Deux jeunes Mahorais sont devenus médecins : « C’était pour moi la meilleure manière d’être utile à la société »

Alors que le territoire vient d’être classé “désert médical total” par l’Agence régionale de santé, deux jeunes Mahorais viennent de valider leur thèse de médecine. Tous les deux comptent exercer à Mayotte et sont animés par l’idée de rendre service à leur île.

Depuis la maison familiale de Mtsahara, Ismaïnl Abdou profite de ses proches. Le jeune homme de 29 ans prend du bon temps dans les lieux de son enfance. Il y a deux semaines, il a validé sa thèse de médecine en tant qu’anesthésiste-réanimateur. La consécration après plus d’une décennie d’études. Revenir exercer à Mayotte après son cursus est très important pour lui. “Je suis né ici, il y a toute ma famille et il y a un grand besoin”, raconte-il face à la mer à deux pas de la maison de ses parents. Pourtant devenir médecin n’allait pas de soi, “ quand j’étais au lycée ça me semblait inaccessible, dans ma famille personne ne fait ce métier”.

« En tant que médecin à l’hôpital, de manière générale on change la vie du patient »

Ismaïnl Abdou lors de sa thèse

Pendant son parcours, Ismaïnl Abdou a effectué plusieurs stages au Centre hospitalier de Mayotte (CHM). “C’était à la fois intéressant et triste. Intéressant parce qu’il y a certains cas qu’on ne voit pas en métropole, mais triste car si on les voit c’est parce que ces patients sont pris en charge trop tardivement”, analyse-t-il. Au CHM, son travail lui semble très utile. “En tant que médecin à l’hôpital, de manière générale on change la vie du patient, mais ici c’est à un autre niveau, ce n’est pas les mêmes problématiques. Je me suis aussi rendu compte que les patients quand ils avaient quelqu’un qui parlait leur langue, c’était beaucoup plus facile pour eux de s’exprimer, c’était beaucoup plus fluide. Avec des médecins métropolitains, il peut y avoir une petite barrière, ils peuvent sentir qu’ils ne vont pas être compris. Ce genre d’exemple m’a donné envie de venir travailler dans cet hôpital ”.

Le professionnel a encore un an d’études avant d’achever son internat, ensuite il envisage de faire un post-internat en Hexagone. “Ce n’est pas obligatoire mais presque, c’est une ou deux années qu’on passe dans l’hôpital public. Je souhaite faire cela car anesthésiste-réanimateur, c’est une spécialité à grosse responsabilité”.

Chercher un domaine « où il pouvait être utile »

Le médecin originaire de Mtsahara n’est pas le seul Mahorais à finir ses études de médecine et à vouloir se réinstaller sur l’île. Raphaël Maoulida, 32 ans, a aussi passé sa thèse de médecine cette année. Médecin généraliste, il partage un cabinet médical avec l’un de ses confrères à Combani. Dans sa journée de travail très chargée, il prend le temps de témoigner entre deux consultations. Lorsqu’il était adolescent, il cherchait à s’orienter dans “un domaine où il pouvait être utile. Devenir médecin était pour moi la meilleure manière d’être utile à la société”, souligne-t-il. Il tire son inspiration de son père, également médecin généraliste à Mayotte. Lors de sa formation, il a assuré des remplacements dans des cabinets médicaux sur le territoire, en tant que médecin généraliste, il apprécie le côté “relationnel et polyvalent ” du métier.

Beaucoup de sacrifices

Raphaël Maoulida est médecin généraliste dans un cabinet médical de Combani.

Les deux soignants ont fait beaucoup de sacrifices pour en arriver là. Tandis qu’ils étudiaient en métropole, l’éloignement familial en plus du cursus difficile les a pesés. Raphaël Maoulida se souvient de “mariage de frères et sœurs” qu’il a ratés tout comme “l’enterrement de son grand-père”. Le plus dur c’était les vacances pour Ismaïnl, “le programme est tellement dense que même pendant les vacances on doit travailler. C’était encore plus dur sans avoir la famille à côté. Mes potes rentraient chez leurs parents en métropole, ils travaillaient là-bas mais moi je ne pouvais pas”, se remémore-t-il.

Les difficultés financières l’ont aussi marqué. « Je dépendais des bourses, celle du Crous et de celle du Département de Mayotte mais cette dernière n’était pas toujours pas régulière. C’était très compliqué. Parfois l’argent arrivait six mois après, en attendant on n’est pas tranquille psychologiquement pour juste suivre ses cours”.

Si être médecin à Mayotte peut faire peur au vu du peu d’effectif et des conditions de travail difficiles, Raphaël Maoulida est optimiste. “Ce qui m’a motivé c’est de voir que je n’étais pas tout seul dans les études de médecine venant de Mayotte, on est une trentaine de la deuxième année à l’internat”, observe-t-il.  Il a aussi rencontré le docteur Elhad. “Il a créé la plus grande Maison de santé jamais vue à Mayotte. De voir cela, cela m’a boosté. Je me suis dit qu’il y avait des précurseurs”. Le fondateur de la Maison de santé accompagne les jeunes médecins, “il est disponible pour nous aider, je ne me sens pas seul, donc je n’ai pas forcément d’appréhension pour travailler à Mayotte en voyant tout ce beau monde”.

Encourager les jeunes à suivre des études exigeantes

Pour les deux médecins, il est très important d’encourager les jeunes à suivre leurs rêves professionnels. Raphaël Maoulida veut les inciter à “vouloir entreprendre. A Mayotte, nous avons souvent une vision restrictive car on n’a pas d’exemple à côté de chez nous. Pendant longtemps, il n’y avait pas d’université donc on n’imaginait pas les domaines où on pouvait se former”. Même analyse pour Ismaïnl Abdou, “A Mayotte, on n’est pas poussé à faire de longues études, on nous dit qu’on n’a pas forcément le niveau. Les profs ne devraient pas dire aux élèves qu’ils ne peuvent pas, parce que c’est quelque chose qu’on entend quand même. Mais il ne faut pas se décourager », insiste-t-il.

Lisa Morisseau

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