Délinquance : l’exemplarité prime malgré les zones d’ombre

Le 12 juin dernier, sur les hauteurs entre Majicavo et Kawéni quatre personnes sont agressées avec des jets de pierres et une arme à feu par des jeunes encagoulés. Ce lundi 11 août, l’un des agresseurs présumés était entendu à la barre du tribunal judiciaire de Mamoudzou. Questionné pendant plusieurs minutes, il nie en bloc. La scène, intervenue à l’abri des regards, les déclarations des victimes, non présentes à l’audience, pas toutes concordantes, l’affaire illustre les difficultés auxquelles fait face la justice.

Menottes aux poignets, vêtu d’un pantalon orange fluo et d’une veste de survêtement blanche, le prévenu, N., tout juste 18 ans, entre dans la salle d’audience, en traînant les pieds.

Incarcéré depuis son interpellation le 25 juin dernier, le jeune homme est accusé d’être l’un des agresseurs qui ont attaqué et tenté d’extorquer quatre individus se rendant de Majicavo Dubaï à Kawéni, le 12 juin.

Jets de pierre et arme à feu

Les quatre victimes se sont retrouvées face à trois individus munis de pierres et d’une arme à feu (photo d’illustration)

Ce jour-là, aux alentours de 9h30, après avoir fait des achats, une épouse, son mari et deux autres hommes rentrent chez eux en utilisant les sentiers de campagne sur les hauteurs, loin de la circulation. Peu avant d’arriver à Kawéni, ils tombent nez à nez face à trois hommes qui leur barrent la route. Selon les témoignages des victimes, recueillis par le commissariat de Mamoudzou, les jeunes encagoulés, munis de pierre et d’une arme à feu, tentent de leur voler leurs affaires.

Les deux hommes réussissent à prendre la fuite, mais la femme est atteinte au visage par une pierre. À terre, son sac est subtilisé par un des jeunes qui lui pointe une arme à feu sur le visage : le prévenu N.

Très vite, l’incident attire les curieux, les agresseurs quittent les lieux en vitesse, tout comme les victimes. Blessée, la femme est conduite à l’hôpital de Mamoudzou.

Lors de sa comparution immédiate, après son interpellation N. nie en bloc. Ce lundi, il maintient sa position. « Je ne travaille pas, je n’appartiens pas à un gang, je n’ai jamais volé. Je ne comprends pas pourquoi je suis en garde à vue. Le 12 juin je ne suis pas sorti de chez moi », répond-t-il à la juge.

Sur les 4 victimes interrogées, 1 seule, l’homme dont l’épouse a été blessée, reconnaît N. lorsque les gendarmes lui présentent une série de portraits. Pour être sûr de cette authentification, la victime est installée par les enquêteurs à l’arrière d’une voiture aux vitres teintées, puis amenée devant plusieurs individus, dont N., debout devant un mur blanc. Là encore, le jeune homme est désigné. La victime a indiqué connaître le prévenu, elle l’a déjà vu à Majicavo et a reconnu son regard. Selon elle, N. avait enlevé sa cagoule au moment des faits. « Les gens qui m’accusent doivent me confondre, je n’ai pas fait ça. Tous les jours il y a des gens agressés, ils peuvent me confondre », remarque le prévenu, sûr de lui. « Avec qui vous aurez-t-il confondu ? », questionne la juge.

N. habite à Koungou avec sa mère et quelques autres membres de sa famille. Élève de terminal au LPO de Dzoumogné, son incarcération ne lui a pas permis de participer aux épreuves du bac, mais son parcours scolaire est entaché d’un important absentéisme. Jusqu’à présent, il n’était pas connu des services judiciaires.

Depuis les faits, le principal plaignant a appelé la police pour les alerter sur les risques de représailles de la part de la famille du prévenu. Mais les victimes ne sont pas présentes ce lundi. Sans papiers, elles ont « peur de se faire arrêter par la police aux frontières », indique la juge.

« Dans ce dossier on est allé trop vite »

Seule une victime a reconnu le prévenu et aucune arme ni aucune affaire n’ont été retrouvées chez lui. Les zones d’ombre persistent, selon l’avocat.

Un argument qui ne convient pas à l’avocat de la défense. Ce dernier ajoute que les témoignages des victimes ne sont pas concordants. « Dans ce dossier, on est allé trop vite. Sur quatre parties civiles, une le reconnaît sur son regard. On a tout sauf des certitudes », explique-t’il. « Par exemple, l’épouse à une autre version que son mari. Elle parle d’une machette que son mari ne mentionne pas. Elle ne reconnaît pas N., mais deux autres personnes photographiées. Là aussi ça ne va pas ». L’avocat s’attarde même sur la couleur du tee-shirt du prévenu, de couleur bleu ciel lors des faits selon l’épouse, « oui N. portait un tee-shirt bleu clair lors de son interpellation, mais il y a également un motif de cœur en grand sur la poitrine, et elle ne l’a pas mentionné, or c’est la première chose qu’on observe ».

Au domicile de N. aucune arme à feu, ni aucun sac ne sont retrouvés. Faisant jouer le bénéfice du doute et l’absence d’éléments, l’avocat plaide la relaxe, face à la représentante du procureur de la République qui demandait 18 mois d’emprisonnement, dont 6 mois avec sursis probatoire de 24 mois, une obligation d’indemniser les victimes, le maintien en détention et l’interdiction de détenir et porter une arme pendant 5 ans.

3 mois de prison ferme, « une chance mais pas deux »

L’audience est levée en attente de la délibération. Avec un prévenu qui, malgré un alibi bancal, nie toutes implications et avec les témoignages des victimes pas forcément concordants, difficile d’établir ce qui s’est réellement passé le jeudi 12 juin au matin entre Majicavo et Kawéni.

Après une dizaine de minutes, N. est condamné pour les faits reprochés à 10 mois d’emprisonnement dont 7 mois avec sursis probatoire de 2 ans. Pendant les 2 ans de sursis probatoire, il a l’obligation générale et particulière de trouver un travail et une formation. « Si tu ne suis pas ça sérieusement, c’est la prison », précise la juge au jeune homme. « À vous maintenant d’arrêter, vous êtes jeunes, prenez les choses en main. Vous avez commencé à prendre la voie de la délinquance c’est un mauvais choix, à vous de revenir dans le droit chemin », continue la juge. « On vous donne une chance, pas deux ! ».

Victor Diwisch

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