« Viandes, légumes, desserts, on a été obligé de tout jeter, plus rien n’était utilisable », raconte, ce jeudi 3 juin, Said Ismaël Salem, dépité, en ouvrant un par un les congélateurs vides de son magasin situé rue Cheick Saïd Hassane à Kawéni, proche de la mosquée du vendredi.

Dans ce quartier, la coupure d’électricité qui a touché l’ensemble du territoire mardi 1er juillet à 5h50 du matin, à durée 36 heures, soit plus d’un jour et demi sans courant. « L’électricité est revenue à 18h hier, et maintenant on attend deux jours complets pour passer nos commandes et refaire nos stocks, on a peur que la coupure recommence », continue le vendeur qui a estimé les pertes à plusieurs centaines d’euros.
Des pertes pour les restaurateurs et commerçants
Landry Ainamampionona, responsable du restaurant Gasigasy, le long de la route nationale à Kawéni, a également perdu beaucoup de provisions. Un sinistre qui s’ajoute à une reprise post-Chido compliquée pour le restaurant qui peine à retrouver sa clientèle. « Pour un petit restaurant comme le nôtre ça fait beaucoup de mal, on n’a pas de marge, on achète au jour le jour.

Malgré tout on est resté ouvert car on n’avait pas le choix, on a cuisiné au gaz ce qui était possible », explique-t-elle, depuis la terrasse de l’établissement, « et pour anticiper la coupure longue et éviter de perdre des produits on a cuisiné les plats prévus pour mercredi durant la nuit du mardi ».
Pour espérer obtenir des indemnités, la société Électricité de Mayotte (EDM) invite restaurateurs et commerçants à « directement faire les déclarations de pertes auprès des assurances ».
« Vous voyez les poubelles, elles sont pleines de viande et d’aliments perdus, et maintenant on va faire quoi ? », questionne Ali*, énervé par la situation. « En plus de ça le problème avec une telle coupure c’est qu’il y a des cambriolages et des vols, plusieurs personnes se sont fait braquer dans le quartier », alerte-t-il en montrant la rue d’un geste de la main.

« Toute la soirée on a entendu des voyous, on a eu très peur », relève Landry Ainamampionona. Des propos parfois atténués par d’autres habitants interrogés qui reconnaissent néanmoins que les tensions ont augmenté pendant la panne, certains ont entendu des tirs de lacrymogènes durant la nuit dans le quartier de Mahabourini sur les hauteurs.
Une panne qui rappelle Chido
Obscurité, chaleur, insectes, absence de réseau…, avec la coupure d’électricité, de nombreuses personnes ont eu l’impression de revivre l’après Chido. « Toute la nuit j’ai tenté d’éviter de penser au cyclone mais c’est quand même venu dans mon esprit, cela montre que c’est toujours là en nous », souligne Tasmia Abdouroihaman, habitante de Majicavo, un village aussi longtemps touché par la panne.

De retour dans le quartier de la mosquée du vendredi, deux lycéens de 16 ans, assis à l’ombre, ont les yeux rivés sur leur téléphone. « La coupure était longue, on n’a pas réussi à dormir à cause de la chaleur et des moustiques et on n’a pas pu recharger nos téléphones pour rester en contact avec nos copines », confie Hamza, une casquette sur la tête. « C’était pire que Chido car avec le cyclone on comprenait pourquoi on avait pas d’électricité mais là on était dans l’inconnu, on ne savait rien, même si ça a duré moins longtemps c’était plus difficile », ajoute Lucas.
Selon EDM, la commune de Kawéni a été la dernière à avoir été réalimentée en électricité après la panne générale, car « le poste électrique de la zone a rencontré un défaut persistant et il a nécessité des manœuvres techniques pour le redémarrer ».
Un « black-out » provoqué par une « mise à terre volontaire »
Pour le reste du territoire, l’électricité a progressivement été rétablie dès mardi, avec 65% des clients EDM réapprovisionnés à 12h30 selon la préfecture, puis 90% le lendemain à 8h et il a fallu attendre 19h pour que la totalité des foyers retrouvent la lumière.

Concernant l’origine de la panne, EDM a renvoyé la rédaction du JDM vers un communiqué partagé avec un autre média de Mayotte, sans donner davantage de précisions. Dans ce dernier on apprend que la coupure générale d’électricité a été provoquée par une série de déclenchements automatiques (pour se protéger face à un problème détecté les disjoncteurs ont sauté) sur plusieurs lignes du réseau, détectées en surcharge sur la phase dite « max intensité ».
« Les inspections réalisées depuis sur ces postes et tronçons n’ont pas permis d’identifier de défaut persistant. La cause la plus probable de ces défauts est donc une mise à la terre volontaire », indique le directeur d’EDM Raphaël Ruat, faisant référence à des actes délibérés, visant à provoquer une anomalie sur le réseau. Ce défaut aurait entraîné l’arrêt de la centrale de Longoni, provoquant ensuite une coupure en cascade sur toute l’île. « Dans la période de réalimentation qui s’en est suivie toute la journée et la nuit du mardi 1er juillet, de très nombreux aléas techniques « impromptus » ont fortement retardé la capacité de redémarrer les groupes, pénalisant grandement la réactivité d’EDM pour réalimenter ses clients », poursuit le directeur.
Une déclaration qui pointe du doigt, sans les nommer, les salariés grévistes de la société qui ont débuté leur mouvement le 3 juin dernier. « La direction présente ses excuses à l’ensemble des clients impactés et en appelle une nouvelle fois à la responsabilité de chacun pour assurer la continuité du service public qui lui incombe et ne pas prendre le territoire en otage », conclut le communiqué. Pas sûr que cela rassure les habitants dont la confiance s’effrite coupures après coupures.
* le prénom a été modifié
Victor Diwisch