Depuis le 6 octobre, les liaisons entre Petite-Terre (Dzaoudzi) et Grande-Terre (Mamoudzou) sont à l’arrêt. Alors que le Département de Mayotte — via la Direction des Transports Maritimes (DTM, ex-STM) — a la compétence exclusive du transport public maritime et interurbain, la Communauté de communes de Petite-Terre (CCPT) observe la crise avec impuissance.
« Tous les transports maritimes et terrestres interurbains, c’est le Département. Les mobilités douces, comme les pistes cyclables, sont du ressort de la CCPT. Mais cela ne change rien pour cette crise », rappelle Mohamed Hamissi, directeur environnement, transport et mobilité à la CCPT.
Une paralysie aux conséquences en cascade

La grève a figé l’île : élèves bloqués, salariés coincés, livraisons suspendues, vols retardés. « Ces jours de grève vont laisser des traces », soupire Hamissi. « Les élèves, l’économie locale, les urgences, les familles endeuillées… tout le monde est touché. »
Pour lui, la situation n’a rien de surprenant. « J’avais déjà alerté sur l’état des infrastructures de la STM à Dzaoudzi, bien avant le cyclone Chido. Les conditions d’accueil se dégradent depuis longtemps ». Les usagers, eux, paient le prix d’un service à bout de souffle : « Quand on parle de service public, on parle d’un droit. Aujourd’hui, ce sont des clients. Ils paient, même peu, et attendent un service digne de ce nom : plus de rotations, plus de confort, plus d’informations ».
Entre Mamoudzou et l’aéroport, les toilettes sont rares, parfois inutilisables. « Ce sont des détails, mais ils disent tout du manque d’attention pour les usagers », glisse-t-il.
« On paie les conséquences d’un service qui n’est plus à la hauteur »

Pour le directeur, la grève révèle un problème de fond. « La DTM doit être totalement repensée. On paie les conséquences d’un service qui n’est plus à la hauteur des exigences de la population ni du développement du territoire ».
Il dit comprendre toutes les parties : syndicats, élus, usagers. « Les représentants syndicaux ont des revendications légitimes, les élus veulent améliorer la gestion, et les usagers sont les grands oubliés. Le vrai problème, c’est la méthode : il faut que tout le monde s’assoie autour de la table ».
Sur les quais, l’attente est devenue une habitude. Les passagers savent qu’une barge finira par arriver — mais jamais quand. « On est pris en otage, on n’a jamais d’informations, on ne sait plus si c’est toutes les quinze ou trente minutes que la barge va arriver. Tous les jours, c’est la surprise », lâche une habitante de Petite-Terre, qui travaille à Mamoudzou.
Privatisation ou refonte ?

Alors que le Département envisage d’externaliser la billetterie à Transdev, la crainte d’une privatisation partielle attise les tensions. Hamissi tempère : « Il faut éviter le piège qui consiste à dire que tout va mal. La vraie question, c’est : que veut-on faire de la DTM ? ».
« Le mode de gestion n’est pas une solution en soi. Même si la billetterie est externalisée, le Département restera l’autorité organisatrice de la mobilité », rappelle-t-il.
Un service vital à repenser pour le futur
Pour le directeur mobilité de la CCPT, cette crise doit ouvrir un débat d’ensemble. « Le Département a déjà des projets de nouvelles liaisons, entre Iloni et Mamoudzou ou Longoni et Mamoudzou. Mais seront-elles intégrées à une stratégie globale ? Il faut penser la DTM et le futur réseau maritime comme un tout ».
« On panse les plaies à court terme, mais on ne traite pas le fond. Si on privatise sans vision, le risque est d’augmenter les tarifs sans améliorer la qualité. La population ne demande pas la lune, elle demande simplement que ça fonctionne ».
À Mayotte, où moins de deux kilomètres d’eau séparent deux mondes, la barge n’est plus un simple moyen de transport mais celui du cap sociétal à suivre.
Mathilde Hangard