Hadidja Uwimana, 49 ans, fait cuire trois têtes de poissons dans une poêle posée sur un feu de camp improvisé, une pour elle, les deux autres pour ses deux enfants, Latifa et Katotola. Assis à l’ombre de leur logement en tôle et en bambous, les jumeaux de 14 ans attendent dans le silence que le repas soit prêt. « C’est l’Aïd c’est pour cela qu’on a réussi à avoir à manger », précise Hadidja, en remuant la poêle.
Femmes et enfants, des familles présentes en nombre

Ce vendredi 6 juin, cela fait un mois que la famille est installée dans la forêt de Tsoundzou 2 transformée en véritable camp de déplacés, depuis le 28 février dernier. Arrivés le 2 mars à Mayotte en provenance de la province du Sud Kivu en République Démocratique du Congo, Hadidja et ses enfants ont d’abord passé deux mois au Centre de rétention administrative (CRA), avant de rejoindre le camp. A son arrivée en France, elle a demandé l’asile auprès de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) qui lui a refusé, elle est désormais en procédure de recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) pour contester la décision. En attendant, elle a interdit à ses enfants de s’éloigner de leur logement pour des questions de sécurité. « J’ai peur que mes enfants attrapent le choléra à cause de la saleté. Un enfant à côté est malade depuis des semaines et la famille n’a pas de médicaments », relève Hadidja.

A Tsoundzou 2, plusieurs familles sont dans la même situation que Hadidja et ses enfants. Elles illustrent l’évolution du lieu qui en trois mois est devenu le village des demandeurs d’asiles. Chaque mois, une vingtaine de personnes arrivent pour s’y installer. La population a quadruplé passant d’une centaine de personnes à près de 400, selon les habitants. Les quelques habitations en bambous des premières semaines de mars se sont multipliées et d’autres continuent à se construire. Le camp est doté d’une église, d’une tente où l’on recharge les téléphones portables, d’un accès à l’eau apporté par l’association Solidarité Internationale ou bien encore d’une cabane « refuge » pour les femmes. Ces dernières, absentes lors de l’ouverture du camp, sont désormais nombreuses. Et si la préfecture a effectué trois opérations de mise en sécurité des personnes vulnérables, dont principalement les femmes et les enfants, certaines sont toujours présentes et risquent de subir des violences et des viols. Trois viols se seraient produits ces dernières semaines, selon une source qui souhaite garder son anonymat. « On risque le viol mais on n’a pas le choix de vivre là, j’ai peur aussi pour mes enfants », confie Naomie* venue de RDC (République démocratique du Congo) pour demander l’asile, et qui voit de nombreuses personnes alcoolisées dans le camp.
Tensions intercommunautaires

A ces violences s’ajoutent des tensions intercommunautaires entre les Somaliens, à majorité musulmane, et les personnes provenant de la région des Grands Lacs (RDC, Ouganda, Burundi ou Rwanda), majoritairement chrétiens. Par exemple, l’église qui a été construite pour servir de lieu de recueillement n’a pas fait l’unanimité au sein du camp et certaines personnes ont essayé de la brûler. Le 31 mai dernier, une vidéo sur les réseaux sociaux montrait des affrontements entre déplacés du camp munis de barres de fer sur la route nationale à la sortie de Tsoundzou. « Les bâches et la nourriture se font rares, donc quand il faut partager cela engendre des bagarres », explique Lucien*, demandeur d’asile dans le camp. « On a nommé deux présidents, un pour les Somaliens, l’autre pour l’Afrique des Grands Lacs, et ils essayent de faire la médiation mais ce n’est pas facile ».

« On n’a pas de nourriture, c’est le plus grand problème ici », remarque Ahmed, demandeur d’asile venu de Somalie, « ça fait six mois que j’attends des nouvelles sur mon dossier, je ne sais pas quoi faire ». La levée du blocage du bureau des étrangers de la préfecture, le 19 mai dernier, laisse cependant de l’espoir à quelques exilés. « Le processus est relancé, les convocations reprennent, certaines personnes reçoivent leur récépissé », se réjouit Samuel* qui attend d’être convoqué.
Des listes d’émargement, bientôt la fin du camp ?

Au centre du camp, alors que certains jouent aux cartes, l’association Solidarité Internationale installe des points d’eau. Les sillons pour ensevelir les tuyaux sont à peine refermés que quelques personnes viennent se mouiller la nuque ou se laver les mains. L’accès à l’eau est devenu urgent, la saison sèche a commencé et la petite rivière de la forêt remplie de détritus est déjà à sec.
Aux yeux des habitants, l’arrivée de l’eau fait penser à la pérennisation du camp et certains affichent des sourires. Pour Samuel, présent depuis le début, le doute persiste, d’autant plus que depuis quelques semaines des travaux sont entrepris à proximité des tentes. Plusieurs dizaines de conteneurs sont installés sur une parcelle mise à nue et dotée de gravier, et il n’a obtenu aucune information à ce sujet. « Depuis le début, la police nous a dit que le terrain appartient à un agriculteur et qu’il fallait qu’on s’attendent à partir d’ici à tout moment », prévient-il, « ce matin même, elle nous a demandé de faire une liste d’émargement de la population en indiquant les situations de chacun, on doit la rendre mardi 10 juin ». Le jeune homme ne connaît pas les aboutissements de cette liste mais s’attend au pire. Après plusieurs mois passés dans une tente, il a désormais une cabane en bambou dans laquelle il peut se tenir debout. Un espace qui lui redonne de l’intimité et un semblant de normalité.

De son côté, la préfecture continue ses opérations de décasage ou de « résorption de l’habitat insalubre » (RHI) à travers l’archipel, comme le 7 avril dernier à Dzoumogné. Risques sanitaires, risques d’incendies, conditions de vie indignes,… sont autant d’arguments utilisés pour justifier de telles opérations. Le camp de Tsoundzou 2 coche toutes les cases. Pourtant sa destruction semble moins évidente. Directement mis en place par la préfecture, le camp sert à rassembler les demandeurs d’asile dans une zone reculée, plus ou moins à l’abri des regards, dans l’attente de l’avancée de leurs démarches administratives et de la création de logements. Un statu quo qui lui semble favorable, mais jusqu’à quand ?
Victor Diwisch