Mayotte face à la pénurie de soignants : l’État mise sur les primes pour attirer les vocations

À Mayotte, la pénurie de soignants devient critique : l’État espère inverser la tendance grâce à une série de primes et d’incitations inédites.

Mayotte traverse une crise sanitaire sans précédent : le territoire manque cruellement de professionnels de santé. Plusieurs structures hospitalières, dont les maternités du nord et du sud de l’île, ont dû temporairement fermer leurs portes, faute de personnel. Face à cette situation alarmante, l’État a publié, le 18 juillet 2025, six décrets visant à renforcer l’attractivité du territoire pour les soignants. Primes exceptionnelles, bonifications de carrière, assouplissement des conditions de recrutement : des mesures inédites sont mises en œuvre pour tenter, non seulement d’attirer, mais surtout de fidéliser les professionnels de santé dans ce département ultramarin.

Une réponse financière ciblée 

Faute de personnel suffisant, les maternités périphériques de Mramadoudou et Dzoumogné ont fermé depuis la fin de l’année 2023, entraînant une centralisation des accouchements en Grande-Terre, dans les communes de Mamoudzou et Kahani.

Pour faire face à l’urgence, le Gouvernement mise d’abord sur le levier financier. Des primes d’engagement sont désormais proposées aux professions les plus en tension. Les sages-femmes hospitalières peuvent percevoir l’équivalent de deux mois de salaire, versés en deux temps, à condition de s’engager pour un an renouvelable. Les infirmiers, kinésithérapeutes ou encore manipulateurs radio bénéficieront quant à eux d’une prime annuelle fixe de 2.200 euros.

Ces incitations visent à rendre les missions à Mayotte plus attractives, alors que les rotations de personnels intérimaires se succèdent sans réel suivi, fragilisant la continuité des soins.

Des mesures structurelles pour fidéliser

Au-delà des primes, le Gouvernement introduit des mesures incitatives à plus long terme. Les praticiens hospitaliers voient leur durée minimale d’engagement réduite à un an, tout en conservant une indemnité équivalente à sept mois de salaire. Les praticiens contractuels, eux, pourront bénéficier d’une année d’ancienneté supplémentaire s’ils restent trois ans en poste. Par ailleurs, les règles de recrutement sont temporairement assouplies pour faciliter l’arrivée de renforts.

Des doutes sur l’impact réel dans un contexte de crise globale

CHM, urgences, maternité, pénuries
Les données récentes indiquent que le taux de turnover du personnel médical à Mayotte demeure très élevé, bien au-dessus de la moyenne nationale, en grande partie en raison de conditions de travail difficiles et d’un contexte insulaire pesant.

Si ces annonces sont saluées dans leur intention, elles ne dissipent pas toutes les inquiétudes. Les professionnels de santé alertent sur les difficultés persistantes : surcharge de travail, isolement géographique, conditions d’accueil parfois précaires et dysfonctionnements structurels du système de santé local.

Du côté du Centre Hospitalier de Mayotte (CHM), la direction confirme avoir pris connaissance des décrets, tout en soulignant leur publication en pleine période de vacances scolaires. « Beaucoup de soignants sont absents, et des questions restent en suspens, notamment sur la mise en œuvre concrète des mesures concernant les médecins », précise-t-elle. À ce stade, aucune réaction formelle n’a été émise par la communauté médicale, même si « une prise de position pourrait venir des sages-femmes ». Le CHM indique avoir engagé un dialogue avec le président de la Commission médicale d’établissement (CME) afin de centraliser les interrogations et les retours du personnel hospitalier.

Des incitations qui devront s’accompagner d’investissements durables

Si les mesures financières sont globalement bien accueillies, de nombreux professionnels rappellent qu’elles ne pourront suffire à endiguer durablement la crise. L’attractivité du territoire dépend aussi d’un ensemble de conditions de vie bien au-delà du cadre strictement professionnel.

Mayotte, carte, site, nouvel hôpital, Combani, CHM
Avant le passage du cyclone Chido, les travaux pour la construction du deuxième hôpital à Combani devaient débuter en 2028. Ce futur établissement, avec 400 lits et une maternité de niveau 2B, vise à désengorger le Centre Hospitalier de Mamoudzou, renforcer les spécialités et améliorer l’offre de soins sur le département.

Mayotte ne dispose que d’un seul hôpital pour plus de 321.000 habitants d’après les dernières données de l’Insee. Les services sont sous forte pression, notamment les maternités, régulièrement saturées. Certaines patientes doivent être transférées au centre hospitalier de Mamoudzou ou accouchent dans des conditions précaires. L’accès à certaines spécialités reste par ailleurs limité, en raison du manque de personnel ou d’équipements adaptés.

Le quotidien, lui aussi, reste particulièrement difficile. La crise de l’eau perdure, les coupures d’électricité sont fréquentes, les commerces parfois peu approvisionnés. Les embouteillages sont quotidiens, l’offre de logements reste largement insuffisante, et le manque de places dans les écoles complique l’installation des familles. Le tout dans un climat d’insécurité que certains soignants disent ressentir jusque dans les abords mêmes des structures de santé.

« Les primes permettent de faire venir du monde, mais pas forcément de les garder », confie une infirmière en poste au CHM depuis plusieurs années. « Les difficultés au quotidien comme trouver un logement, la crise de l’eau, l’insécurité, les embouteillages partout, tout cela peut faire qu’on n’a pas envie de rester à Mayotte à long terme. Beaucoup de collègues repartent au bout de quelques semaines ».

Mathilde Hangard

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