » qui signifie : « non nous n’en voulons pas » en parlant de l’indépendance.

Vingt-six ans après sa disparition, Zéna M’déré attire toujours les foules. Chaque année, la Place du Congrès à Pamandzi s’anime pour un grand hommage à cette figure emblématique de l’île. Dès 6 heures du matin, les habitants commencent à arriver. Les femmes viennent de toute l’île : du nord, du sud… la plupart vêtues de salouvas Ylang Ylang, ornées de bijoux en or, spécialement pour l’occasion. Ce vêtement, aujourd’hui appelé « salouva Zéna M’déré », est devenu un symbole fort de résistance et de fierté. Certaines députées le portent même à l’Assemblée nationale pour rappeler l’héritage de cette figure historique.

Le Maoulida Chengué, célébration religieuse et culturelle qui rend hommage à des figures importantes de Mayotte tout en mêlant prières, chants et musique traditionnelle, est un moment à la fois spirituel et collectif, où les personnes invoquent la mémoire de ceux qui se sont battus pour l’île, et perpétuent l’histoire par le chant et la danse. Ce chant était aussi l’un des préférés de la « Chatouilleuse ». Ainsi, à chaque congrès ou manifestation les femmes chantaient ces versets à l’unisson. Une tradition qu’on retrouve même aujourd’hui lorsque les Mahorais descendent sur la place publique pour manifester leurs droits.

Les hommes étaient aux percussions lors du Maoulida Chengué.

Ce dimanche, les premières heures ont été consacrées à la préparation de la journée. Sous les tentes, les participantes se sont activées à cuisiner, à organiser les repas qui ont nourri les invités jusqu’au soir. Le lieu s’est animé peu à peu avec les voix des femmes… Plus tard dans la journée, la place était déjà bien remplie, et les habitants ont continué d’affluer de toutes parts, chacun portant son plus beau salouva. Les femmes chantaient et dansaient en cœur, reprenant à l’unisson les différents chants religieux, tandis que les hommes donnaient la note et participaient aux percussions. Dans l’air, le parfum du jasmin et l’ylang ylang que les femmes portaient sur la tête ou autour de leur cou.

Parmi les curieux, certains se laissaient emporter par l’ambiance à l’image de Jacqueline Henry, habitante de Pamandzi. « Je passais par hasard, et quand j’ai entendu les percussions et vu toutes ces femmes en couleur, je suis rentrée pour voir. On m’a expliqué que c’était pour rendre hommage à Zéna M’déré, une grande figure du combat pour Mayotte français, originaire de Pamandzi. Je trouve que c’est une très belle façon de lui rendre hommage ». Certaines paroles recueillies parmi les participants témoignent de cette ferveur et de l’importance de la mémoire.

Femmes chantant et dansant au rythme des percussions lors du Maoulida.

Madani, venue du sud avec sa sœur et son mari, confie : « Chaque année, je viens. Pour moi, c’est important. Sans Zéna, on serait peut-être en train de prendre le kwassa pour aller chez les autres. Elle a tout fait pour nous ». À côté, Rahamatou Mohamed insiste quant à lui sur la transmission. « On doit garder ça vivant, pour que nos enfants sachent d’où on vient. C’est notre histoire mais aussi la leur ».

Et ce rassemblement n’était pas réservé qu’aux femmes. Saïd Ali, habitant de Pamandzi, résume simplement. « Les gens pensent que c’est une histoire de femmes, mais nous aussi, on est là. Elle s’est battue pour nous tous. C’était une mère pour nous ». Les hommes, plus discrets, participaient aux chants et aux prières, mais leur présence souligne la portée universelle du combat et de l’héritage de Zéna M’déré. Quelques minutes ont aussi été prises pour faire une prière : demander à Dieu d’accueillir la « Chatouilleuse » dans son paradis mais aussi pour demander la sécurité, la protection, et la réussite de l’île aux parfums.

Toute la journée, jusqu’à 18 heures, la place du Congrès a vibré aux rythmes des chants, des prières et des conversations pour commémorer et rendre hommage à celle qu’on appelait autrefois Bouéni Zéna.

Shanyce MATHIAS ALI

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