Tribune – « Gen Z : À chaque jeunesse sa ligne rouge »

Alors que la transversalité des révoltes de la nouvelle génération semble briser les frontières, de la Serbie à Madagascar en passant par le Maroc, Abdourahamane Cheikh Ali* interroge « qu'est-ce qui peut faire vaciller le pouvoir du colonel Azali ? ».

J’écris ces lignes de Ngazidja (Grande Comore) aux Comores, plus précisément de Mkazi, ville rendue célèbre récemment par son ode au riz : »Ntsoholé Baraka »**.

Depuis un an, les étudiants serbes réclament un système judiciaire indépendant et des institutions transparentes.

À la mi-août de cette année, le gouvernement indonésien a violemment réprimé des manifestations de jeunes qui exigeaient davantage de justice sociale.

Le 9 septembre 2025, le Premier ministre du Népal est contraint à la démission par des jeunes excédés par la corruption et le népotisme.

Russie, Comores, ambassade
Le port de Moroni, capitale de Grande Comore

Au Maroc, la jeunesse défile depuis fin septembre, mobilisée par le slogan « Moins de stades, plus d’hôpitaux et plus d’écoles ».

Au Pérou, des manifestations de la Gen Z contre la corruption et le crime organisé ont conduit à la destitution de la présidente Dina Boluarte le 10 octobre 2025.

Plus près de nous, des manifestants de jeunes révoltés par les coupures à répétition d’électricité et d’eau et d’une manière générale par la mauvaise gouvernance ont contraint à la fuite le président Rajoelina le 12 octobre, ouvrant la voie à la destitution de l’ex DJ d’Antananarivo par l’Assemblée nationale malgache et la prise du pouvoir par le colonel Michaël Randrianirina le 14 octobre.

Comme nous le constatons, les jeunes de ce monde n’ont pas les mêmes motivations. « Eza mula mula tsinde za munu munu*** », dirait un sage comorien. Que le président rwandais Paul Kagamé essaie par exemple d’interdire un orchestre dans les territoires occupés par son armée à l’est du Congo et il verrait les 113 millions de Congolais, armés de leurs guitares et de leurs saxophones, marcher jusqu’à Kigali, libérant au passage Bukavu et Goma. Mais tant qu’il se contente de balkaniser le Congo et de piller ses richesses, il peut dormir sur ses 2 oreilles.

Des coupures d’électricité sont encore très fréquentes aux Comores malgré l’engagement de campagne d’Azali

Malgré la distance, nous sommes plus proches culturellement des Congolais que des Malgaches. Nous sommes un peuple de fêtards. La jeunesse comorienne était en ébullition pour les quelques jours de détention du jeune rappeur Titi le Fourbe alors que le Docteur Achmet, ancien de doyen de la faculté des sciences de l’université des Comores, a passé de très longs mois derrière les barreaux dans l’indifférence générale. À chaque peuple ses héros. Les nombreux fans qui étaient présents au palais de justice de Moroni le samedi 27 septembre lors de sa libération auraient pu le porter en triomphe jusqu’à Beit Salam. Les gardes se seraient mis à chanter et à danser et leur auraient ouvert les portes du Palais. Mince, ils n’y avaient pas pensé ! Le canal de Mozambique aurait eu droit à un joli spectacle : le DJ Rajoelina à Antananarivo et le rappeur Titi le Fourbe à Moroni.

Notre rappeur a raté son heure. Alors qu’est-ce qui peut faire vaciller le pouvoir du colonel Azali ? Que le riz vienne à disparaitre complètement des rayons des magasins et les 10000 habitants de Mkazi, jeunes et moins jeunes y compris ma tante de 80 ans, toutes tendances politiques confondues, prendraient la tête de la contestation et marcheraient jusqu’à Beit Salam au son de : »Nake pvapvo ntsohole baraka. Nayihome hâta hale ye ntsohole. Ntsohole baraka****. » Et m’installeraient Calife à la place du Calife.

Abdourahamane Cheikh Ali

* Ancien directeur de cabinet du ministre de l’Éducation nationale de l’Union des Comores, Abdourahamane Cheikh Ali est également titulaire d’un DESS de droit spécialité « Entreprises, Collectivités Locales Européennes et Coopération » (Université Lumière Lyon 2), d’un diplôme d’attaché de personnel et de relations sociales (FOCOP de Rungis) et d’un diplôme de gestion administrative et financière (ENES de Mvouni)

** Ntsoholé c’est l’appellation du riz qui n’est pas encore préparé.

*** »Eza mula mula tsinde za munu munu » : littéralement, cette expression signifie que ce qui se passe là-bas est différent de ce qui se passe ici ». En d’autres termes, les situations et les comportements des gens différent d’un endroit à l’autre.

**** »Nake pvapvo ntsohole baraka. Nayihome hâta hale ye ntsohole. Ntsohole baraka ». Il s’agit d’une ode au riz chantée par les jeunes de ma ville Mkazi lors de la célébration du nouvel an de l’Hégire. Traduction « Qu’il aille bien le riz béni. Longue vie au riz. Le riz béni ! »

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