« Nous, les jeunes, on est comme des fleurs : il faut nous arroser pour qu’on puisse grandir », observe Iaidine, 23 ans, d’une voix calme, assis face à la caméra, « sinon, on risque de faner, de prendre de mauvais chemins ».
Une métaphore à la fois poétique et alarmante, qui résume l’essence du court-métrage réalisé par cinq jeunes habitués de la Maison des Adolescents de Cavani (MDA), et diffusé vendredi 17 octobre, dans le cadre des Semaines d’Information sur la Santé Mentale (SISM). Il met en lumière leur précarité et celle de nombreux jeunes sur le territoire dépourvus de titre de séjour, exclus du système scolaire et du marché du travail, rejetés par la société et parfois même par leurs proches.
Contraints de créer leur propre communauté au sein de la Maison des Adolescents

Avec leurs téléphones et l’ordinateur mis à leur disposition, ils ont filmé et monté des scènes entre Cavani et la plage de Sakouli, représentant leur quotidien entre errances silencieuses, regards perdus vers l’horizon et obligation de rester chez eux pour éviter la police aux frontières. Le court-métrage montre également des moments d’échanges avec la psychologue de la MDA, de rares instants où ils peuvent être vraiment entendus et écoutés.
Certains sont nés à Mayotte, d’autres non, mais tous ont grandi et étudié ici, dans le département français. Après le baccalauréat ils se sont retrouvés bloqués tandis que leurs camarades poursuivaient leurs rêves. Privés de perspectives ailleurs, ils ont trouvé, dans la MDA et auprès de son personnel, des liens sociaux devenus vitaux. Petit à petit, ils y ont construit leur propre communauté : « Oudjama », signe que malgré tout, ils s’accrochent à la vie et cherchent à maintenir un lien avec le monde.
« Lors de notre parcours scolaire, on nous vendait du rêve, on nous disait qu’il fallait bien travailler à l’école pour avoir une vie meilleure. Mais au final, une fois qu’on a le bac, on nous ferme toutes les portes, on nous complique la vie. Mentalement, ça nous impacte fortement », raconte Moumadjad, 19 ans. Né aux Comores, il a suivi la majorité de son parcours scolaire à Mayotte, du CM1 jusqu’en terminale. Sa candidature pour poursuivre ses études sur Parcoursup a été acceptée en métropole, mais il n’a pu s’y rendre sans titre de séjour. Il a également tenté de rejoindre une entreprise en alternance à Mayotte, sans succès, pour les mêmes raisons administratives.
« On se sent piétinés »

« Tous les jours, on se sent piétinés. On ne nous écoute pas, ni à la maison ni à l’extérieur. Nos parents ne sont pas fiers de nous parce que nous n’avons ni école ni travail, et les communautés comorienne et mahoraise nous rejettent. Cela engendre de la colère et du ressentiment chez certains », ajoute-t-il.
« Nous avons réalisé ce mini-reportage pour dénoncer cette situation et montrer aux responsables ce que nous ressentons. Nous voulons rappeler que tous les jeunes ne cherchent pas à caillasser ou semer le chaos. Beaucoup essaient au contraire de se regrouper, de créer du lien et d’avancer ensemble », poursuit Moumadjad.
Pour les jeunes filles, la situation est encore plus complexe. « Ici, à cause des croyances, on a l’obligation de rester à la maison, on ne peut pas sortir pour se faire des amis ou s’amuser comme les garçons. À un moment, la famille nous contraint au mariage, mais on aimerait pouvoir travailler, se projeter… sans papiers, on n’a pas de clé pour l’avenir », confie Mounaida Omar, 19 ans.
« Avant, je me sentais seule, je ne parlais à personne. Mes amies qui avaient des papiers sont parties en métropole. Découvrir la MDA et d’autres jeunes dans la même situation m’a fait du bien. Venir ici me donne de la motivation et de la joie », ajoute-t-elle, en évoquant son souhait de travailler dans le social.

« Ils ne peuvent pas se déplacer librement, faire leurs courses ou rejoindre leurs amis, car ils ont peur de se faire arrêter. Ils sont exclus de nombreuses sphères de la société, ce qui les empêche de maintenir et de créer des liens », souligne Charline Furst, psychologue à la MDA. « L’idée du film, c’est de permettre aux gens de se mettre à leur place et de comprendre l’impact de la situation administrative sur leur vie. Tant qu’on n’a pas vu, tant qu’on n’a pas parlé à ces jeunes, on ne se rend pas compte de la violence de cette situation, ni de son impact sur leur santé mentale. Peu importe le nombre de séances de thérapie : ce qui compte pour eux, c’est manger, dormir, pouvoir se déplacer et se projeter dans l’avenir ».
Des générations sacrifiées
Cette situation découle de la restriction progressive du droit du sol à Mayotte. La loi du 10 septembre 2018 a instauré une dérogation spécifique, conditionnant l’accès à la nationalité française à la régularité du séjour d’un parent au moment de la naissance de l’enfant. En avril 2025, une nouvelle loi a durci ces conditions : désormais, pour qu’un enfant né à Mayotte de parents étrangers obtienne la nationalité française à sa majorité, ses deux parents doivent justifier d’une résidence régulière en France depuis au moins un an avant la naissance.

Les jeunes nés à Mayotte dans les années 2000′ et 2010′ se retrouvent ainsi dans une situation inédite. Alors qu’auparavant, un enfant né sur l’île obtenait automatiquement la nationalité française, les nouvelles législations les excluent de ce droit. Ils se retrouvent dans une précarité administrative et sociale sans précédent.
Si les partisans de ces réformes estiment qu’elles sont nécessaires pour limiter l’immigration irrégulière et protéger l’identité locale, l’arrivée de familles et d’enfants à Mayotte se poursuit, motivés par l’accès aux soins, à l’éducation, à des opportunités économiques et à un environnement plus stable qu’aux Comores.
En attendant, des générations entières comme celle de Moumadjad, El-Farid, Mouslim, Iaidine, Abdou Moudjibou et Mounaida, se retrouvent sacrifiées.
« Notre seule soif, c’est celle de la réussite. L’État ne peut pas nous oublier, nous sommes aussi Français et on essaie de s’intégrer dans la société », lance El-Farid, 25 ans, désabusé. « On dit souvent que l’avenir c’est la jeunesse, mais si c’est vraiment le cas, il est temps de s’occuper de nous ».
Après cette première expérience positive, le groupe compte poursuivre le projet pour réaliser un nouveau film dans les prochains mois afin de continuer à alerter sur une situation difficile.
Victor Diwisch