Derrière la porte de l’hémicycle Younoussa Bamana, ce mercredi 18 juin au matin, les échanges houleux illustraient les crispations entre les conseillers départementaux réunis en urgence pour débattre sur les amendements déposés par la députée Estelle Youssouffa, la semaine dernière, dans la loi pour la refondation de Mayotte.

Deux sujets majeurs qui touchent directement au fonctionnement et aux compétences du Conseil départemental ont justifié la convocation de l’Assemblée plénière, à savoir la proposition de création d’un Conseil cadial indépendant – les cadis sont pour le moment employés par le Département en tant que médiateurs – et le souhait d’arrêter la coopération régionale et internationale avec les pays ne reconnaissant pas l’appartenance de Mayotte à la France. Mais les échanges se sont crispés lorsque la question sur le Conseil cadial a été retirée de l’ordre du jour, remplacée par la question de la réforme électorale avec la mise en place, ou non, d’une circonscription unique pour les prochaines élections.
Une partie de l’opposition quitte les débats
Suite à ce choix, certains membres de l’opposition comme Soula Saïd Souffou ou bien Hélène Pollozec ont quitté les discussions avant le vote final. « Nous avons quitté la séance parce qu’il se passe des choses inquiétantes à Mayotte”, estime Soula Saïd Souffou, un brin choqué par les échanges et ce changement à l’ordre du jour. « Ce n’est pas sérieux, Ben Issa Ousseni a refusé qu’on parle de l’amendement sur le Conseil cadial pour parler uniquement du mode de scrutin », déplore l’élu du canton de Sada-Chirongui.

« On est totalement opposé à la suppression du Conseil cadial dans son état actuel pour le transformer en un organe consultatif ! », insiste-t-il. Si à travers son amendement Estelle Youssouffa souhaite « rationnaliser » le fonctionnement du Conseil et le « protéger d’interférence et d’ingérences étrangères » en le rendant indépendant, Soula Saïd Souffou voit un risque de le rendre caduque. « En 1841 les cadis ont permis de garantir que Mayotte soit française et aujourd’hui on joue avec eux comme un ballon de football et on veut les balancer dehors ? Je rappelle qu’en Alsace-Moselle c’est le ministère de l’Intérieur qui finance et rémunère le personnel de l’Église et à Mayotte on trouve ça normal qu’on balance nos dignitaires et nos cadis ? ».
L’élu a néanmoins tenu à donner son avis sur le débat autour de la réforme électorale. « Le président du Conseil veut défendre un mode de scrutin qui garantisse sa réélection, mais qui est totalement contraire aux intérêts supérieurs de Mayotte. On veut une circonscription unique qui permet de dégager des majorités pour penser Mayotte dans son ensemble et sortir des logiques villageoises ».
Dans l’hémicycle, Ben Issa Ousseni a donc procédé aux votes pour entériner l’avis consultatif du Conseil départemental. Seulement trois conseillers de l’opposition étaient encore présents, Alain Sarment, Elyassir Manroufou et Laini Abdallah-Boina. Mais seuls les amendements sur le mode de scrutin et la coopération régionale ont fait l’objet d’un vote. Sur la proposition de création d’un Conseil cadial indépendant, Ben Issa Ousseni n’a pas souhaité donné d’avis en l’absence de réponses sur le projet de la part des cadis.
Absence d’avis officiel sur la réorganisation cadiale, vote pour le maintien des 13 cantons

« Je reste sur ma position initiale qui a toujours été claire. Lorsque j’ai proposé la réorganisation cadiale, j’ai dit que j’allais le faire avec eux ! Aujourd’hui j’ai préparé un rapport qui consiste a demandé à la députée de retirer son amendement, j’ai soumis tous les sujets au Conseil cadial mais je n’ai pas de retour du grand cadi donc je n’ai pas soumis au vote la proposition », précise le président du Conseil départemental. « Moi je voulais réformer le Conseil cadial, mais pas créer une deuxième institution, comme la proposition actuelle qui souhaite des cadis nommés par les communes, et surtout avec un Conseil cadial qui ne sera pas doté de moyens de fonctionnement. Pour moi c’est impossible », remarque Ben Issa Ousseni, « ce sujet est sensible, il est passionnel, il faut le faire avec les acteurs principaux, les cadis ».
« Je n’ai aucune logique villageoise », répond le président du Conseil, suite aux critiques de l’opposition, « initialement on s’était positionné pour une élection par liste générale avec une seule circonscription. Aujourd’hui deux textes nous sont proposés et nous avons fait un choix, celui du texte adopté au Sénat sur le maintien des 13 sections », a-t-il ajouté. « Nous ne refaisons pas le travail parlementaire, ce n’est pas parce qu’on prend cette délibération là, aujourd’hui, qu’on va être suivi. La députée Estelle Youssouffa est libre de ses actions parlementaires, même si j’aurais aimé être saisi, consulté sur ces sujets-là. Quand le Sénat a proposé l’amendement, la sénatrice Salama Ramia m’a appelé pour annoncer ses intentions. Face à ces deux textes, on s’est positionné ».
« Il a pris peur et il a vu que si on vote au niveau territorial il ne sera pas réélu président car son bilan ne fait pas l’unanimité », réagit Soula Saïd Souffou, qui déplore des propositions électoralistes.
« Mayotte ne peut pas faire l’économie des échanges avec l’ensemble des pays »

« Un amendement retire la compétence de la coopération régionale au Conseil départemental mais Mayotte ne peut pas faire l’économie des échanges avec l’ensemble des pays », explique Ben Issa Ousseni qui prend l’exemple du combat mené pour intégrer Mayotte dans la Commission de l’océan Indien, pour améliorer les échanges commerciaux, diplomatiques et sportifs avec les Jeux des îles, « s’il y a un sujet avec un seul pays, celui-ci ne doit pas affecter les échanges avec l’ensemble des pays de la zone. Nous avons des échanges corrects avec Madagascar, et le Kenya, on fait un bon boulot et il faut le continuer, c’est pour ça qu’on demande de retirer cet amendement ».
Les conseillers sont désormais suspendus à l’examen du projet de loi qui se déroulera en Assemblée plénière le 23 juin prochain, jour où commencera également l’examen du projet de loi, en séance, à l’Assemblée nationale…
Victor Diwisch