Depuis 2015, la société Dagoni Services, basée à Kahani, accompagne à domicile des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Aide ménagère, assistance dans les gestes du quotidien, accompagnement de nuit : chaque jour, plus de 350 employés prennent soin de plus de 400 bénéficiaires. Un travail exigeant, souvent physique, qui peut entraîner des douleurs ou des blessures. Pourtant, ces difficultés restent trop souvent passées sous silence. Par peur d’être mal vus ou même de perdre leur emploi, certains salariés cachent leurs problèmes de santé. Un tabou qui nuit à tout le monde : au salarié, à l’employeur et, finalement, à la personne aidée.
La reconnaissance du handicap : une protection pour le travailleur

Pour briser ce cercle du silence, Dagoni a sollicité l’Agefiph (Association de Gestion du Fonds pour l’Insertion professionnelle des Personnes Handicapées, une association de droit privé qui œuvre pour l’insertion et le maintien dans l’emploi des personnes handicapées. L’objectif : réaliser un diagnostic-action au sein de l’entreprise afin de sensibiliser le personnel, lever les tabous liés au handicap et montrer que des solutions existent.
« À Mayotte, le handicap est vécu comme une honte. Nous voulions montrer qu’au contraire, c’est une protection pour le travailleur, pour qu’il soit plus heureux dans son métier », explique Henri Tracol, directeur juridique au pôle ressources humaines de Dagoni.
« L’une de nos salariées avait la colonne vertébrale endommagée. On l’a appris par des rumeurs, car elle craignait qu’on la mette en incapacité. Mais après le diagnostic nous avons pu adapter son poste : elle assure les missions de nuit, ce qui lui évite de porter des personnes », poursuit-il. « Une autre employée entend mal. Dès que nous l’avons su, nous avons pu informer les bénéficiaires et ses collègues qu’il fallait lui parler plus fort, privilégier l’écrit. De petits ajustements qui changent tout ».
Le diagnostic-action a permis à Dagoni de déposer cinq dossiers de reconnaissance de travailleurs handicapés auprès de la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées). Une reconnaissance primordiale pour les salariés, qui pourront ainsi bénéficier d’aménagements de poste ou même d’une formation de reclassement. « Pour une personne malentendante, par exemple, la reconnaissance ouvre la possibilité de financer plus facilement un appareil auditif via la mutuelle d’entreprise », précise Henri Tracol.
Les lenteurs administratives, principal frein à la reconnaissance

Mais cette reconnaissance est aussi essentielle pour l’entreprise. En France, les employeurs doivent compter 6% de travailleurs handicapés parmi leurs effectifs, sous peine de payer une contribution « Obligation d’Emploi des Travailleurs Handicapés », auprès de l’Agefiph (dans le privé) ou au FIPHFP (dans le public). « Officiellement, nous devrions en avoir dix. Or, aucun de nos salariés n’est encore reconnu, même si nous avons enclenché les démarches. Résultat : nous avons payé plus de 20.000 euros de pénalité l’an dernier, et ce sera 32.000 l’année prochaine », déplore le directeur juridique, qui regrette devoir faire du bricolage en attendant la reconnaissance.
Et c’est là que le bât blesse : la lenteur administrative. « Pour obtenir la reconnaissance, il faut une visite chez le médecin traitant, puis un dossier à transmettre à la MDPH. Mais les délais sont énormes. Nous avons lancé toute la mécanique, mais aucun de nos salariés n’a encore obtenu sa reconnaissance », regrette-t-il. « Après avoir levé le tabou, nous nous heurtons désormais à un mur administratif : MDPH, URSSAF, CSSM… on met des mois à avoir une réponse, et parfois pas de réponse du tout ».
Un taux d’emploi des personnes en situation de handicap trop faible

« Les difficultés administratives existent partout, pas seulement à Mayotte. Tout ce que nous pouvons faire, c’est mobiliser tous les acteurs autour du handicap, y compris la MDPH, pour résoudre les dysfonctionnements », explique Christian Ploton, président de l’Agefiph. « Ce qui me rassure, c’est que depuis mon arrivée sur le territoire, je sens une vraie volonté des acteurs de faire avancer les choses ».
« Dagoni est la deuxième entreprise à Mayotte à avoir réalisé un diagnostic-action, on espère faire essaimer le dispositif. Il permet aux entreprises de construire une politique pour améliorer la situation des salariés handicapés déjà présents ou pour intégrer de nouvelles personnes en situation de handicap », précise le président.
Et le défi à Mayotte reste considérable. Sur 9.627 personnes en situation de handicap, seulement 2.200 ont une reconnaissance administrative, indispensable pour bénéficier d’un accompagnement. Parmi elles, 1.850 ont un emploi. La formation professionnelle touche à peine 14 % des personnes concernées, et le taux d’emploi plafonne à 0,70 %, l’un des plus faibles de France.
« Je veux convaincre les entreprises qu’une personne en situation de handicap est avant tout une personne avec des compétences », poursuit Christian Ploton. « La difficulté n’est pas dans le handicap lui-même, mais dans certains environnements de travail. Avec les bonnes adaptations, il est possible de créer des conditions qui permettent à chacun de réussir. Il n’y a aucune incompatibilité entre handicap et emploi. Il faut lever les tabous et se concentrer sur ce qui est possible« .
« Il faut prendre en compte le handicap dans la reconstruction »

Pour le moment aucune entreprise mahoraise n’a sollicité l’offre de services de l’Agefiph, à savoir un accompagnement pour aménager le travail du salarié handicapé, ou pour obtenir une aide financière permettant l’achat d’équipements adaptés ou de compensation. L’association peut également apporter un appui spécifique au sein de l’entreprise pour opérer un diagnostic et noter les améliorations à apporter au salarié en situation de handicap.
« Peut-être qu’on est encore mal identifié, peut-être que la question est encore trop tabou, peut être qu’il y a d’autres priorités, mais il faut prendre en compte le handicap dans le plan de reconstruction de Mayotte. Les personnes en situation de handicap sont talentueuses », insiste Aïda Périchon, déléguée régionale La Réunion-Mayotte de l’Agefiph.
Afin de structurer son offre de services, de mobiliser tous les acteurs et d’accompagner les entreprises et les personnes en situation de handicap, l’Agefiph va installer un conseiller à Mayotte dès 2026.
Victor Diwisch